Couple Franco-Allemand : la « guerre » d’influence, vers le divorce ?
Le couple Franco-allemand serait-il devenu celui des parents « pauvres » de l’Europe ? Pour ce qui est de la vision de l’Histoire, ce n’est pas impossible. Il semble pour le moins avoir commis bien des erreurs en son sein autant que dans sa conception de la famille qu’il entendait rassembler. Gardons que depuis le Traité de l’Elysée en 1963 marquant les premiers élans sérieux du couple, la relation fût mouvementée. La formulation admise, celle d’un « couple » n’étonne personne. Elle parle et interroge pourtant. Ainsi, les médias soulignaient récemment au titre d’information primordiale que le président Français passait sa nuit à Berlin lors de la dernière entrevue avec la chancelière, outre la réputation de Mr Sarkozy d’aimer rentrer à l’Elysée durant les sommets. Un couple d’états, faute d’une vraie Europe ? Si la France fût vaillante dans le sauvetage de la zone euro avec la volonté de garder sa notation triple A, l’attitude de l’Allemagne paraissait moins passionnée par l’enjeu. Le 25 Juillet dernier dans Der Spiegel, le député eurosceptique FDP Frank Schäffler soulignait que "La castration du Bundestag allemand à travers les résolutions prises au niveau européen continue de plus belle". Une "castration" ? La qualification est plus habituelle en psychologie conjugale qu’en économie. Crise du couple...
A la base l’objectif de l'union était noble. Nous n’avons cessé de nous en éloigner. Certains couples portent en eux, historiquement ou dans leur genèse et leur mémoire, une sorte d’incompatibilité intrinsèque. Sans exclure une très bonne entente, le rapprochement ne pourrait être total, chose indispensable à la viabilité de l’Europe et de l’Euro.
Les guerres des générations passées allaient être vaincues par la plus jeune génération, et par la bonne entente économique et marchande. Le terme de « commerce » retrouverait son sens relationnel premier. La "psychogénéalogie d'Etat" marquerait ses plus belles lettres de noblesse au niveau Historique. Hélas, le couple franco-Allemand faisant des choix et stratégies économiques différentes courait rapidement à sa perte. L'image de Mitterrand et Kohl, main dans main, serait-elle devenue un vieux souvenir de famille ? Le sommet d'un couple hélas destiné à rompre un jour ou l'autre ?
Si l’Allemagne s’inscrit pour le moins depuis 12 ans dans un modèle de développement industriel reposant sur l’exportation (Europe, Asie…), la France mise à contrario sur la consommation. Espérer en une symétrie ou convergence de performance serait de fait, illusoire. Si le couple maintenait son serment « a minima » de paix dans sa relation, il fît précocement chambre à part sur le plan économique. L'Euro serait mort-né...
De même, plutôt que de se consacrer à l’approfondissement de sa base la plus solide ayant accueilli ses premiers « enfants », le couple Franco-Allemand préféra miser premièrement sur l’élargissement. Une maison sans fondation solide et éprouvée ne pouvait que mal supporter un empilement rapide d’étages successifs. On adoptait ainsi de très nombreux « enfants » ayant connus jusqu’alors une évolution et une culture toutes différentes de celle du couple fondateur. Coûte que coûte (ou que couple), la maison devait en imposer au monde entier par sa taille plutôt que par sa solidité véritable. Vivant correctement à 8 ou 9 sous un bon régime de communauté, on étendait sans réelle préparation le territoire, à 17 pays. Cette extension de surface et de nouvelles lois se produisait parfois en catimini, contredisant sur bien des sujets la vox populi de certains premiers "enfants" s’étant prononcés par référendum. N’y insistons pas. Bafouer la sensibilité et psychologie communautaires porte en germe un retour de bâton proportionnel. Nous y sommes. Le couple fait bonne figure. Qui peut y croire ?
Rapidement la « progéniture » élargie joua les deux membres du couple l’un contre l’autre, variant selon les circonstances et les intérêts. Finalement le vilain canard anglais tournant son cœur vers l’oncle d’Amérique, incarnait une forme de fidélité dans son infidélité assumée. En réaction, l’Allemagne ne tarda pas à fédérer les Pays Bas et l’Autriche de façon privilégiée, délimitant de fait la partie Nord de la famille Europe. La France aggloméra l’Espagne, le Portugal et l’Italie, en cellule de base Latine. Le « G2 » européen comptait ses bataillons.
