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Accueil du site > Actualités > Europe > Jan Palach sera-t-il un jour béatifié ?

Jan Palach sera-t-il un jour béatifié ?

« Il est manifeste qu’un seul homme en apparence désarmé mais qui ose crier tout haut une parole véridique, qui soutient cette parole de toute sa personne et de toute sa vie, et qui est prêt à le payer très cher, détient, aussi étonnant que cela puisse paraître, et bien qu’il soit formellement sans droits, un plus grand pouvoir que celui dont disposent dans d’autres conditions des milliers d’électeurs. » (Vaclav Havel, 1989).



Quand je suis allé visiter pour la première fois Prague au Nouvel an 1995 avec des amis de Nancy (Prague est bien plus proche que Nice de l’ancienne capitale des ducs de Lorraine), la première chose que nous avons faite, ce fut d’aller sur la fameuse Place Venceslas (qui a beaucoup changé maintenant). Au fond, il y avait cet énorme bâtiment noir qui était l’ancien siège du parti communiste tchécoslovaque, de sinistre mémoire. Au milieu de la place, il y avait une petite stèle avec des fleurs naturelles. Jan Palach s’était immolé à cet endroit il y a exactement cinquante ans, le 16 janvier 1969.

Pourquoi ce recueillement presque urgent quelques années après la chute des dictatures communistes en Europe ? Une émotion, une reconnaissance, une compassion.

Le geste désespéré de Jan Palach avait tout pour être un symbole marquant. Étudiant en économie à Prague, Jan Palach est né le 11 août 1948. Il a passé son baccalauréat quelques semaines avant ses 18 ans. En 1967, il a fait un stage au Kazakhstan puis, en été 1968, un stage à Saint-Pétersbourg (à l’époque Leningrad), et quelques semaines en automne en Bourgogne pour les vendanges. La vie "ordinaire" d’un étudiant.

Pas si ordinaire cependant car le 21 août 1968, les chars du Pacte de Varsovie sont entrés à Prague pour mettre fin à "l’expérience" du "socialisme à visage humain" du Printemps de Prague. Jan Palach a expliqué son geste comme réaction à l’invasion militaire de son pays depuis quelques mois. En somme, pour secouer ses compatriotes qui paraissaient indifférents à leur oppression. Il est mort de ses brûlures le 19 janvier 1969.

Mourir à 20 ans, c’est peut-être ce qu’il y a de pire. Avec toutes les forces, physiques, affectives comme intellectuelles, encore en devenir, encore un potentiel d’existence, tout reste possible, tout est ouvert.

Le feu. Torche vivante. Dans mon imaginaire d’enfant, je pensais que la Passion du Christ n’était pas le destin le plus cruel, la crucifixion devait être terrible, mais quand on est enfant, on peut avoir tendance à hiérarchiser les supplices, à hiérarchiser les châtiments. Or, le destin qui m’effrayait le plus et probablement, qui continue encore à m’effrayer le plus, c’est celui de Jeanne d’Arc. La fin de Jeanne d’Arc. Le bûcher. Brûlée vive. On dit que dans des incendies, souvent, les victimes meurent asphyxiées avant d’être brûlées. Peut-être, mais certainement pas toujours. Le feu fascine, le feu angoisse, le feu est symbole aussi d’épuration.

Le suicide par le feu est sans doute le résultat d’une très forte détermination, très volontaire, très politique aussi, mais aussi un geste désespéré, de celui qui pense qu’il n’y a plus rien à faire sinon attirer l’attention par le sordide, par le plus sordide. Et effectivement, son geste a attiré l’attention, celle des gens de son pays, mais aussi de toutes les nations terrifiées par ce geste.

Fut-il inutile ? Je suis de ceux qui croient profondément que jamais rien n’est inutile, ou alors, tout est inutile. Aucun geste, aussi petit, aussi fort, aussi anecdotique soit-il, n’est inutile, et ce suicide, au-delà du deuil infini et de la tristesse irrémédiable, a frappé l’imagination, a rendu responsable la dictature communiste de cette mort atroce.

Deux autres jeunes Tchécoslovaques ont suivi Jan Palach dans les mêmes circonstances horribles, Jan Zajic (18 ans) le 25 février 1969, le jour du vingt et unième anniversaire de la prise du pouvoir des communistes en Tchécoslovaquie, et Evzen Plocek (un ouvrier de 39 ans) le 4 avril 1969 (il est mort cinq jours plus tard des suites de ses blessures).

Les funérailles de Jan Palach furent l’occasion d’une manifestation de plusieurs milliers de personnes à Prague le 25 janvier 1969 pour rendre hommage à l’étudiant qui a donné sa vie aux libertés. L’enterrement des deux autres personnes qui se sont immolées pour la même raison a été différent car les autorités communistes ont interdit qu’il ait lieu à Prague et ont voulu limiter au maximum sa signification politique.

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Geste inutile ? Sûrement pas car pour commémorer le vingtième anniversaire de la mort de Jan Palach, des manifestations très soutenues ont été organisées en janvier 1989 par l’opposition, à une époque où le régime communiste vacillait déjà. Il n’était plus question de répression sanglante, selon la volonté de Mikhaïl Gorbatchev, le "grand chef" des dictatures communistes en Europe, devenu par la suite leur liquidateur. Pas de sang, mais des arrestations.

Jugé très rapidement, le dissident Vaclav Havel, arrêté le 16 février 1989 pour s’être recueilli en hommage à Jan Palach, a été condamné à neuf mois de prison ferme le 20 février 1989. D’autres dissidents furent condamnés pour la même raison.

Quelques mois plus tard, l’étoile de Jan Palach s’est illuminée. La chute du mur de Berlin a entraîné, comme un jeu de dominos, la chute de tous les régimes communistes en Europe centrale et orientale en quelques semaines (jusqu’à l’URSS elle-même le 25 décembre 1991). En Tchécoslovaquie, on appela ce renversement de régime, le 16 novembre 1989, la "Révolution de velours", car il n’y a eu aucune victime.

Quant au dramaturge dissident qui avait été emprisonné pour un simple dépôt de gerbe, l’histoire, dans son dénouement inattendu et soudain, a fait un pied de nez aux anciens dirigeants communistes : le 29 décembre 1989, Vaclav Havel a été en effet élu Président de la République fédérale tchèque et slovaque, renvoyant dans les oubliettes de l’histoire Gustav Husak, le "normalisateur" si fidèle à Brejnev

Alors, Jan Palach béatifié ? Il s’est à l’évidence sacrifié pour les peuples tchécoslovaques, et son martyre n’a pas été vain puisque la liberté l’a emporté sur le communisme. En revanche, il me semble que l’Église catholique ne béatifie que des catholiques. Or Jan Palach, comme beaucoup de ses compatriotes, était membre d’une église réformée appartenant à la Fédération luthérienne mondiale. De plus, il n’est pas pertinent que l’Église catholique puisse "récupérer" cet acte héroïque qui appartient aussi à ceux qui n’ont pas la foi catholique.

En vertu de ce principe de laïcité, la réponse sera donc plutôt non, mais ce qui est paraît en revanche certain, c’est que tout humain libre a une dette envers Jan Palach et ceux qui, comme lui, ont perdu leur vie pour défendre les libertés, libertés dont j’ai joui moi-même lorsque j’ai fait ce voyage.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 janvier 2019)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jan Palach.
Vaclav Havel.
Le Printemps de Prague.
La Révolution russe.
La désoviétisation de la Russie.

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12 réactions à cet article    


  • troletbuse troletbuse 16 janvier 2019 13:03

    Je n’en sais rien. Mais vous le serez peut-être un jour .. par Micron smiley


    • Rincevent Rincevent 16 janvier 2019 13:43

      Je ne comprends pas pourquoi l’auteur fait un article sur une éventuelle béatification d’un… protestant. Il est heureux que l’Église ne béatifie que les catholiques ! Car si elle se mêlait du cas d’un protestant tchèque, il faudrait lui rappeler son attitude, jadis, dans ce pays : https://fr.wikipedia.org/wiki/Croisades_contre_les_hussites

      Moi aussi, je suis allé place Venceslas, peu de temps après que le mur soit tombé. Je m’étais juré de le faire quand, en 1968, stationné en Allemagne, face au saillant tchèque, j’entendais à la radio les appels au secours des Pragois. Par le renseignement militaire, nous savions depuis un moment ce qui allait se passer. Nous savions aussi qu’on ne bougerait pas, c’était politiquement et militairement exclu. Je suis resté planté devant mon (vieux) char, la rage au ventre…

      A l’époque, il n’y avait pas de stèle, juste un rond de terre, tenu par un petit muret, sa photo et des fleurs, toujours fraiches durant mon séjour. Par contre, il y avait déjà un MacDo sur la place…


      • Christian Labrune Christian Labrune 16 janvier 2019 13:43

        à l’auteur,

        J’ai la plus grande admiration pour Jan Palach. Qu’il soit ou non béatifié, cela m’est complètement égal. Au reste, du fond de son néant, s’il pouvait encore un jour dire quelque chose au pape qui se serait rendu responsable d’une pareille incongruité, il lui ferait probablement la même réponse que Junie à Néron dans la pièce de Racine : « je n’avais mérité / Ni cet excès d’honneur ni cette indignité ».

        Ce qui serait bien avant cela, c’est que le Saint-Père entreprît de béatifier un Giordano Bruno tout aussi héroïque que le Pragois. Ces héros auront été les victimes de deux totalitarismes infects, et il serait malséant que Palach, sans même qu’on lui demandât son consentement, devînt une icône destinée à redorer le plus ancien des deux.


        • simir simir 16 janvier 2019 14:18

          J’ai le plus grand dégoût pour Palach.

          Il devait être passablement dérangé car vu sa biographie ci-dessus il bénéficiait de conditions très favorables pour sa formation en économie, ce dont ne bénéficiaient pas ,à cette époque , les fils d’ouvrier en France.

          Le pacte de Varsovie, ne l’oublions pas a été appelé par une partie du PCT dont Vasil Bilak qui s’est retrouvé pour cela en prison en 1990, à l’âge de 80 ans par la volonté de Havel, grand démocrate qui, ayant tellement rêvé de nomenclatura a voulu essayer une fois au pouvoir.

          Il avait un superbe pavillon au Portugal, se faisait soigner en Autriche et avait comme voiture présidentielle une BMW... Eh oui il aimait tellement son pays qu’il préférait rouler allemand plutôt que Skoda ou Tatra comme le faisaient les dirigeants communistes qui eux étaient de véritables patriotes.

          Ceci dit je préférerais que l’on s’apitoie sur les suicidés français comme les agriculteurs, les France Télécom. Dans notre pays un suicidé par jour parce que notre société capitaliste ne leur permet plus de vivre de leur travail, ou les brime et les infantilise comme ce fut le cas à FT ;

          Et puis pour revenir à Palach faudrait le béatifier.... Mais la religion n’interdit elle pas le suicide ?


          • Christian Labrune Christian Labrune 16 janvier 2019 15:14

            @simir

            Vive Lénine ! Vive Staline ! Vive Mao ! Vive Castro ! Vive Pol Pot ! Vive Kim Jong-Un, l’actuel génial dirigeant de la Corée du Nord !
            Et que crèvent tous les sales ennemis du paradis communiste !


          • simir simir 16 janvier 2019 14:26

            (suite)

            L’intervention de 68 n’a fait que retarder ce qui est arrivé 30 ans plus tard pour conduire ce pays au rang des pays d’Europe les plus corrompus et qui a fini par copier ce que nous avons de plus mauvais dans notre vie quotidienne ; bouteilles et plastiques divers, centres commerciaux géants à l’extérieur des villes dans un pays où beaucoup et surtout les retraités n’ont pas de voitures, études payantes et SMIC à 500 €/mois alors que les prix sont sensiblement les mêmes que chez nous.

            Les soviétiques ont aussi, ce faisant, gagné 30 ans avant de voir des missiles étasuniens à leur porte. Vous savez ces missiles pour l’Irak... Je me demande si Palach aurait cru à cela ?

            Un mensonge : l’immeuble noir en haut de la place Venceslav n’est pas le siège du PC mais est et était un musée.


            • simir simir 16 janvier 2019 15:24

              @ tu confonds tout labrune

              C’est l’armée communiste du Vietnam qui a renversé Pol Pot .

              Pour le reste oui. Quoique pour la Corée du Nord faut pas que je les soutienne trop haut car je risquerais de me retrouver en prison comme Benoit Quennedey.


              • Jean Keim Jean Keim 17 janvier 2019 08:44

                La béatification se fait d’après quelles règles, ne sont-elles pas que des conventions humaines ?


                • Pascal L 17 janvier 2019 14:01

                  @Jean Keim
                  Ce sont forcément des conventions humaines, Jésus n’a jamais ordonné de canonisation. En fait pour devenir un saint catholique, il faut démontrer que la personne vivait dans l’amour de Dieu et répercutait cet amour envers les hommes. Un saint est une personne décédée qui a déjà eu accès au salut donné par Dieu et qui le démontre d’une certaine manière. En particulier, il doit être possible de démontrer que plusieurs guérisons inexpliquées ont eu lieu par son intercession. Cela part de l’idée que si la guérison a eu lieu, c’est que le Saint est proche de celui qui guérit.
                  Dans ce cas, son sacrifice montre un attachement au peuple Tchèque, mais cela ne suffit pas à le déclarer saint. Il faudrait pouvoir démontrer que sa motivation était bien l’amour et qu’il a vécu en mettant cet amour en pratique de manière généralisée et pas seulement sur un cas particulier. Sa foi protestante risque d’être un frein à sa canonisation. Les protestants ne reconnaissent que des vivants comme saints par peur de l’idolâtrie. C’est d’ailleurs ainsi que sont nommés les premiers Chrétiens. Deux approches de la sainteté qui ont des avantages et des inconvénients. le culte des Saints catholiques tient parfois plus de la superstition que d’autre chose chez les catholiques culturels mais peut aussi montrer des exemples de vie qui conduisent au salut de Dieu.


                • Jean Keim Jean Keim 17 janvier 2019 16:06

                  @Pascal L

                  Oui je pensais effectivement à Jésus qui recommandait de ne pas se préoccuper de sa réputation ici-bas, l’essentiel ne réside pas en cela ; c’est incroyable la quantité de préceptes que les églises ont cru bon de rajouter aux 4 évangiles.


                • Eric F Eric F 17 janvier 2019 10:38

                  Il s’agit plutôt d’une « héroïsation » posthume, il n’y a pas de caractère religieux à son acte.


                  • Decouz 17 janvier 2019 17:38

                    Sophie de Villeneuve : Les évêques de France ont récemment décidé d’ouvrir le procès en béatification de la poétesse Marie Noël. Qui était-elle ?

                    https://croire.la-croix.com/Definitions/Figures-spirituelles/Marie-Noel/Marie-Noel-une-sainte

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