Le Pays des Aigles et l’Union européenne
Dans le tumulte de la guerre civile en Ukraine et avec l’avènement de l’État islamique au Moyen-Orient, l’accord du Conseil européen du 27 juin 2014 à la candidature de l’Albanie à l’Union européenne est passé relativement inaperçu.
L’Albanie appelée Shqipëria, littéralement le Pays des Aigles en albanais, a-t-elle vocation à rejoindre l’Union européenne ?
Un voyage de 8 jours dans ce pays durant cet été m’a permis de me faire mon opinion sur le sujet.
L’Histoire du pays.
Elle remonte à l’antiquité quand cette région s’appelait l’Illyrie et fut colonisée par les grecs et ensuite par les romains. Le Grand Schisme d’Orient divisa le pays entre une communauté catholique au nord et orthodoxes au sud.
À la fin du XVe siècle, l’Albanie passa sous domination ottomane pour cinq siècles. Progressivement, la majorité des Albanais adopta l’Islam comme religion.
L’Albanie déclara son indépendance en 1912 et se détacha de l’homme malade de l’Europe. Ses voisins grecs, serbes, bulgares et monténégrins s’approprièrent alors de grands pans de territoires albanais.
Après la seconde guerre mondiale, le pays bascula dans le camp communiste. L’Albanie sous l’impulsion d’Enver Hoxha se rapprocha de la Chine de Mao à partir de 1961. Elle devint un pays fermé vivant en autarcie et elle garde encore cette image aujourd’hui.
Le pays effectua un tournant en 1998 et, avec sa nouvelle constitution, il devint une démocratie libérale.
L’Albanie rejoignit l’OTAN avec la Croatie en 2009.
L’économie de l’Albanie.
L’Albanie a une population d’un peu plus de 3 millions d’habitants et une superficie à peu près égale à celle de la Belgique. 70 % du territoire est constitué de montagnes difficilement accessibles. Le reste du pays est constitué de plaines agricoles mais en grande partie arides.
L’agriculture représente donc une partie importante de l’économie. Elle occupe 60 % de la population.
Le tourisme est en plein développement et est aussi un moteur économique du pays.
L’importante diaspora albanaise d’environ 1 /3 de sa population apporte un flux de devises vital pour le pays.
Une autre part non négligeable de l’économie est produite par l’économie parallèle. On y reviendra plus loin.
Le régime d’Enver Hoxha n’a pas laissé de traces visibles si ce ne sont les centaines de milliers de bunker qui parsème tout le pays. Il est cependant un acquit pour lequel les Albanais devraient lui être reconnaissant. Grâce à la construction de trois centrales hydroélectriques sur le Drin, le principal fleuve albanais, la production d’électricité est quasi suffisante pour couvrir les besoin du pays. La construction de nouveaux barrages est programmée pour permettre une augmentation de la consommation des ménages et des industries et de même exporter de l’électricité vers la Grèce et l’Italie. Cela fait et fera de l’Albanie le pays à la plus production électrique la plus propre d’Europe.
Lac de Koman sur le Drin.
Le secteur de la construction est en plein boom. À la ville, à la campagne ou à la mer, les constructions sortent de terre comme des champignons.
Les perspectives de développement.
L’agriculture n’a pas de grandes perspectives de développement à cause de la qualité des sols et de l’aridité, surtout dans le Sud.
Le tourisme me semble être un des principaux atouts du pays.
Avec 362 km de côtes de toute beauté le long de l’Adriatique et de la mer Ionienne, avec d’immenses et superbes lacs naturels comme les lacs de Shkodër et d’Ohrid (partagé avec la Macédoine)
Lac d'Ohrid.
ou artificiels comme le lac de Koman sur le Drin, des montagnes couvertes de forêts avec une flore et une faune variée, des possibilité de ski, Berat, la ''ville aux mille fenêtres'', le quartier historique de Gjirokastër, le site archéologique de Butrint, tous trois classés au patrimoine mondial de l'Unesco, le site antique d’Apollonia, des églises, des monastères et des mosquées en grand nombre , l’Albanie a un énormes potentiel à exploiter. En outre, les Albanais sont vraiment très accueillants et ils ont une façon adorable à vouloir vous aider malgré la barrière de la langue.
Remarque. Les infrastructures ne sont pas encore construites. Pour le moment, il vaut mieux avoir un caractère aventurier pour parcourir l’intérieur du pays.
Le taux de chômage dans les petites villes semble assez important mais on ne dispose pas de statistiques fiables pour le calculer.
Les infrastructures.
Les grandes villes sont reliées entre elles par des routes ou des autoroutes neuves. La plupart des routes secondaires sont encore dans des états déplorables. Les liaisons vers de plus petites entités à l’intérieur des terres ne sont accessibles qu’en véhicules tout-terrain et elles font penser à des pistes africaines. 15 à 20 km/h est une moyenne habituelle quand on se lance à l’aventure. Il vaut cependant mieux faire appel à des conducteurs locaux car la signalisation est généralement manquante.
Route nationale vers Berat.
