Roumanie, le coup d’Etat de 1989
Si nous revenons aux années 1967-1989 nous avons eu un premier clivage en Europe, la prise de distance de la Roumanie vis-à-vis de la politique du Pacte de Varsovie, sa position face à la guerre des 6 jours et à la Tchécoslovaquie, et aussi le rapprochement de deux pays (l’Albanie et la Roumanie) de la Chine communiste, elle-même en pleine révolution dite culturelle.
Alors que le printemps de Prague a sonné le glas du soutien indéfectible que les gauches européennes accordaient au grand-frère soviétique, que la Hongrie amorçait une privatisation en douceur dès les années 70, notamment grâce à l’intelligence diplomatique de Janos Kadar, deux pays se renfermaient petit à petit, transformant leur territoire en ghetto.
L’arrivée de Michael Gorbatchev au pouvoir va modifier les liens entre les USA et l’URSS, et de ces liens vont se faire et se défaire des pays et des régimes, des équilibres nouveaux vont se constituer. En cela l’année 1989 présente un modèle exceptionnel de redistribution des cartes et de nouvel équilibre. Le rapprochement USA-URSS entraîne aussi celui des services secrets français (DGSE) et anglais (MI5), et ce rapprochement a pour objet, entre autres, de toucher l’histoire de la Roumanie directement.
La première étape est la disgrâce dans laquelle Ceausescu a décidé de faire tomber Ion Iliescu. Ce dernier qui était pressenti comme son digne successeur dans les années de plomb est soudain suspecté de sympathie avec la politique de Gorbatchev (Perestroïka). Cette suspicion prend forme lors d’un entretien entre les deux chefs d’Etat, quand Gorbatchev demande à Ceausescu d’entamer un processus de libéralisation du pays. Iliescu est le lien entre les deux pays, Ceausescu comprend de suite l’enjeu et les risques, il écarte ce dernier du premier carré des dignitaires et oppose un refus catégorique à Gorbatchev.
Devant l’attitude bornée de Ceausescu Gorbatchev s’accorde, avec George Bush, à changer le régime et faire tomber Ceausescu. Entre ces deux grandes puissances le marché est simple, Gorbatchev pilote l’affaire « Roumanie » et Bush s’occupe de l’Amérique centrale, alors en pleine effervescence (Nicaragua et Salvador). Comme preuve de la bonne volonté des deux, Gorbatchev a le soutien des services secrets français et anglais, les USA sont laissés libres et l’URSS cesse ses approvisionnements d’armes envers ces deux pays que sont le Nicaragua (sandinistes) et le Salvador (front Farabundo Marti).
Sous l’égide de Ion Iliescu est créé, début 1989, un Comité de salut national qui va regrouper ceux que l’on découvrira à la télévision nationale dès la fuite de Ceausescu, les bases du coup d’Etat sont posées. Il reste à faire en sorte que cette tentative ne se transforme pas en guerre civile, car le pouvoir en place à un immense dispositif interne : la Securitate, et une armée commandée par des généraux qui ne sont pas forcément prosoviétiques.
Soutenu activement et matériellement par les services français, hollandais et anglais, le Comité de salut national s’organise, en occident commence une campagne d’information sur les méfaits du régime en place en Roumanie, sur la systématisation, ce remembrement forcé et l’installation des villageois dans des immeubles et sur les suppressions de villages.
Bizarre que ce système, commencé dans les années 1970, n’intéresse effectivement les médias occidentaux qu’en 1989.
Une première étape est franchie, le ralliement des élites d’origine maghyare. Là ce sont les services secrets hongrois qui se sont activés dans les départements où cette communauté est particulièrement nombreuse, dans certains départements elle atteint 90% de la population.
Un seconde a été négociée aisément avec les opposants au régime Ceausescu, tant ceux en exil que ceux assignés à résidence, tous sont contactés, tous obtiennent la promesse d’une place au soleil si ils apportent leur soutien, tous vont accepter, tous vont obtenir cette place au soleil, et encore plus criant, aucun d’entre eux ne va être tué durant les événements de décembre 1989.
Une troisième étape est franchie, l’entrée sur le territoire roumain, et incognito, de personnes en provenance du nord, le grand-frère soviétique est derrière. L’armée roumaine commence à être retournée, y compris des généraux qui apparaitront un temps au gouvernement en 1990 (Stanculescu à la défense) et ensuite serviront de bouc émissaire. Les généraux Stanculescu et Chitac, seront jugés et condamnés à de lourdes peines de prison pour les morts de Timisoara. Par contre le Général Geoana (père de Mircea Geoana, malheureux candidat à la présidentielle de 2009) qui commandait la place de Bucarest en décembre 1989 passe au travers de tout. Etonnante impunité. Il en est de même pour le général Vasile Milea, qui a encore aujourd’hui sa rue dans Bucarest, lui qui avait toutefois envoyé les chars contre les paysans roumains lors des révoltes de 1962. Quand à la Securitate elle a déjà été contactée suite à la chute du mur de Berlin, puis la rencontre de Malte entre Bush et Gorbaciov le 3 décembre 1989 a finalisé le dossier Roumanie. Plus concrètement c’est Iulian Vlad, son Commandant du Département pour la Sécurité de l’Etat qui aurait alors été retourné et coopté pour faire partie du groupe des putchistes.
Les filets sont tendus, il reste à faire démarrer l’opération, c’est chose faite d’abord le 17 décembre à Timisoara, puis le 21 décembre à Bucarest quand un événement alors inimaginable se produit, Ceausescu est hué lors de son discours à la tribune, sur cette place qui va prendre ensuite le nom de Place de la Révolution.
Dans ce pays où chacun suspecte chacun, ou le frère peut dénoncer la sœur, où le gardien de cage d’escalier rapporte tous les agissements des propriétaires et locataires, où tout le monde est en permanence sur ses gardes, où tout est noté, consigné, une foule immense conspue tout à coup le dictateur. Qui pourrait croire en la spontanéité de ce mouvement ?
Par contre l’histoire du charnier de Timisoara fait la une de la presse occidentale, jusqu’à ce que soit démontré qu’il s’agit d’un montage sordide, on a déterré des cadavres pour faire plus vrai. Ce qui ne sera découvert que plus tard est la vraie histoire des cadavres. Plus de 50 personnes ont été tuées le 17 décembre à Timisoara, les cadavres ont été transportés à Bucarest puis incinérés. Parmi ces personnes une quarantaine n’aurait jamais été revendiquée par aucune famille roumaine, l’hypothèse de la présence d’agents russes sur Timisoara pour lancer le coup d’Etat part de cet événement. Cette hypothèse est plus que crédible même si elle n’a aucun rapport avec les morts de Timisoara. En effet, dans les mois qui ont précédé le coup d’Etat sont entrés sur le territoire roumain environ 200 agents de la SPETZNAZ, troupes spéciales de commandos parties intégrante de la GPU (Service d’information militaire de l’armée rouge), qui ont pour rôle d’intervenir dans la préparation, sur le terrain, des coups d’Etat et des invasions. Ils ont ainsi été présents en Tchécoslovaquie en 1968, en Afghanistan en 1979. Leurs homologues américains étaient au Chili juste avant le coup d’Etat de Pinochet. En France la tristement célèbre 5ème colonne allemande a été particulièrement active dans la désorganisation arrière de la ligne de front en France en 1939.
Les services de ce genre n’existent pas d’hier, comment auraient-ils pu ne pas être présents pour une telle opération !
Les 21 et 22 décembre 1989 représentent une clé capitale pour la réussite ou l’échec du putch car la Securitate, qui initialement a commencé par tirer sur la foule, opère un retrait brusque et laisse l’armée gérer les manifestations, notamment via sa Direction de l’information (ancienne DIA et actuelle DGIA). Mais de toute manière, pour les russes, plus aucune négociation n’est envisageable au vu de cette attitude ambigüe de l’armée et de la Securitate, et Gorbatchev va donner aussi l’ordre de se débarrasser physiquement de Ceausescu. Non seulement il en sait trop, mais surtout la Securitate pourrait continuer à le soutenir, même partiellement, et l’armée, dont une partie n’est pas sous le contrôle des putchistes, risque se retourner contre les manifestants et le Comité de salut national, d’ailleurs certaines de ses unités ont déjà ouvert le feu, y compris sur d’autres unités militaires (aéroport d’Otopeni). Le risque de guerre civile est trop grand, l’élimination physique du dictateur est probablement la meilleure solution pour éliminer ou à tout le moins diminuer ce risque.
Comme le coup d’Etat s’est passé pratiquement comme prévu, ces agents SPETZNAZ sont rentrés dans leur pays en janvier 1990.
