Vers un « monde commun » ?
Le souci écologique bien compris ne devrait-il pas engager à en « prendre en compte », une fois pour toutes, aussi bien les êtres humains que les « non-humains » qui composent notre « collectif » terrestre ?
Plus rien ne va de soi. Plus aucune ressource exploitable n’est assurée de sa pérénnité sur une planète transformée en déchetterie : ni la qualité de l’air que nous respirons, ni de l’eau que nous sommes supposés boire pour des générations – sans oublier les espèces animales décimées, les forêts qui brûlent et nos sols vitrifiés livrés à une artificialisation galopante...
Et pourtant la « technologie verte » d’un éco-enfumage persistant n’en finit pas de faire miroiter encore et encore un paradis toujours plus artificiel sur Terre – forcément plus vert que nature... N’est-il pas question de remplacer les pollinisateurs décimés par les produits phytosanitaires et les ondes électromagnétiques par des drones miniatures programmables pour assouvir l’inextinguible soif de « profit » des uns ?
Au seuil de la sixième extinction, le véritable souci écologique ne consisterait-il pas à « bien traiter un être » ? Et ce, qu’il s’agisse d’un humain ou d’un non humain, sur une planète qu’aucune folie ne pourra dévier de sa trajectoire de collision avec la réalité... Le « processus d’écologisation » n’engage-t-il pas à prendre en compte les "associations d’êtres qui composent notre « collectif » ?
Philosophe et maîtresse de conférences à l’université Paris Ouest-Nanterre, Emilie Hache rappelle, dans la réédition en poche de son livre, que dans une « communauté écologique responsable », il importe de « traiter des non-humains comme des fins et non pas comme des moyens » c’est-à-dire des « produits de consommation alimentaire ».
Pourquoi ne pas passer un nouveau contrat en articulant économie et morale pour en finir avec la prédation des terres, des forêts et des vivants ? Sur quoi au juste se fondent les « formalisations économiques » de ceux qui mettent la planète en lignes d’exploitation ? La morale peut-elle « prendre en charge » ce qui échappe au lancinant et perpétuel calcul d’optimisation – cet incommensurable et cet inestimable qui nous ont été donnés ?
Le mode de développement hyperindustriel d’une partie de la population mondiale pose la question de la surpopulation : si le modèle économique des pays surdéveloppés se répandait partout, la destruction de la planète serait bel et bien consommée : « Les surpopulations vulnérables deviennent une variable d’ajustement de notre mode de développement jusqu’à considérer les catastrophes qu’elles subissent comme une sorte de régulation naturelle des populations ». Et pourtant, la dynamique propre à ce « modèle »-là est de s’exporter à tout prix... L’écologie peut-elle compter sur l’armée de réserve de ces « surpopulations vulnérables » ? Se trouvera-t-il parmi elles comme au sein des « pays riches » des consciences suffisamment inquiètes pour construire une société de continence énergétique, de frugalité heureuse, de partage et de sobriété consentie avant l’effondrement annoncé ? Il n'est pas interdit de rêver tout haut...
Une demande d’intelligence collective ?
L’idée de « progrès » est-elle encore pertinente et compatible avec la préservation d’une planète livrée à une surexploitation suicidaire ? Pour Emilie Hache, il s’agit de « recommencer à habiter une temporalité dotée d’un futur et d’instaurer la responsabilité morale qui l’accompagne »... Imprégnée par le pragmatisme de John Dewey (1859-1952), elle rappelle que la « dimension morale d’une démocratie réside dans la participation de publics : le point de rencontre entre la morale et la politique se trouve ici, dans cette autoconstitution d’un public par lui-même, dans le fait que de passif, il devienne actif, seule garantie de vitalité pour une démocratie »...
Comment « devenir capables ensemble » dans un système si peu capable de résoudre les problèmes qu’il engendre ? Comment favoriser l’apprentissage d’une « pensée collective » sur un champ de ruines dévasté par la frénésie d’un hédonisme consumériste et d’intérêts oligarchiques à jamais inassouvis ?
Manifestement, « parler d’une cosmopolitique est une façon de prendre en compte le problème posé par la coexistence d’une multiplicité d’êtres »... Le monde commun à habiter ensemble requiert le plus grand nombre possible de bonnes volontés partageant ce sentiment d’urgence en-dehors de toute morale prescriptive.
Autant les éclairer sur l’enjeu en formulant la question « en termes de cosmopolitiques », ce qui est une « façon de ralentir » tout en cultivant une manière d’espérance active et empirique... La grande convergence des multiples expérimentations en cours, engagée par des scientifiques, des éleveurs, des entrepreneurs, des activistes ou des patients soucieux de se prendre en charge, buissonne en de foisonnants jardins partagés. Fera-t-elle reculer le désert qui avance ?
Emilie Hache, Ce à quoi nous tenons – propositions pour une écologie pragmatique, La Découverte, 300 p.
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