La modernisation du réseau routier est en cours et semble être une priorité du gouvernement albanais. Des fonds européens sont injectés dans ces projets.
Remarque. On peut se demander pour quelle raison d’énormes fonds sont prioritairement utilisés dans le réseau routier alors qu’ils pourraient être utilisés pour d’autre projet tout aussi important comme le traitement des déchets ou la modernisation des hôpitaux par exemple. La réponse est donnée quand on voit les réseaux de routes dans l’ensemble des Balkans. Ce sont bien les axes de pénétration pour les marchandises européennes, principalement allemandes. (1)
Il faut aussi remarquer que si on veut vendre des voitures, il faut des routes en bon état. À ce niveau, les Allemands ont gagné la bataille. Mercédès, suivit par Volkswagen domine largement le marché albanais. PSA est aussi présent mais loin derrière.
Le principal port albanais est Durrës. C’est la porte d’entrée des produits italiens, principalement alimentaires. Les groupes agroalimentaires italiens sont très présents en Albanie. (Barilla, Ferrero, Parmalat etc.) On retrouve leurs produits dans la plupart des magasins d’alimentation. Ils sont, avec les Allemands, les touristes étrangers les plus nombreux. Ils entrent en Albanie avec leurs camping-cars par Durrës qui n’est distante que de 200 kilomètres de Brindisi ou de Bari.
Une particularité des anciens quartiers commerciaux albanais dans les villes est qu’ils ressemblent à ceux du Moyen-Orient avec leurs échoppes sans vitrine qu’on ferme le soir avec un volet.
La Grèce aussi est un partenaire commercial important de l’Albanie même si ce n’est pas spécialement visible quand on est sur place.
La vieille ville de Berat.
La religion.
L’Albanie a été le seul pays athée du monde à l’époque d’Enver Hoxha. Aucune religion n’était alors autorisée. Contrairement à d’autre pays de l’Est comme la Pologne ou Ukraine, la chute du communisme n’a pas été l’occasion de voir renaitre une quelconque ferveur religieuse.
La période consécutive à la chute du communisme a été marquée par un afflux de missionnaires des plus divers, beaucoup appartenant à des sectes évangéliques américaines mais ce n’est guère visible quand on circule dans le pays.
Il faut savoir que les Albanais se sont convertis à l’Islam plus par opportunisme que par conviction pour éviter les tracasseries que les Ottomans imposaient aux chrétiens.
Aujourd’hui, les Albanais sont plus attachés à la tradition qu’à la religion. Il n’y a pas d’étude récente sur les pourcentages respectifs de chaque religion. Le chiffre de 70 % de musulmans vient d’une étude italienne datée de plus de 70 ans et est sujet à caution. Elle se basait sur les prénoms et les patronymes.
Les mariages sont mixtes. Les Albanais ne semblent pas attacher beaucoup d’importance à la pratique d’un culte. La cohérence du pays est garantie par l’unité ethnique, 95 % des Albanais sont de souche.
Les Grecs sont présents dans le sud du Pays. La communauté juive est très réduite, quelques centaines de personnes au plus.
La Mafia albanaise.
C’est un sujet qu’il est difficile d’aborder sur place. On est devant un mur du silence ou on ne reçoit que des réponses évasives.
Il faut en réalité parler de la mafia albano-kosovare parce qu’elle est originaire du nord-est de l’Albanie. Son influence a explosé suite à la guerre menée par l’OTAN en 1999.
Elle est alors devenue internationale et s’est spécialisée dans les trafics d’armes, d’organes (2), d’êtres humains et ensuite d’héroïne.
À l’origine, le Kanun, un code d’honneur datant du XVe siècle et assez semblable à celui de la mafia sicilienne régissait les villages de la région.
Avec la guerre du Kosovo et l’afflux d’armes livrées par les Occidentaux, cette mafia est devenue de plus en plus puissante. Des réfugiés albano-kosovares ont d’abord rejoint des organisations criminelles internationales. Ils ont ensuite créé leurs propres réseaux criminels.
Comme le Kosovo était devenu le trou noir de l’Europe, il a été facile d’organiser tous les trafics à partir de cette région, surtout que les dirigeants du pays semblaient être eux-mêmes impliqués dans ces trafics avec la complicité, au moins passive, des autorités otaniennes sur place.
Une probabilité non prouvée mais qui découle d’une simple déduction logique montrerait qu’il y a un lien entre l’immense base militaire étasunienne de Bondsteel et l’importation de l’héroïne en Europe.
Nous savons que les forces armées étasuniennes n’ont rien fait en 13 ans pour éradiquer la culture de l’opium en Afghanistan. Bien au contraire, la production a décuplé et 75 à 90 % de la production mondiale de pavot vient maintenant de là-bas. (3)
Les voies terrestres ou navales ne devrait normalement pas aboutir en zone albano-kosovare. La voie aérienne, oui.