Si au sortir de la deuxième guerre mondiale le pacte fût d’organiser un bon « commerce » pour éviter tout nouveau conflit armé, une sorte d’amour-haine perdure depuis dans la mémoire commune conflictuelle. L’on rêva longtemps d’un mariage, tout indique qu’il s’agisse plutôt d’un sous-pacs prolongé. On ne fonde pas une identité commune par la finance et l’économie. L’union aurait gagné à se passer premièrement la bague politique et culturelle. Tous les nouveaux « enfants adoptés » de l’Europe savent que cette union élargie ne tiendra pas sans un lien fort Franco-Allemand. Pour l’essentiel, le sujet reste tabou.
Parvenant magistralement à réintégrer sa partie Est longtemps maintenue en prison de sous développement par l’ex URSS, l’Allemagne a su parallèlement équilibrer ses comptes au prix d’une politique de rigueur, ces 10 dernières années. La France laissa à contrario filer sa dette. Le vilain canard de Grande Bretagne et le joyeux drille Italien firent preuve d’une rigueur certaine. Un des deux parents de l’Europe ne donna pas le bon exemple, la France.
L’Allemagne pensait porter toute la famille avec cette dernière. Le doute s’installa. Au panier du pacs intial, le Mark fort et puissant fût sacrifié dans le « Oui » scellant l’union jusque dans le compte bancaire. Restant conscient de représenter potentiellement la deuxième puissance mondiale, le couple fondateur commença à vaciller. Difficile de nier la responsabilité première de la France dans cette dégradation.
Après tant d‘efforts et la cession de tous ses bijoux de famille l’Allemagne accepte de moins en moins de payer pour les fautes des autres. Comment contester la légitimité de cette attitude ? La France donnait des leçons qu’elle ne s’appliquait pas. L’Allemagne se comporte de façon exemplaire mais devrait en outre subir sans cesse des préjudices financiers incombant à d’autres. Le risque de dislocation, pour le moins de séparation amiable, n’est plus exclu. Serait-ce aussi dramatique que nous l’annoncent les mêmes commentateurs prévoyant une hécatombe en cas d’un « Non » majoritaire au référendum passé ?
Il y a l’Amérique Latine et l’Amérique du Nord. Il en serait possiblement de même en Europe. Pour peu que l’Allemagne décide un jour de se retirer de l’Europe actuelle, nous verrons que l’attachement de bien des pays trop tôt intégrés était bien relatif. L’intérêt fonde le seul lien « familial ».
On évalue à 2000 milliards d’euros le montant nécessaire au rétablissement de tous les pays de la grande Europe actuelle. Si l’on vient péniblement de consentir (Etats, banques, assureurs et fonds d’investissements) à rassembler environ 160 milliards d’euros pour maintenir la Grèce sous perfusion, la prochaine intervention pourrait donc entraîner le départ de l’Allemagne. Mettre en commun toute la dette de l’Europe ? L’attitude de l’Europe (riche) du Nord tendrait assurément vers le divorce. La crise grecque ? Celle de l’Euro ? Elles incarnent une clause de rupture plus générale, autant que les vices de formes nourris par toute la grande Europe artificielle.
Pailler provisoirement à la défaillance grecque traduisait la philosophie solidaire initiale de la famille Europe. Hélas, les avoirs grecs placés en Suisse sont nettement supérieurs à la dette affichée officiellement. L’Europe ne s’inscrit déjà plus dans une moralité et solidarité d’intérêt général. Les abus se multiplient (financements divers peu justifiés, rétribution démesurées de certains serviteurs institutionnels…), et ce, dans l’abstention « parlante » ou indifférence des peuples lors des scrutins. Si la Grèce a baissé de 15 % les salaires de ses fonctionnaires (nous devrons en faire de même ! ), le double langage de la Grèce, pays symbolique de notre civilisation, traduit un manque croissant d’Ethique et de lisibilité de l’Institution Européenne actuelle. Les peuples ne sauraient avoir toujours tort. Une Europe de l’Elite, sans incarnation et soutien populaires, ne sera jamais qu’une vue de l’esprit.
