Xynthia, un an après...
La ministre de l'Environnement a fait le déplacement pour l'occasion. Elle assume à sa façon la gestion de la tempête hivernale par son prédécesseur : vague sur les responsabilités directes, ferme avec les propriétaires inondés puis expropriés, et imprécise pour le reste.
Chacun pourra se reporter à l’intégralité de l’interview donnée par Nathalie Kosciusko-Morizet [vidéo] aux journalistes de ‘Sud-Ouest‘ Marie-Claude Aristégui et Sylvain Cottin [1]. Avant de m’attaquer au fond, il convient de rappeler le contexte. Les 25 et 26 février 2010, une tempête hivernale traverse le centre de la France. Passant par la Vendée et le nord de la Charente-Maritime, elle pousse devant elle des vagues de plusieurs mètres et inonde les terres basses, pour partie gagnées sur la mer au Moyen-Âge et à l’époque moderne. Une partie de la population refuse de considérer la menace et demeure sur place. Certains habitent dans des pavillons sans étage et se retrouvent piégés par une brusque élévation du niveau des eaux. La sécurité civile arrive trop tard. Près de soixante personnes ont perdu la vie [source].
Cette catastrophe résulte d’une conjonction triste de facteurs improbables. J’ai écrit sur le coup que l’on se tromperait en annonçant des mesures sensationnelles, en terminant sur une interrogation :
‘Matignon annonce la publication rapide des arrêtés de catastrophe naturelle pour les communes ravagées. Le ministère de l’Intérieur se félicite du déploiement des pompiers et des gendarmes. Tout le monde s’en réjouira. Mais compte tenu de l’annonce météorologique, il y a de quoi s’attrister du nombre de morts. Rien ni personne ne pourra l’effacer. Lors du passage de la tempête Katrina, la garde nationale américaine est intervenue à la Nouvelle-Orléans pour vider des quartiers. Dans certains cas, la population a profité des moyens militaires mis à leur disposition. Mais il a fallu aussi forcer les récalcitrants, ceux qui se fermaient les yeux ou se bouchaient les oreilles. Beaucoup craignaient de perdre plus que leur vie, leur bien le plus cher, leur maison. En France, on déclenche les opérations à l’issue du cataclysme. Mon amertume est grande. L’armée française a bien d’autres tâches à accomplir, en Afrique ou en Afghanistan… La sécurité civile ne dispose pas des moyens pour ratisser un département à l’approche d’une tempête hivernale, certes exceptionnelle (surtout ?). Des dizaines de morts. Quelle tristesse.’ [’Communes-sous-mer‘]
Un an plus tard, je ne vois rien à modifier. Dans l’entretien susdit, Mme Kosciusko-Morizet appelle de ses vœux une ‘culture du risque’. Qui soutiendrait le contraire ? Il ne s’agit visiblement pas du risque politique. Il y a eu lors du premier septennat de François Mitterrand un secrétaire d’Etat chargé de la prévention des risques technologies et naturels majeurs (Haroun Tazieff). Les plus âgés se souviennent des quolibets à l’encontre du vulcanologue (Thierry Le Luron). Un commentateur du journal ‘Sud-Ouest’ remarque à juste titre que la ministre ne remet justement pas en cause l’introduction dans la Constitution du principe antagoniste dit de ‘précaution’. La ministre refuse d’incriminer son prédécesseur ? Elle n’a de toutes façons aucun avantage à ‘charger’ Jean-Louis Borloo : c’était son ministre de tutelle alors qu’elle n’était ‘que’ secrétaire d’Etat. Aucune enquête parlementaire n’a été dépêchée sur place pour déterminer les circonstances du drame.
Bien sûr, personne ne peut désigner un coupable. Mais il est aberrant de ne pas passer au crible la chaîne hiérarchique. Or le préfet est demeuré en place, celui-là même qui a employé le surlendemain du désastre l’expression de ‘zone noire’, plus tard soigneusement évitée par les membres du gouvernement. Les responsables de la sécurité civile ne sont même pas cités. Je ne parle même pas des habitants des communes sinistrées, des voisins de personnes noyées dans leurs propres maisons… Mais qu’aurais-je fait moi-même à leur place ? L’art de bien faire devant son ordinateur par temps calme procure d’intenses satisfaction. Il a ses limites : je n’édulcore ni la question ni la réflexion.
Sur la responsabilité des maires des communes littorales - ils sont décrits par la ministre comme globalement peu regardants lors de la vente de terrains - personne ne peut se faire une idée. Quelles fautes ont été commises (si faute il y a) ? Des procédures existent, certes exceptionnelles - à l’issue desquelles un préfet peut démettre un maire et organiser de nouvelles élections. Ne serait-ce pas parfois la meilleure solution que de renvoyer les électeurs à leurs responsabilités ? Voulez-vous reconduire l’équipe en place, ou lui préférez-vous une autre, prête à prendre d’autres décisions, plus responsables ? On pourrait ainsi entendre des candidats proposer une densification de leurs communes par expropriation-reconstruction des parcelles ‘hors d’eau’, par exemple. Soyons sérieux. C’est totalement improbable. Ceux qui se hasarderaient sur ce terrain perdraient l’élection.
On ressort de l’entretion de Mme Kosciusko-Morizet avec l’impression que d’un côté, les responsables portent mal leurs noms, et que de l’autre les résidents doivent assumer. J’ai suffisamment fustigé les imprudents pour que l’on ne vienne pas m’accuser de démagogie [’Guigne à Draguignan‘]. En revanche, les faits plaident d’eux-mêmes à propos de Xinthia : (1) les morts le resteront, punition sans équivalent possible, et (2) les dizaines d’expropriés par l’Etat devront aller voir plus loin si l’herbe est plus verte. Il me semble qu’un an après la catastrophe, les rôles se répartissent mal, et que la ministre ne jette aucun pavé dans l’eau. Certes, 100.000 logements ont surgi en France en zones inondables entre 1999 et 2006 - chiffres rappelés par les journalistes de ‘Sud-Ouest’ - et seuls un tiers des Français ont réalisé que les risques naturels concernaient leur régions : sondage de la Croix-Rouge cité par la ministre dans l’entretien. Mais combien d’observateurs tirent la sonnette d’alarme ?
Au fond, la ministre préfère ‘ne pas se mouiller’, et je ne lui en tiens pas plus que cela rigueur ; moins qu’à la haute administration (parisienne) passée entre les gouttes de l’opprobre publique. Je lui fais juste remarquer deux erreurs fondamentales. Avancer que ”la culture française n’est pas la poldérisation” est une sottise. Car les moines cisterciens puis les ingénieurs hollandais ont aménagé des polders sur l’ensemble des littoraux français. Evidemment, rapportées à la surface totale du territoire, les superficies demeurent incomparables (par rapport à ce que l’on observe aux Pays-Bas). Mais à l’échelle des régions maritimes françaises, les surfaces prises sur la mer sont importantes. A chaque fois, le but était d’exploiter les marais salants ou d’élargir le périmètre agricole. Les techiques employées dans les Provinces Unies fonctionnaient parfaitement plus au sud, les moulins à vent évacuant les eaux terrestres par-delà les digues bâties face à la mer. On trouve des polders en Corse à Porto-Vecchio (carte), en Camargue à l’arrière des Saintes-Maries de la Mer, dans le Médoc [incrustation, sur la rive opposée de la Gironde, à Mortagne], dans la baie du Mont-Saint-Michel, dans le bassin de Carentan, ou sur les bas-champs du Marquenterre dans le Vimeu normand, réputés pour leurs activités pastorales.
En réalité, seules les côtes rocheuses peuvent être qualifiées en France de ‘naturelles’, non transformées par la main de l’homme. Non seulement la ministre donne une mauvaise information, mais appliquée à la Charente-Vendée, l’argument est quasiment délirant. Toute la région a été en effet façonnée par l’homme, qu’il s’agisse du continent ou des îles de l’Atlantique immédiat. Les Pertuis qui s’étendent entre les îles de Ré et d’Oléron se caractérisent par leurs faibles fonds marins et par les activités humaines : mytiliculture dans la Baie d’Anguillon, ostréiculture au large de Marennes. Il y a des centaines d’hectares de polders ou de terres naturellement envasées ou cours de l’ère Quaternaire. Encore faut-il rappeler cet état des lieux aux inconscients. La remarque vaut ici pour les propriétaires de résidences secondaires.
La seconde faute est plus cruelle. Car contrairement à ce que Nathalie Kosciusko-Morizet prétend, ce n’est pas ‘la pression démographique’ qui affecte à elle seule les littoraux français. Celle-ci doit beaucoup - jusqu’à quel point ? - à l’impact de l’envolée des prix de l’immobilier. On me rétorquera que l’héliotropisme provoque la flambée des prix et non l’inverse ; qui de la poule et de l’œuf a commencé ? Je renvoie à ce qui a été déjà écrit sur ce sujet [’Comment être riche sans rien faire ?‘]. Or si l’Etat délimite de nouveaux périmètres inconstructibles, la spirale ne risque pas de retomber. Bien au contraire. Les propriétaires non touchés par la tempête et hors ‘zone de solidarité’ (c’est la terminologie de remplacement, je n’invente rien !) profiteront des effets de la classification, sous la forme d’un enrichissement immédiat, et sans efforts : la valeur de leurs biens augmentera. Les classés dans la mauvaise catégorie pleureront eux sur leur manque de chance. Ou sur l’injustice qui les frappe. Les autres Français s’accommoderont (…) de ne pas être propriétaires dans une commune concernée. Et ils écouteront avec une oreille attentive la charge présidentielle contre l’ISF…
PS./ ‘Geographedumonde’ sur les inondations en Australie [’Le journaliste, le climatologue et l’industriel‘ et ‘Vilaine Niña‘], au Pakistan [’Ni toit, ni portes‘], au Brésil [’Ce n’est pas en France qu’on verrait une chose pareille‘] et en France [’Guigne à Draguignan‘]
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[1] « [S.O.] ‘Voilà déjà bientôt un an, l’État décidait en urgence des zones noires dont les contours ne sont toujours pas précisément établis aujourd’hui. Ne regrettez-vous pas une certaine précipitation ?
Nathalie Kosciusko-Morizet. Compte tenu de la très grande émotion provoquée par Xynthia, nous avions voulu offrir en urgence une solution en déterminant les zones dans lesquelles l’État proposerait de racheter les maisons. Une urgence qui était aussi une façon de soulager l’angoisse et la peur des sinistrés. Or cela a parfois été vécu comme une sorte d’agression, et même comme un nouveau drame chez ceux qui ne souhaitaient pas partir.
Certaines maisons ont été rachetées par l’État alors qu’elles sont, depuis, sorties du périmètre dangereux. Un non-sens ?
Dans l’idéal, bien sûr, il aurait fallu éviter la confusion, et tout de suite préciser les zones où l’État proposerait le rachat, et celles où il serait obligatoire de partir. Sauf que l’on voit aujourd’hui que cela nécessitait de longues expertises.
Il avait pourtant été rapidement annoncé que le zonage n’était pas négociable.
Il serait trop facile de commenter la méthode après coup, et je ne peux pas dire ce que j’aurais fait à la place de Jean-Louis Borloo. Encore une fois, rétrospectivement, je comprends que ces revirements ont été durs à vivre.
Tandis que 100 000 logements auraient été construits en zone inondable entre 1999 et 2006, les gendarmes ont récemment perquisitionné la mairie de La Faute-sur-Mer, où les promoteurs s’en sont donnés à cœur joie. Avec la complicité des élus locaux et des préfets ?