Sur tout ce qui vient de se passer, personne ne s’est posé de question, pas même les médias occidentaux, car le travail de désinformation a été extrêmement bien mené. Pourtant quand on regarde les cérémonies officielles de l’époque, celles organisées dans tous les pays de l’est, on est frappé par la jovialité des gens, les drapeaux, les sourires, l’enthousiasme, et on en déduit aussitôt que ces gens qui sont autorisés à manifester sont triés sur le volet. Comment peut-on sérieusement imaginer qu’il n’y ait pas eu de triage et de manipulation en ce 17 puis en ce 21 décembre !
Donc le coup d’Etat est lancé, il va aboutir à la prise de contrôle de la télévision nationale, avec en tête un prétendu opposant au régime devenu acteur de cette action, Mircea Dinescu. Il va aussi aboutir au jugement et à la condamnation à mort des époux Ceausescu par un tribunal constitué pour l’occasion et dont la sentence a été rédigée à l’avance et entre autres par Gelu Voican Voiculescu, membre du comité de salut national, et membre du jury aux côtés de Ion iliescu et Petre Roman. L’histoire de ce Voican Voiculescu est en elle-même intéressante. Grand, belle et longue barbe à la Karl Marx, il est présent partout alors que quasiment personne ne le connait. C’est le prototype de la personne qui est entrée parce qu’il y avait de la lumière et est resté en se greffant sur tout ce qui se faisait, accepté grâce à sa « gueule ». Arnaqueur de cette prétendue révolution, il est devenu vice 1er ministre grâce à sa présence sur une photo de groupe aux côtés de Ion Iliescu. Quand à Mircea Dinescu, devenu multimillionnaire depuis, son assignation à résidence était purement formelle. Les vrais opposants étaient incarcérés dans des prisons spéciales, notamment à Pitesti, certains étaient éliminés physiquement directement en prison (Gheorghe Ursu par exemple), d’autres étaient transmis aux travaux forcés (creusement du canal du Danube), d’autres étaient entrés en résistance et vivaient dans les monts Fagaras où beaucoup sont décédés, d’autres enfin avaient fui à l’étranger.
Ce qui est certain est que Iliescu va dès lors prendre les rênes du pouvoir, Petre Roman va être nommé premier ministre, Voican Voiculescu sera plus tard nommé Ambassadeur. Par mal pour quelqu’un qui a fait condamner à mort son président que de devenir diplomate de carrière ! L’histoire de Petre Roman aussi est intéressante, membre de la nomenclature sous Ceausescu, il a deux défauts pour Elena Ceausescu, il est juif et s’est entiché de sa fille. Il est donc décidé de l’envoyer faire ses études en France, à Toulouse, histoire de casser cette relation. De retour au pays, il va venir participer à cette « révolution » transporté en hélicoptère de Constanta jusqu’à Bucarest par les services de sécurité.
Vous avez dit révolution ?
Ce que nous pouvons tirer de ces événements est que la présence des troupes spéciales de commandos soviétiques et l’intervention de leurs homologues français, américains et anglais au niveau de l’armée roumaine et d’une partie des dirigeants de la Securitate, ont permis de disposer, à l’intérieur même des organes de répression, d’un contrepoids énorme.
Ce que nous pouvons également retirer de cela est que, outre les services secrets, ce sont les ambassades de leurs pays respectifs qui ont été des lieux d’agitation et de manipulation, y compris de la presse et des médias étrangers.
4 heures d’agitation, quelques jours de mitraillages à tort et à travers, 1.500 civils et une cinquantaine de militaires morts, et au niveau de l’appareil d’Etat 2 morts, Nicolae et Elena Ceausescu.
Qui ose encore parler de révolution ?
Maintenant que les bases sont jetées, il serait bien de regarder attentivement toutes ces choses qui ont été des sujets d’intérêt et de mobilisation en Occident depuis 1989 (enfants abandonnés, enfants des rues, SIDA, personnes handicapées, corruption, roms, adoption, prostitution, voleurs à la tire). Il serait bien de voir comment se sont adaptés, recyclés ces anciens dirigeants, ces anciens collaborateurs, et où se trouvent-ils maintenant (gouvernement roumain, Bruxelles, Strasbourg, Washington) les points de chute n’ont pas manqué. Un journaliste roumain maintenant décédé, Silviu Brucan, ancien communiste, avait dit que la Roumanie avait besoin de 20 années pour sortir du communiste « à la roumaine », il était optimiste, les roumains de plus de 45 ans qui sont au pouvoir sont des anciens de la nomenclature, ceux de moins de 45 ans sont leurs enfants.
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