Quand on connait l’autonomie et l’impunité dont jouissent les services secrets étasuniens, on peut penser que le transport de l’héroïne est assuré par des avions faisant la liaison entre l’Afghanistan et la base de Bondsteel où elle est remise aux Albanais. Ce trafic viendrait alimenter les caisses noires de certains services spéciaux comme la CIA par exemple.
La mafia albanaise distribue ensuite la drogue en Europe.
La spécialisation de la mafia albano-kosovare dans le trafic des êtres humains découle aussi de la présence de la base de Bondsteel qui a accueilli jusqu’à 7000 soldats de la KFOR. (4) La mafia s’était à cette époque chargée de fournir des prostituées aux « soldats de la paix » et elle a ensuite étendu ce trafic au reste du continent.
Le recyclage de cet argent sale se ferait dans l’immobilier albanais, principalement dans la construction d’hôtels au littoral et cela vient grossir le boom immobilier que connait le pays.
Plage près de Ksamil.
Remarque. Il faut aussi noter que les pays occidentaux commencent de plus en plus à inclure l’économie parallèle dans le calcul de leur PIB. (5)
Quelques personnalités qui ont marqué l’Histoire de l’Albanie.
George Kastrioti Skanderbeg. C’est une figure peu connue chez nous. Au XIVe siècle, grâce à ses talents militaires, il s’opposa victorieusement aux Turcs pendant 25 ans avec une petite armée de moins de 20 mille hommes. Le sultan finit par le reconnaître seigneur d’Albanie.
Napoléon Ier le considéra comme un des quatre plus grands généraux de tous les temps. Voltaire pensait qu’avec un dirigeant de cette qualité, Constantinople n’aurait jamais été prise par les Turcs.
Il faut aussi noter ses talents de diplomate qui lui permirent de recevoir de l’aide de Venise, de Naples et des États pontificaux.
Mère Theresa. Elle est née à Skopje de parents albanais catholiques en 1910. Son action désintéressée au profit des malheureux de Calcutta lui valut un prix Nobel de la paix mille fois plus mérité que celui d’un président dont je ne citerai pas le nom.
Ismail Kadaré. C’est un auteur contemporain incontournable. Il a reçu de nombreux prix internationaux pour son œuvre considérable. Il est remarqué pour son engagement contre le totalitarisme et ses écrits sur l’histoire des Balkans.
Enver Hoxha. Son nom vient faire tache dans cette liste mais il a marqué l’Histoire de l’Albanie pendant 40 ans et il convient de le rappeler. Cette période aura laissé peu de traces positives dans le pays, seulement beaucoup de cicatrices.
L’Albanie a-t-elle sa place en Europe ?
Pour répondre à cette question, il faut commencer par reconnaître que l’Europe ne sera jamais une puissance politique indépendante des États-Unis sauf bouleversement géopolitique mondial. Si on accepte que ce n’est qu’un grand marché dominé par l’Allemagne, on peut dire que les Albanais ont leur place en Europe au même titre que les Grecs ou les Chypriotes par exemple.
L’Albanie n’apportera pas de richesse supplémentaire à l’Europe, seulement un potentiel de développement et 3 millions de consommateurs supplémentaires.
Le potentiel négatif personnalisé par la Mafia albanaise sévit déjà en Europe et dans le monde et l’adhésion ne changera rien. Le coût de l’adhésion sera facilement supporté par l’ensemble des autres pays.
Conclusion.
Un mois de préparation, huit jours sur place et ensuite trois semaines de réflexion ont complètement modifié ma perception de ce pays.
J’ai été très impressionné par la volonté des Albanais de tourner la page après ces années difficiles.
Il y a sans doute une réticence de la plus vieille génération, celle qui a connu le communisme protecteur, à accepter le bouleversement que connait le pays. Ils sont pour la plupart fonctionnaires, agriculteurs ou à la retraite. Il n’en est rien de la nouvelle génération chez qui on sent un désir de s‘identifier au reste de l’Europe malgré tous ses défauts.
Une chose m’a frappé durant tout mon séjour : les Albanais et les Albanaises s’habillent à l’occidentale. Les femmes portent des robes, les plus jeunes s’habillent très court, shorts, jupes courtes même dans les plus petites villes que j’ai traversées. Je n’ai pas vu un seul foulard islamique alors que le pays est censé être musulman à 70 %.
Malgré toutes les qualités de la grande majorité des Albanais, il faut garder une certaine méfiance et ne pas montrer trop ostensiblement son argent surtout avec les petits commerçants à la sauvette ont tendance à pigeonner les étrangers.
Je n’ai eu aucun souci ni avec les douanes ni avec les autorités policières, très présentes mais qui visaient surtout les véhicules locaux.
Dernière remarque. Les conducteurs albanais sont assurément les plus dangereux d’Europe. Excès de vitesse, refus de priorité, lignes blanches constamment passées, manœuvres dangereuses et j’en passe.
Il ne suffit pas de construire des routes, il faut aussi respecter les règles du code de la route.
(1) Les voies romaines avaient déjà cette fonction économique. http://fr.wikipedia.org/wiki/Voie_romaine
(5)http://la-chronique-agora.com/economie-souterraine-zone-euro-pib/
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