Geuros : Billet sans retour pour la Grèce
Il y a trois manières de se séparer. La lâche consiste à mettre son conjoint devant le fait accompli, par exemple, en sacrifiant une journée de RTT pour emporter, avec l'aide d'un vieux pote, ses affaires de l'ancien nid d'amour vers une nouvelle destination.
La responsable est plus simple en apparence, on explique les yeux dans les yeux à son ancien amour que la flamme qui nous animait s'est éteinte et qu'elle s'est rallumée pour une autre personne.
La méthode hypocrite demande beaucoup plus d'imagination et de maitrise dans son exécution, on dit qu'on a besoin d'un peu de recul pour pouvoir se ressourcer et que pendant cette période introspective on va aller vivre chez un ami.
On ne peut pas exclure que cette proposition est un moyen déguisé de s’immiscer dans la campagne législative grecque pour influer les électeurs dans un sens ; celui des partis politiques voulant respecter les engagements pris auprès de la troïka mais qui sont en grande difficulté (voir mon article Le retour de l'Armée : la seule solution pour la Grèce ?). D'ailleurs T. Mayer le dit lui même, cette option est envisageable seulement en cas de victoire des opposants au mémorandum signé entre le troïka et Athènes.
Mayer propose la création d'un monnaie parallèle à l'euro, mais nationale. Le Geuro servirait seulement de monnaie de règlement aux agents économiques grecs entre eux. Les importations, et Dieu sait qu'elles sont importantes dans un pays qui n'a pas d'industrie), se régleraient en monnaie internationales, en particuliers en "vrais" euro ou en dollar. Le nouveau titre de paiement serait dévalué dés son lancement de 50% par rapport à l'euro.
La proposition n'a rien d'originale, elle a été utilisée par la Californie lorsque cet état n'arrivait pas à boucler son budget (sa constitution lui interdit d'être en déficit). Sacramento (c'est la capital de la Californie) utilisait une reconnaissance de dette nommée IOU ( I Owe Unto, Je vous dois en français) pour régler ses créanciers quand il n'y avait plus de bon dollars américains dans les caisses. Ces IOU, à la différence de la lettre de change, ne comportaient aucun terme, le détenteur de cette créance ne serait payés que quand l'Etat le pourrait ; une semaine après, un mois, un an, dix ans. Sécurisant non ?
Les deux grandes différences entre le Geuro et le IOU sont :
1- Le titre californien est libellé en dollars alors que le Geuro n'est que convertible en euro. Cela signifie qu'on ne peut pas connaitre par avance la valeur d'échange du Geuro que l'on a dans les mains et donc que le citoyen grec subit un grand risque de change.
2- Le Geuros pourra être utilisé par les Grecs comme moyen de règlement pour payer sa facture d'électricité ou ses impôts (enfin pour les rares qui le font...je plaisante).
Une usine à gaz et beaucoup de zones d'ombre
Le projet présenté par Mayer est un peu une usine à gaz, mais cela est normal, introduire une deuxième "monnaie" dans les circuits de règlement d'un pays n'est jamais chose aisée et cela sera encore plus vrai pour un pays désorganisé comme la Grèce. Cependant ce problème est mineur par rapport à la question la plus importante qui est les modalités d'application de cette réforme monétaire : quels sont les "heureux" élus qui seront payés en Geuro et comment se fera le passage de l'euro vers le Geuro.
Il ne faut pas perdre de vu d'abord que l'objectif politique de cette option est de laisser la Grèce juridiquement dans la zone euro pour ne pas avoir à renégocier les traités européens puisque toute sortie de la zone euro est impossible sans quitter l'Union européenne à moins d'obtenir l'accord à l'unanimité de ses 28 pays. A cela s'ajoute une dimension symbolique vis-à-vis du reste du monde ; L'Europe est solide et solidaire et vous, bande de spéculateurs, n'essayaient pas d'attaquer l'Espagne ou l'Italie.
Si l'Etat grec décide d'effectuer tous ses paiements en Geuro et de retenir, par exemple, une conversion des pensions et des salaires des fonctionnaires à parité égale cela signifiera que le policier qui gagne 2.500 euros par mois se retrouverait à toucher le même montant dans la nouvelle devise, 2.500 Geuro, du jour au lendemain alors que les produits d'importation (c’est-à-dire tous les produits manufacturés et l'énergie) verraient leurs valeurs multipliés pas deux. Donc une division par deux du pouvoir d'achat pour celui qui ne consomme que des produits importés et peut-être une baisse du pouvoir d'achat de 15 ou 20% pour les autres. Baisse qui viendraient bien sûr s'ajouter au celle déjà subies depuis 2009. Le temps où les Grecs regardait d'un air hautain et condescendant leurs voisins Bulgares ou Turcs est révolu.
Quid des dépôts des banques dans les banques grecs ? Le problème semble s’évacuer de lui même car avec le bank run (fuite d'argent vers des banques situées hors du pays) et de l’appétence des Grecs pour les placements dans des titres boursiers de sociétés allemandes, il ne doit plus rester grand chose dans les livres de compte des banque hellènes. Et pourtant Mayer propose de ne pas toucher à cet argent placé en Grèce, ce qui signifie que le Fonds européen de stabilité financière devra recapitaliser le système bancaire national.
Les obligations d'Etat ne seraient pas rembourser mais c'est pas si grave car les créanciers ne se faisaient pas beaucoup d’espoir.
L'usine à gaz dans l'usine à gaz est la fixation du cour de change entre le Geuro et l'euro.La Banque allemande propose de faire évoluer le taux de change de la nouvelle monnaie selon le solde de la balance des paiements ou le solde primaire du budget (ce n'est pas claire, j'ai lu les deux solutions, la première me semblant la plus pertinente) ; en cas de déficit le Geuro baisse et le pays se paupérise un peu plus alors que si il y a excédent le Geuro remonte. Ce n'est plus les marchés des changes qui fixent le taux mais la BCE qui l'administre. A voir, car entre la "main invisible du marché" et celle d'un banquier central, je ne sais pas laquelle des deux est la plus compétente en la matière (en libéral je penche tout de même pour le marché). Le cas idyllique est que l'Etat grec gère tellement bien ses finances (on a le droit de rêver) qu'il n'a plus besoin d’émettre de Geuro et que ceux circulant disparaissent. Finalement on reviendrait à un taux de parité avec l'Euro, 1 pou 1, et la Grèce redeviendrait un membre de la zone euro à part entière.
Vous l’aurez donc compris, le Geuro n'est pas vraiment une nouvelle monnaie ni totalement un titre de dette. Un hybride peut-être. Difficile à dire tant la proposition de Her Mayer manque de précision sur les termes de l'application
La seule chose qui est certaine est qu'en cas de victoire du Mélanchon dorien, le statut quo monétaire de la Grèce ne serait plus envisageable, pas plus que les milliards d'euro promis en échange de réformes économiques que ce parti politique refuse d'appliquer.
Le Geuro, bonne ou mauvaise solution, nouvelle monnaie ou pas ? La seule chose qui est certain, à mes yeux est que cette nouvelle monnaie ou titre de créance ressemble furieusement à un billet sans retour
7 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON