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Politique industrielle : l’Europe a-t-elle les moyens de ses ambitions ?

Depuis le début du millénaire, le thème de la politique industrielle semble à nouveau susciter de l’intérêt auprès des citoyens et des médias, après avoir totalement disparu de la scène médiatique depuis le milieu des années 1980. Alors que l’idée selon laquelle « l’intervention directe de l’État auprès des acteurs privés du secteur industriel est inefficiente économiquement » semblait faire l’unanimité, serait-on en train de valoriser à nouveau le rôle actif joué par les acteurs publics pour l’amélioration de la compétitivité du secteur industriel dans une économie ouverte à la concurrence internationale ?

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Ce regain d’intérêt semble paradoxal alors que la part du secteur secondaire dans la richesse nationale des pays de l’OCDE est en baisse depuis les années 1970 et qu’elle est passée sous la barre symbolique des 20%, contre une moyenne proche de 30% en 1975. Pourquoi, alors, ce thème revient il sur le devant de la scène dans les arcanes de la Commission et des États membres ?
Avant de tenter de répondre à cette question, il convient de préciser ce que recouvre ce terme abstrait de « politique industrielle » dans l’Europe d’hier et d’aujourd’hui, et le rôle que celle-ci a joué dans le processus d’intégration européenne.


1950-1970 : une politique industrielle interventionniste vecteur de l’intégration européenne

La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), premier cartel européen organisé dans le secteur industriel
Au lendemain de la guerre, les secteurs du charbon et de l’acier revêtent une importance stratégique pour la reconstruction : une part non négligeable de la population active y travaille, mais aussi et surtout ils représentent des biens primaires dont l’approvisionnement est indispensable au redémarrage de l’industrie européenne tout entière.

C’est en partant de ce principe et de la nécessité de créer des solidarités économiques entre leurs pays que les dirigeants des pays du Benelux, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie lancent la CECA en 1952. La CECA représente un marché régulé pour ces produits : les prix et les quantités produites sont fixés de manière autoritaire par la Haute Autorité, organe supranational.
La CECA jouera ainsi, jusqu’aux années 1970, un rôle économique important. Au début des années 1980, on décide de baisser de manière autoritaire la production, car celle-ci n’est plus compétitive face à la concurrence extra-européenne. Aujourd’hui, celle-ci est pratiquement nulle, et la CECA a disparu des politiques de l’UE.

La politique industrielle durant les Trente Glorieuses : interventionniste et sectorielle
L’exemple de la CECA est révélateur de la manière dont les acteurs publics conçoivent leur intervention dans l’économie : celle-ci est volontariste, le plus souvent protectionniste, et concerne un secteur bien délimité (dans le cas de la CECA : le charbon et l’acier).
Elle s’appuie en particulier sur les théories de l’économiste allemand List, qui prône une politique active d’aides aux industries en croissance, parallèlement à une protection tarifaire vis-à-vis de l’extérieur jusqu’à ce que ces industries atteignent leur maturité et soient capables de faire face à la concurrence.
La politique française des grands programmes, dans les domaines du nucléaire ou encore de l’industrie spatiale, constitue un autre exemple de politique industrielle conduite à cette époque, tout comme le programme européen Airbus, tout au moins à ses débuts.

Depuis la fin des années 1990, une nouvelle approche

Les politiques interventionnistes ont été remises en cause par la suite, et accusées d’être contreproductives, d’aboutir à des distorsions de concurrence et à une allocation sous-optimale des ressources.
Les aides actives de l’État à certains secteurs sont, à la fin des années 1970, remises en cause pour leur coût : pourquoi aider un secteur et pas un autre ? Cela permet-il de créer des emplois ? Pourquoi le consommateur devrait-il acheter des produits locaux plus chers, alors que des produits étrangers seraient meilleur marché si on abaissait les barrières tarifaires ?
Ainsi, on décide d’en revenir à des mécanismes de marché et de délaisser certains secteurs subventionnés qui ne seraient plus vecteurs de croissance. Ainsi les années 1980 voient la diminution des aides accordées par exemple aux sidérurgistes du Nord de l’Angleterre ou de l’Est de la France car celles-ci, outre leur coût exorbitant pour le contribuable, n’ont fait que retarder le déclin de cette activité en Europe occidentale.

De nouveaux concepts : partenariat public-privé, cluster
L’approche actuelle diffère sensiblement de l’ancienne approche interventionniste : les acteurs publics laissent de manière beaucoup plus approfondie les mécanismes de marché réguler les quantités et les prix. Leur rôle se rapproche de celui d’accompagnateur, et s’éloigne de celui de régulateur, dans une économie ouverte et où la concurrence doit être, selon le Traité, non faussée.
Les acteurs publics interviendront ainsi plus en amont : ils subventionneront par exemple des projets de recherche à fort potentiel, développés par des entreprises.
On voit ainsi des politiques de type horizontal remplacer des politiques de type sectoriel. Par exemple, des projets de recherche et développement (RD) menés sur les TIC, ou encore les biotechnologies, peuvent avoir des conséquences bénéfiques pour plusieurs secteurs, dans la mesure où les connaissances acquises pourront s’appliquer de manière large et générer des « grappes d’innovation », pour reprendre les termes de l’économiste Schumpeter.
Dans ce cadre, on parle de partenariats public-privé, dans lesquels les entreprises sont maîtresses des décisions, et où le secteur public décide d’allouer des aides ciblées qui seront soumises à des impératifs de résultats. Ce système a l’avantage d’éviter, dans une large mesure, les distorsions de concurrence, et ne fausse pas en profondeur les règles de marché.

Autre concept clé dans le renouveau théorique autour du thème : celui de cluster. Ce concept met en avant les synergies qui peuvent survenir lorsque des établissements de recherche et des entreprises d’une même branche (concurrents, sous-traitants...) s’établissent en un même lieu. Ainsi l’information et la connaissance circulent, ce qui fait naître, dans un cercle vertueux, des connaissances nouvelles, qui grâce à la libre circulation de l’information suscitent d’autres connaissances, qui débouchent ensuite sur de multiples innovations. L’État peut encourager la création de clusters par des aides fiscales, des aides à la recherche, ou encore par la création de centres de recherche universitaire en lien avec les entreprises. Citons un cluster qui fonctionne, et au sein duquel l’État a joué un rôle prépondérant : celui lié aux TIC en Finlande, qui a permis à une entreprise comme Nokia de devenir leader dans le domaine des technologies de la communication.


Et l’Europe, dans tout ça ?

Dans sa nouvelle approche globale, la politique industrielle est en lien avec d’autres politiques, telles que la politique commerciale, la politique de la concurrence et la politique de la recherche.

Celle-ci se base sur l’art. 157 du Traité, ainsi que sur l’art. 87-3, qui autorise les aides d’État sous certaines conditions. La relance autour du thème est flagrante depuis le sommet de Lisbonne en 2000.
Le processus de Lisbonne est parti de la constatation que les pays de l’UE connaissent un déficit de croissance. Celui-ci serait lié notamment à l’insuffisance des dépenses en RD, qu’elles soient d’origine publique ou privée. Au Japon, ces dépenses représentent 3% du PIB, contre moins de 2% en Europe. En outre, même si le secteur industriel représente seulement 20% du PIB des pays de l’OCDE, il est à la base de nombreux emplois dans le domaine des services. Un pays qui n’aurait plus de base industrielle aurait paradoxalement de considérables difficultés à créer des emplois dans le tertiaire, car de nombreuses entreprises du tertiaire travaillent en relation avec des entreprises du secteur secondaire.
D’où l’importance d’une politique industrielle efficace de la part des acteurs publics pour stimuler la croissance dans les domaines d’avenir, et non dans les secteurs en déclin.
Malheureusement, le budget européen est bien trop faible pour pouvoir susciter la création de clusters européens dans les secteurs de pointe. Même si les dépenses consacrées à ce type de dépenses devraient augmenter de plus de 20% dans le budget 2007/2013, les fonds structurels accordés (fonds KONVER ou RETEX) paraissent dérisoires. En outre, le consensus politique fait défaut : quand bien même on aurait défini un grand programme, sur quels critères déterminera -t-on les États dans lesquels les acteurs privés exerceront leur activité ? Un État qui aura contribué grandement dans le budget souhaitera toujours que ses entreprises soient engagées proportionnellement, même si elles ne sont pas les plus compétitives.

Et pour finir, il n’existe pas de structure unique qui serait capable d’accorder les fonds, de coordonner l’action des différentes DG de la Commission liées à un projet, de suivre les projets et d’arbitrer entre les différents programmes. Cet outil permettrait la mise en œuvre de projets européens de grande ampleur dans des secteurs de pointe comme l’énergie, les TIC, les biotechnologies, la santé ou les transports.
Pire, ce type de structure existe au niveau national, comme le montre la création de l’Agence de l’innovation industrielle en France en 2005. Mais les projets nationaux peuvent-ils atteindre la fameuse taille critique ? On peut en douter.
On peut regretter que, bien que l’Europe se soit dotée d’un marché unique, d’une monnaie unique, d’une véritable réglementation en matière de concurrence, et d’une politique commerciale commune, elle n’ait pas franchi le cap pour aller vers l’élaboration de grands projets vecteurs de croissance, qui en auraient été le parfait complément.
Pourquoi ne pourrait-on créer de véritables zones franches européennes, par exemple dans certaines zones frontalières ? Ne pourrait-on créer, dans certains domaines de pointe, des centres de recherche fondamentale et appliquée européens, qui viendraient s’installer dans ces zones franches, et inciter les entreprises liées à ces secteurs à collaborer sur ces projets ? A l’instar du Japon, ne pourrait on donner naissance à un MITI européen ?
Mais à 25, puis 27, et bientôt 30, et alors que les niveaux de développement entre EM ne sont pas comparables, comment trouver un consensus pour de tels projets ? L’outil des institutions européennes est-il alors le bon ? Ne vaudrait il pas mieux passer, pour la création de tels projets, par la simple diplomatie interétatique au sein d’un noyau dur, au risque de mettre en place des projets moins ambitieux ?
Le programme Airbus, par exemple, n’a pas été impulsé par la CEE, mais est né de la volonté de trois États que sont la France, la Grande Bretagne et l’Allemagne, de mettre en commun leurs compétences pour créer un acteur européen crédible dans le domaine de l’aéronautique civil...

Par Guillaume GAVOTY


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