Saillans, territoire à haute valeur démocratique
A Saillans ils ont osé. Une poignée de citoyens est partie dans une aventure raisonnable et utile dont pas mal ici et là en France avaient rêvé et rêvent encore. Le clivage élus/population est effacé, c'est tous ensemble que la partie se joue, ça change tout.
C’est du beau travail qui est en train de se réaliser à Saillans village de 1200 habitants, situé entre Die et Crest dans la Drôme. Depuis qu’on en parle, il y avait en moi cette incompressible envie de la regarder un moment dans les yeux l’expérience démocratique qui fait tant parler d’elle. Tristan Rechid membre du Conseil des sages me l’a dit, nous sommes déjà 250, journalistes, acteurs associatifs ou politiques… à avoir eu l’idée de venir voir ce qu’il se passe à Saillans ou de lancer une invitation pour qu’un des protagonistes de l’aventure drômoise se déplace et raconte.
Dans la méthodologie et pas dans l’idéologie
Tristan Rechid est impliqué dans le projet depuis son origine, maintenant il s’occupe entre autre de l’essaimage. Alors comme ça il va souvent sur la route s’arrête dans un village où un quartier où on l’a invité, y fait sa « conférence articulée », propose pour le lendemain un atelier de formation et le jour d’après une réunion participative. Parce qu’ici à Saillans on est dans la méthodologie et pas dans l’idéologie. D’ailleurs le maire Vincent Beillard et la première adjointe Annie Morin l’ont dit chacun à leur tour lors de la conférence de presse du 29 octobre consacrée au projet de rénovation du bâtiment de l’ancienne perception : « on n’a aucune étiquette politique ». La façon dont se sont construites les listes des candidats à l’élection et la liste du Conseil des sages le montre aussi, le clivage gauche/droite ne semble pas être l’opérateur essentiel ici. Si les valeurs, solidarité, écoute, acceptation des différences, convivialité, bienveillance… sont très présentes dans les propos des plus engagés et aussi dans la charte du Conseil des sages ici on se réclame de « l’humanisme » et ça va très bien comme ça.
Éviter que les élus ne décident sans les habitants
Il faut dire que c’est comme ça que tout a commencé. Bon, il y a eu un électrochoc en 2011. L’ancien maire a eu la mauvaise idée de vouloir installer un supermarché sans trop s’occuper de l’avis de la population. Une opposition au projet s’est organisée, plusieurs centaines de personnes qui ont signées la pétition. Les élections municipales de 2014 arrivant quelque chose de fort était là chez de nombreux habitants – éviter que les élus ne décident sans les habitants -. Même si clairement le terrain était favorable, c’est de là que tout est parti. Ils sont alors une poignée, ils savent que s’ils ne bougent pas ça continuera de la même façon et certains ont envie d’expérimenter, envie de vivre autrement la démocratie. Mais ils n’ont pas envie de faire une liste entre eux, d’ailleurs ils n’ont pas de programme et il n’y a personne qui se pose là d’emblée comme tête de liste… il va falloir faire autrement.
Sept tables pour que tous discutent
C’est là qu’elle arrive la réunion participative. Pas de liste, pas de programme, pas de tête de liste… en fait ce n’est pas vu comme un problème mais comme un point de départ, quelque chose à faire tous ensemble. A quelques-uns ils se forment aux méthodes de participation active dont certains d’entre eux connaissaient déjà les grandes lignes et même un peu plus. Ho pas grand-chose dans la formation, les bases : séparation de la forme et du fond, postits, gommettes, juste quelque heures. Puis ça a été le grand bain. Tous les habitants sont invités, ils viennent à 120. Pas d’estrade pour ceux qui parlent mais sept tables sont disposées dans la salle pour que tous discutent. Une table par thématique : aménagement, éducation, environnement, santé, économie… 2 animateurs tout frais formés par table. Et ça marche. Les habitants sont invités à faire un diagnostic sur la thématique qu’ils ont choisi à l’aide des postits, ils disent quels sont à leurs yeux les trois problèmes et les trois atouts que connaît le village, c’est le constat. L’idée de fonctionner en binôme restera, aujourd’hui il y a toujours deux élus par thématique qui sont toujours au nombre de sept.
Liste co-construite
A la réunion suivante où il y a une centaine de participants, 66 projets émergent, en utilisant des gommettes 33 sont retenus, ils seront médiatisés sur le tract des élections municipales. Lors de ces réunions on demande aussi qui veut se présenter aux élections une feuille circule, 21 personnes s’inscrivent. Après discussion 15 seront sur la liste pour se présenter à l’élection et les 6 autres feront partie du Conseil des sages. Et un jour qu’il n’est pas là le groupe décide que Vincent serait bien comme tête de liste, il accepte. Il y a eu 80 % de votants et la liste co-construite a gagné les élections avec 57% des voix. Christine Seux élue à l’éducation me dira : « la liste des élus était constituée avec la moitié de gens que je ne connaissais pas ».
A l’école les coins nature fleurissent
Aujourd’hui que ça fonctionne depuis un an et demi, côté enfance ça bouge dans le bon sens. De 30 à 40 personnes se sont impliquées dans l’écriture du Projet Educatif Territorial (PEDT). L’an dernier plusieurs élus se sont investis dans les temps d’activité périscolaire (TAP) jusqu’à faire des animations avec les enfants. L’association Lysandra Education Environnement sise dans un village voisin a été contactée très tôt par la mairie après les élections et aujourd’hui des projets d’éducation à l’environnement se développent. Création d’une prairie mellifère, gîte à insectes, aménagements pour la faune sauvage… la cour de l’école va se transformer, les coins nature fleurissent. Des sorties de terrain avec les enfants vont s’organiser, un travail sur la rivière Drôme est enclenché, l’école s’ouvre. Côté cantine, les repas sont faits au village avec un peu de bio et pas mal de local.
La nuit à Saillans, il fait nuit !
Côté écologie un Groupe d’Action Projet (GAP) organisé autour de la question de l’éclairage public a déjà changé les choses. L’éclairage est pensé, réfléchi et savamment dosé. Etrangement la nuit à Saillans, il fait nuit. Après un an d’application on est à 40% d’économie ce n’est pas rien, sans compter le nouveau confort apporté aux chauves-souris, à toute la faune et certainement à certains habitants aussi qui en avaient marre du gâchis. Sur l’énergie un GAP travaille sur l’éventualité d’un changement de fournisseur. Certains veulent ici utiliser une électricité renouvelable. Des panneaux photovoltaïques seront bientôt posés à l’école et à la mairie. L’idée de la création d’un fond d’investissement citoyen pour la création d’énergie est en marche aussi.
L’émergence des projets, ce sont les habitants
Quand on rentre dans la mairie on y trouve du monde. Le 29 octobre de 20h à 22h il y a comité de pilotage, les élus sont autour d’une table, sur les bancs et les chaises autour 18 personnes dont trois étudiants, un de la Sorbonne et deux de Grenoble, ils font de l’expérience de Saillans leur sujet de mémoires Les lignes du budget d’investissement sont étudiées les unes après les autres, ça bosse sérieux, il y a de l’expertise et de la décontraction. On ne peut pas dire autrement les projets menés par la mairie viennent du terrain. « Le pouvoir est encore au conseil municipal, mais l’émergence des projets ce sont les habitants » dit Tristan qui propose une échelle à quatre degré dans la participation : information, concertation, co-construction et co-décision. Ici à Saillans on est dans la co-construction.
Deux pouvoirs séparés
Quand on pose la question de savoir : comment faire ensemble ? Gwenola Breton membre du Conseil des sages dit que la première chose c’est l’écoute. Pour garantir cette écoute lors des réunions la personne en charge de distribuer la parole et de veiller au temps n’intervient pas dans la discussion. On a une séparation nette entre les deux pouvoirs. Le pouvoir venant de la connaissance du fond d’un dossier qui peut en imposer aux autres et le pouvoir d’avoir en main l’animation de la réunion. Si l’on veut orienter la discussion, si l’on veut faire passer son idée, il va falloir argumenter efficacement le temps de parole est limité et en plus il va falloir écouter ceux qui expriment un avis différent, c’est garanti ils auront la possibilité de s’exprimer. Ce sont les conditions de la co-construction. Gwenola parle ensuite de la tolérance, de l’acceptation des différences de points de vue et ensuite elle dit pour « faire ensemble » il faut un objectif commun : « ce qui fait vivre l’humain c’est le désir pas la méthode, on a le sens du faire ensemble ».
Des personnes solidaires
Le respect de la méthode est bien l’élément clé de la réussite ici. Le mot « transparence » revient très souvent dans les conversations, des panneaux d’information ont été installés dans le village, le site internet de la mairie est plein de lettres d’information et de compte-rendu et de possibilités de s’impliquer dans un groupe ou un autre. Si on veut savoir ce qui se passe ici c’est facile, si on veut participer c’est facile. La création du Conseil des sages et son existence active est un autre point méthodologique clé. Le conseil des sages est là pour opérer une veille bienveillante sur le processus de décision et apporter une aide. A Saillans il y a en fait une quarantaine de personnes engagées concrètement qui se donnent la main. 12 au conseil municipal, 12 au Conseil des sages, plusieurs animateurs (ils donnent un coup de main à l’animation des GAP) 6 ou 7 correcteurs (ils veillent à la qualité des productions écrites qui sont nombreuses), il faut compter aussi les baby-sitters ! Je l’ai entendu il y a eu 70 réunions publiques organisées en un an et demi, il faut s’organiser.
La politique dans sa noblesse
J’ai demandé au maire s’ils avaient une source d’inspiration particulière. La réponse est négative, ils réinventent tout. Certes mais nous ne sommes pas n’importe où dans cette vallée de la Drome. De l’autre côté du tunnel c’est le Vercors, ici on peut s’opposer à l’autorité et aller très loin jusqu’à se battre comme pendant la résistance, il n’y a pas si longtemps. Un ancien édile disait : « les saillansons sont frondeurs ». Il faut évoquer aussi les savoirs faire de l’éducation populaire qui sont là. Le maire s’est formé dans sa jeunesse aux CEMEA et quand il était animateur il avait dans sa valise le premier ouvrage écrit par le Réseau Ecole et Nature : La pédagogie de projet ,outil d’éducation à l’environnement. Tristan lui a démarré par des stages aux Francas. Emmanuel Cappelin qui a travaillé dans l’éducation à l’environnement aux Etats-Unis, membre du Conseil des sages, me dit qu’il y a ici 2/3 de néo ruraux qui ont fait le choix d’habiter ici pour y vivre vraiment et qu’il faut tenir compte du temps. Il y a ici des gens qui par choix prennent le temps et ont donc ainsi du temps disponible pour la discussion, le débat, la politique dans sa noblesse. Plusieurs se sont formés aussi à l’Université du nous qui se propose de réinventer l’agir ensemble.
20% de la population participe
En deux mots, ils ont fait quoi à Saillans ? Ils ont osé et ils partagent ! Ils ont dit ça ne peut pas continuer comme ça, il faut que ça se passe autrement, on a envie d’essayer des trucs et ensuite ce n’est qu’une succession de prise de risques toujours dans la collégialité. Ils ont fait avec les savoirs faire détenus par quelques habitants. Ils se sont formés dès le départ sur ce que ça implique de travailler en démocratie participative. Ils ont innové, ils ont fait une grande place à l’entraide et ça marche, c’est plus de 20% de la population qui participe au processus. On ne peut pas taire que l’expérience semble déranger dans le pays, les relations avec l’intercommunalité et le conseil départemental n’ont pas l’air simples, il y a comme une crispation. Espérons qu’à force d’explication, de dialogue et de sagesse, ça évolue dans le bon sens. En fait ça ne fait guère de doute.
Constamment dans l’inclusion
Saillans n’est pas un cas unique et les exemples de démocratie directe se multiplient. Il y a eu 300 participants à l’évènement « Curieuses démocraties » en septembre, riche moment d’échanges et de réflexion, un certain JT en a parlé. Cette coupure qu’on voit trop souvent entre ceux qui ont le pouvoir et les habitants n’a plus guère de sens. Partout dans de nombreuses associations la coprésidence se pratique depuis plus de 15 ans, il faut mieux intelligemment faire ensemble, ça évite bien des dérives. Il y a ici une vraie volonté politique de vivre autrement la démocratie et « ils sont constamment dans l’inclusion » dit Loïc Blondiau, le groupe leader ne reste pas dans un entre soi confortable. En fait à Saillans ils appliquent le principe 10 de Rio, posé il y a 23 ans déjà : « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement c’est d’assurer la participation du public » la démocratie est un environnement. Oui Saillans est un territoire à haute valeur démocratique, maintenant ça va être la révision participative du PLU, le renouvellement du Conseil des sages… ça a bougé, ça bouge et ça va bouger à Saillans. Vivement la prochaine occasion d’y retourner et de voir, écouter, essayer de comprendre encore.
A suivre
RG
Codirecteur du Réseau Ecole et Nature
Article sur le sujet : http://www.reporterre.net/A-Saillans-les-habitants-reinventent-la-democratie
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON