Les travailleurs de l’Est menacent-ils le reste de l’Europe ?
Tout a été dit, ou presque, sur le risque d’immigration massive de travailleurs en provenance des nouveaux États membres. Mais surtout, premièrement, qu’il est en réalité peu menaçant, le nombre annuel de migrants étant estimé à environ 300 000 durant les dix premières années. Et deuxièmement, que les populations concernées sont moins disposées à se précipiter hors de leurs frontières, attirées par les salaires occidentaux, qu’on le croit. Le « poids des traditions », « l’attachement au terroir », sont en effet souvent évoqués comme de réels freins. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Une liberté de circulation qui demeure partielle.
Même si les chiffres sont difficiles à trouver pour le
montrer, les quelques mois écoulés n’ont pas donné l’impression
d’un flux massif d’immigrants de l’ouest, impression dont se serait emparée
pourtant très rapidement une partie de la classe politique, rejointe par
l’opinion publique.
Mais c’est surtout les conditions des dispositions
transitoires adoptées quant à la libre circulation des travailleurs qui pose
problème. Si notamment la durée de ces périodes de transition a fait grand
bruit, il n’est toutefois pas inutile de revenir sur celle qui a été retenue lors de
l’élargissement aux pays de l’Europe du Sud. En effet, au moment de l’adhésion
de la Grèce en 1981, et de l’Espagne et du Portugal en 1986, des arrangements
particuliers avaient été pris : les clauses de sauvegarde s’appuyaient alors
également sur la proximité géographique, les différences de rémunération, le
taux élevé du chômage et, cette fois-ci, la propension à l’émigration des
populations de ces pays. La période de transition décidée pour le Portugal et
l’Espagne avait été de sept ans. C’est une telle phase de transition
qu’Allemands et Autrichiens notamment, en tant que pays les plus concernés par
la question du fait leur proximité géographique - 80% des migrants permanents
en provenance des dix nouveaux membres y seraient accueillis, ont souhaité
mettre en place dans le cadre de l’élargissement aux pays d’Europe centrale.
Plusieurs options initiales pour un calendrier sur sept ans.
Plusieurs options étaient initialement possibles, la
Commission en ayant proposé cinq en mars 2000. Pour résumer, la première option
consistait en une application immédiate et complète de l’acquis, à savoir la
libre circulation des personnes ; la seconde envisageait l’instauration de
clauses de sauvegarde ; la troisième proposait un système flexible
d’arrangements transitoires ; la quatrième visait à instaurer des quotas fixes,
et la cinquième enfin revenait à une non-application de l’acquis pendant une
longue période transitoire.
Afin de répondre aux craintes exprimées par une partie des
opinions publiques nationales, le collège des commissaires avait alors
finalement retenu, en 2001, les deuxième et troisième options : des dispositions
transitoires d’une durée de sept années sur plusieurs phases ont donc été
prévues, selon un calendrier très rigoureux, pour permettre aux États membres
de limiter la circulation des travailleurs en provenance des nouveaux États
membres.
Ce calendrier se présente comme suit : pendant une première
étape, jusqu’en mai 2006, les États membres qui le souhaitent continuent
d’appliquer leur législation nationale aux travailleurs originaires des
nouveaux États. A l’issue de cette période de deux ans, la Commission procèdera
à un examen de la situation, et appellera les États de l’ancienne UE15 à choisir,
en fonction des données récoltées, de maintenir ou non, pendant trois années
supplémentaires, les restrictions prises. A l’issue de ces trois années - soit
cinq ans après l’élargissement, les pays seront invités à ouvrir entièrement
les marchés de l’emploi, mais une dernière phase de deux années pourrait être
envisagée dans le cas où un pays prouverait l’existence de perturbations
conséquentes sur son marché du travail.
Des dispositions transitoires adaptées au niveau national.
Chaque pays a donc choisi ce qui lui convenait dans
l’arsenal de ces dispositions, l’Allemagne et l’Autriche étant les plus fermés,
l’Irlande et le Royaume-Uni -qui avaient pourtant au départ annoncé leur
intention de n’instaurer aucune barrière à l’emploi, les plus généreux. La France
a, pour sa part, autorisé l’accès à l’emploi, à compter de mai 2006, là où il y
aura pénurie de main d’œuvre, et a décidé de maintenir l’obligation d’un permis
de travail dans les autres cas pendant la période transitoire. L’ensemble des
pays de l’ancienne Europe des Quinze a en tout cas, d’une façon ou d’une autre,
donné la priorité aux travailleurs de la "vieille Europe".
Des citoyens européens de "seconde classe" ?
Certes, ces dispositions transitoires ne concernent que les
citoyens des nouveaux États membres à la recherche d’un emploi salarié. Certes,
le droit à la libre circulation à des fins de séjour ou d’études est garanti.
Certes également, le droit de créer une entreprise n’est pas remis en cause.
Mais une liberté de circulation immédiate et globale aurait eu cependant,
certainement, des bienfaits : elle aurait, d’une part, permis d’assurer un
rattrapage plus rapide des salaires et des conditions de travail. Mais elle
aurait surtout, d’autre part, eu pour avantage de donner aux citoyens des nouveaux pays
membres le sentiment d’être traité d’égal à égal, et non pas comme des citoyens
de seconde zone. Porte-parole de l’opinion des nouveaux entrants, Vladimir
Spidla, alors premier ministre tchèque, et aujourd’hui commissaire européen en
charge de l’emploi et des affaires sociales, s’était notamment dit
"politiquement et affectivement touché" par les mesures transitoires
adoptées, expression d’une "inégalité de traitement".
Les préoccupations de l’Est souvent occultées.
Par ailleurs, de telles dispositions ont été interprétées
comme une volonté d’ignorer les perspectives préoccupantes des "pays
d’origine" face à une possible fuite des cerveaux. En effet, si elles
semblent être destinées à freiner l’immigration de travailleurs faiblement
qualifiés, il n’en reste pas moins qu’à la différence des précédents
élargissements, ce ne sont pas ces derniers qui se risqueraient à migrer, mais
plutôt une tranche de la population souvent socialement "au-dessus de la
moyenne". Ce qu’on oublie bien souvent et qui, dans une certaine
mesure, ne contribuera pas à accélérer l’écart de développement existant, tant
craint, particulièrement à l’Ouest, pour les tentations de dumping social qu’il peut amener.
Auteur : Euros du Village (Catherine PALPANT)
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