Insistons ici, à nouveau, sur tous les efforts consentis par l’Allemagne, ayant eu à gérer sa réunification, dans le sacrifice de sa monnaie longtemps la plus puissante de l’Europe. Ne demandons nous pas trop à l’Allemagne dans le chantage non explicitement avoué sur ses crimes historiques passés ? Ce grand pays semble avoir payé sa dette. S’appuyant sur ce non-dit mémoriel, la France s’apparente de plus en plus en Europe (notamment depuis le départ de Jacques Delors) à un enfant terrible peu digne de prétendre au statut de « parent » de l’Europe. Le couple n’est plus légitime.
Ainsi, au regard d’un modèle différent de développement économique, d’un élargissement idéologique accéléré vide de toute maturité, de l’approfondissement si précaire des intégrations en chaîne, du laisser-aller économique de la France, de l’abus de pays « adoptés » plus récemment… le couple Franco-allemand parait avoir entamé sa procédure de séparation des biens. La « fiction » de l’Europe demeure. Le divorce radical et brutal peut-il encore être évité ?
L’enjeu serait désormais de mettre une sorte de Bi-Europe sur les rails. La France et l’Allemagne se retrouvent à nouveau face à face, autant que face à leur responsabilité. Renvoyer le projet des Etats-Unis d’Europe dans un futur hypothétique de 50 ans ne serait pas forcément un drame, quitte à inscrire dés à présent la France et l’Allemagne dans cette mission de fédérer, l’une le Sud, l’autre le Nord de l’Europe. L’euro trouverait de fait la double valeur réclamée par certains. L’Eurofrancs et l’Euromark seraient nés. Un pouvoir plus politique dual pourrait émerger. L’union économique et marchande serait maintenue sur toute la grande Europe de façon privilégiée. La France trouverait, ou retrouverait, sa mission historique (une langue, une culture, un modèle social, une philosophie Humaine puisée dans tout* son héritage…) qui lui incombe, à la tête de cette fédération de l’Europe du Sud. Un projet irréaliste ? Lui préférer la dislocation totale ?
L’Euro sembla longtemps impossible à réaliser. Il en est de même aujourd’hui pour l’émergence de ces deux fédérations amies. Quitte à accepter cette séparation de corps et de biens, évitons surtout un divorce brutal opposant à nouveau la France et l’Allemagne. Le passé nous rappelle à l’ordre. La « guerre totale » politico-économique Franco-Allemande ne doit pas avoir lieu.
Il n’en demeure pas moins qu’au fil du temps le couple Franco-Allemand n’est pas sans se déliter. L’idylle fût parfaite du temps de Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, puis de Mitterand et Kohl. Le duo Jacques Chirac et Gerhard Schroder fonctionnait encore, mais plus autant. Avec Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, le cœur n’y est vraiment plus et la raison s’oppose.
L’Europe en version première, trop élargie, à marche contrainte, ne séduit plus grand monde. Le « couple » non plus. Ces deux pays longtemps situés en pires ennemis ne semblent pas avoir vraiment fait un jour le choix du mariage. Au gré des relations personnelles, le « pacs » de paix aura connu des phases plus ou moins intenses. L’échec de l’Europe alimente une « guerre » d’influence non publiquement avouée. Que chacun développe et dirige sa part de fédération maintiendrait intact le rêve futur d’une nouvelle Union des Etats. Prolonger la dégradation actuelle solderait une fin possiblement, définitive.
En France et en Allemagne, les parlementaires viennent péniblement de s’entendre pour venir en aide à la zone euro, à l’Europe. Cela mettra t’il fin durablement à la crise que traverse l’Europe, et surtout le couple Franco-Allemand. ? Le député allemand Wolgang Schauble affirmait ces jours-ci dans une interview au magazine Stern. “Il serait faux de croire que la crise de confiance dans la zone euro va s’achever grâce à un seul sommet”. Personne n’en doute.
Depuis quelques années le couple Franco-Allemand se livre donc une guerre d’influence. Cela ira-t-il jusqu’au divorce avec scission radicale de l’Europe ? La réponse affirmative devient chaque jour plus probable
Guillaume Boucard
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