La pression pour l’urbanisation du littoral est très forte, elle pèse souvent sur les élus locaux, mais un événement comme Xynthia doit nous inciter à être hyperexigeant. Il y a donc eu des perquisitions, il y aura des procédures, et nous verrons dans quelles conditions ces permis de construire ont été octroyés. Ne préjugeons pas des responsabilités. Mais la pression démographique ne va pas se calmer, alors nous devrons rester fermes en rappelant que le risque est désormais le seul critère premier, indiscutable et incontournable pour l’octroi des permis de construire sur les côtes.
Sauf que ces risques étaient déjà en partie connus depuis la tempête de 1999. Pourquoi ne pas en avoir tiré les conséquences ?
C’est pour cela aussi que cette fois nous persisterons dans les expropriations à mener dans les zones les plus dangereuses. C’est le rôle de l’État de dire aux gens « vous ne pouvez pas rester là » lorsque leur sécurité est en jeu. Je sais que c’est difficile à vivre, mais nous ne ferons plus d’arbitrage entre la pression immobilière et le risque humain. En contrepartie, des ateliers littoraux vont être organisés afin de permettre à ceux qui veulent rester dans la région de s’installer dans l’arrière-pays.
La culture du risque ne semble pas une spécialité en France, où l’on semble donc découvrir des événements qui nous ont déjà frappés ?
C’est vrai que nous ne sommes pas très bons dans la culture du risque, surtout en métropole. Outre-Mer, avec la régularité du risque cyclonique, celle-ci est fortement intégrée dès l’école. Nous avons également trop peu de plans communaux de sauvegarde. Dans un récent sondage commandé par la Croix-Rouge, j’ai remarqué que si 64 % des Français considèrent que leur pays est exposé à des dangers, seulement 33 % d’entre eux estiment que ces risques sont importants dans leur région. Ils pensent que ça n’arrive qu’aux autres.
Vous semblez opposer culture du risque et aménagement du littoral. Mais si l’exemple hollandais a été évoqué au lendemain de Xynthia, il semble redevenu tabou. Sommes-nous condamnés à avoir peur de la mer, et à nous en éloigner ?
L’aménagement n’est pas un tabou, non, et c’est justement pour cela que des expertises supplémentaires sont en cours afin de réduire le plus finement possible le zonage grâce à d’éventuels aménagements. Mais la culture française n’est pas la poldérisation. Si vous me demandez de gagner des territoires sur la mer comme aux Pays-Bas, ma réponse est clairement non.
Comme ailleurs, l’élévation du niveau de la mer semble malgré tout inéluctable ?
Oui, et le bruit a d’ailleurs couru que nous allions prendre le niveau Xynthia plus un mètre pour évaluer l’habitabilité. Ce serait excessif, mais on ne peut pas faire comme si le changement climatique n’existait pas. Sur la question des seuils plancher, nous aurons donc des traitements différents selon que l’on est situé dans une zone déjà construite, ou bien à l’inverse dans une zone non encore ouverte à l’urbanisation. Il ne faut pas retomber dans les problèmes qui ont conduit à Xynthia, et je ne fermerai pas les yeux sur les risques majeurs.
Le ministère de l’Écologie et du développement durable devrait être porteur d’espoir, d’avenir. N’avez-vous pas plutôt le sentiment qu’il devient d’abord celui des catastrophes naturelles ?
La particularité de ce ministère est justement qu’il gère à la fois les crises et le très long terme. Je dois m’occuper des problèmes de neige à l’aéroport, comme de savoir si, oui ou non, la mer aura monté d’un mètre dans cent ans. C’est parfois un peu schizophrène, mais c’est bien mieux que les deux bouts de la chaîne dépendent du même ministère, contrairement à certains pays où il existe un ministère des catastrophes naturelles. Je trouverais dommage que ceux qui font les plans d’urbanisme ne soient pas ceux qui gèrent les drames. Il faut juste réussir à ne pas être trop mangé par l’actualité. » Sud-Ouest le 17 février 2011.
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