Les Etats-Unis d’Europe, certes mais pour quoi faire ?
Le renforcement de la participation démocratique en Europe n'est pas qu'une question de réforme institutionnelle. Que ce soit en Europe ou ailleurs, la démocratie ne peut avoir un sens que si le pouvoir politique ne démissionne pas en abandonnant des pans entiers de ses prérogatives : pouvoir monétaire, contrôle des mouvements de marchandises et de capitaux aux frontières, braderie des missions et services publics ...
Bruno Le Maire a déclaré le 9 juillet sur BFM Radio qu’il briguerait la présidence de l’UMP si ses propositions n’étaient pas portées par un autre candidat, dans 4 domaines : l’emploi, l’autorité, l’exemplarité politique et les Etats-Unis d’Europe.
Concernant l’Europe, il a précisé : " Sur la construction européenne, je crois que nous devons sortir de la politique des petits pas pour accepter un saut vers des Etats-Unis d'Europe. Derrière cette ambition, je propose que tous les membres de la Commission européenne soient issus du Parlement. Je propose également que l'on associe davantage les Parlements nationaux aux décisions de l'UE, pour avoir un véritable contrôle démocratique. C'est la condition sine qua non pour une union politique. Nous devrons aussi aller vers une harmonisation sociale et économique, avoir un ministre de l'Economie et des finances unique."
De quelle Europe nous parle-t-on ?
Est-ce un hasard si, pour " aller vers une harmonisation sociale et économique ", Bruno Le Maire souhaite " un ministre de l'Economie et des finances unique." Pourquoi ne nous parle-t-on jamais d’un ministre européen des Affaires sociales ? C’est un sujet secondaire ?
Le renforcement de la participation démocratique en Europe n'est pas qu'une question de réforme institutionnelle. Que ce soit en Europe ou ailleurs, la démocratie ne peut avoir un sens que si le pouvoir politique ne démissionne pas en abandonnant des pans entiers de ses prérogatives : pouvoir monétaire, contrôle des mouvements de marchandises et de capitaux aux frontières, braderie des missions et services publics ...
Depuis maintenant 4 ans, confrontées à la crise, la Commission et la BCE, bien appuyées par le FMI, reproduisent en Europe la méthode funeste des « ajustements structurels » imposée depuis quelques décennies par la Banque mondiale aux pays en difficulté. Le moins que l’on puisse dire est que le résultat n’est pas brillant : hypertrophie de masses financières spéculatives desservant l’économie plutôt qu’elles ne la servent, faisant un cruel contraste avec la dépression des revenus du plus grand nombre ; mise sous tutelle des Etats.
L’Organisation internationale du travail, dans une étude diffusée le 11 juillet, considère que le nombre de demandeurs d’emploi dans la zone euro pourrait passer de 17,4 à 22 millions dans les 4 ans à venir, avec un taux de chômage des jeunes franchissant la barre des 50 % dans plusieurs pays.
Le dossier PSA vient d’illustrer brutalement ces prévisions. Comme toujours dans ces circonstances, la chasse au bouc émissaire est ouverte. Pour les uns, ce sont les dirigeants, qui ont « multiplié les erreurs stratégiques », les actionnaires qui se seraient gavés de dividendes. Pour les autres, ce sont les 35 heures et le « corporatisme syndical » qui auraient plombé notre compétitivité. La vigueur des envolées verbales n‘est malheureusement que le reflet de la situation d’impuissance dans laquelle se sont mis nos gouvernants. Pendant que la droite et la gauche s’affrontent ainsi, la seule question qui vaille n’est pas abordée : peut-on réformer véritablement et durablement les conditions d’accès au travail en Europe sans une forme de protectionnisme ?
La vague de fond qui emporte ou paupérise nos emplois résulte avant tout de la « mondialisation », dans sa conception ultralibérale, qui traite le travail comme une ressource productive parmi d’autres, soumise sans restriction à la loi de l’offre et de la demande, sur un marché hautement concurrentiel et désormais planétaire. Contrairement à d’autres ensembles économiques, dont la Chine, l’Union européenne s’est pliée sans restriction à cette règle, allant jusqu’à l’inscrire dans le marbre de ses traités, non seulement pour les échanges intra européens mais aussi vis-à-vis du reste du monde. Là est le fond de l’affaire.
Dans son ouvrage « Votez pour la démondialisation », qu’il avait sous-titré « La République plus forte que la mondialisation », Arnaud Montebourg écrivait, il y a à peine plus d’un an : « La démondialisation, c’est un programme pour une Europe en mal de projet, ballottée sans rien faire au gré des crises économiques et financières, et qui ne voit pas que le libre-échange et la concurrence généralisés sont le début de sa fin ». Qu’en pense notre désormais ministre du Redressement productif ?
A la même époque, Pierre Moscovici, fin connaisseur de l'Europe puisqu’il aura été député européen pendant près de 8 ans et ministre délégué aux Affaires européennes pendant cinq ans, soutenait dans son livre "Défaite interdite", que " sans approfondissement du projet européen, toutes nos promesses resteront lettre morte ".
A partir de combien de dizaines de milliers de pertes d’emplois, ces convictions et déclarations seront-elles suivies d’effets ?
A partir de combien de centaines de milliers de drames individuels l’Union européenne va-t-elle se donner les moyens de défendre son propre modèle social ?
A défaut d’un sursaut, nous allons désespérer les travailleurs et en particulier les jeunes. Au-delà d’un certain seuil, ce sera la révolte et elle sera légitime.
Que veut-on ? Multiplier les heures de travail mal payées, avec priorité à l’exportation, ou mieux répartir et rémunérer le travail, avec priorité au mode de vie ? La seconde voie n’implique nullement que l’on succombe aux délices de Capoue. Elle peut s’accompagner au contraire d’une politique active et libre de toute sujétion en matière de recherche, d’innovation et d’investissement. Elle n’est pas non plus synonyme de repli ; elle laisse simplement le choix des partenaires et des accords.
Concernant les institutions, il faudrait à l'Europe :
- un Président, dont l’élection au suffrage universel permettrait au débat sur le projet européen de se traduire dans les urnes ;
- un Parlement de plein exercice, représentation directe des citoyens, doté du droit d'initiative législative, avec des députés appartenant à des partis européens, élus sur des programmes européens ;
- un véritable exécutif, qui ne ressemblerait plus beaucoup à l'actuelle Commission, laquelle se comporte trop souvent en secrétariat du Conseil européen ou en terre d’élection des lobbies ;
- une chambre « haute », représentation des Etats, avec disparition ou transformation radicale du Conseil européen ;
- une banque centrale sous le contrôle du pouvoir politique, lui-même régulé dans le domaine budgétaire et monétaire par une « Cour des comptes » aux compétences élargies.
Dans ces conditions, les citoyens européens auraient une chance de choisir une politique pour l’Europe et de la voir appliquer.
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