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Accueil du site > Actualités > Europe > Salvini, Di Maio : une union vouée à l’échec ?

Salvini, Di Maio : une union vouée à l’échec ?

Salvini, Di Maio

La République d'Italie est dirigée depuis le 1er juin 2018 par une coalition regroupant les deux partis majoritaires à la Chambre des Députés : la Ligue (parti nationaliste et conservateur) et le Mouvement 5 Etoiles (europhobe et populiste de gauche). Aux élections générales du 4 mars, les deux mouvements avaient obtenus respectivement 263 et 222 sièges. Aucun d'eux n'ayant la majorité absolue, ils ont du composer ensemble pour former une coalition gouvernementale entrée en fonction le 1er juin, après trois mois de tractations et de jeux politiciens.

Giuseppe Conte, un juriste de 54 ans a été choisi pour présider l'hétéroclite équipe gouvernementale. Un choix qui peut étonner quand on sait que cet homme, béotien total en politique, n'a exercé aucun mandat électif avant d'être propulsé à la tête du pays. Or, c'est justement cette absence de charisme et de velléité qui explique la nomination de ce juriste à la présidence du gouvernement. Matteo Salvini et Luigi Di Maio, respectivement présidents de la Ligue et du M5S, sont tous deux des requins de la politique, lesquels – derrière la façade d'une amicale coopération – se vouent une détestation farouche, comme le prouvent les propos échangés durant la campagne électorale entre les candidats et militants des deux partis. Que l'un ou l'autre devienne Président du Conseil, ce serait créer un déséquilibre et mécontenter l'un des partis : le choix d'un premier-ministre indépendant (et fantoche) a ceci de commode que l'équilibre des forces est maintenu et les deux hommes peuvent coopérer dans un semblant d'apaisement. A noter que les deux sont Vice-Présidents du Conseil et disposent de portefeuilles ministériels majeurs : Salvini est Ministre de l'Intérieur tandis que le jeune Di Maio cumule le Ministère du Travail et des Affaires Sociales. Tout a été fait pour qu'aucun des deux hommes n'ait la prééminence sur l'autre. Ce triumvirat, dans lequel Conte fait plus office de pacificateur que de chef, est bâti sur un jeu périlleux d'équilibristes entre des égos, des partis et des visées politiques concurrents mais alliés par stratégie.

Si les présidents des deux partis coalisés donnent l'impression de marcher main dans la main, ils n'en nourrissent pas moins une aversion profonde l'un pour l'autre, à l'instar d'Octave et Marc-Antoine, deux ennemis irréconciliables qui avaient tissé une alliance de circonstance pour gouverner la République romaine. De fait, le sybarite et bretteur Salvini tient beaucoup de Marc-Antoine tandis que Di Maio apparaît comme un jeune tacticien méthodique et perspicace, un Octave des temps modernes plaçant d'ores et déjà ses pions pour une future confrontation. La comparaison a de quoi faire sourire : pourtant, depuis que le nouveau gouvernement est en place, Di Maio ne cesse de montrer une image avenante et modérée, laissant à son collègue dionysiaque les déclarations tempétueuses et les lois impopulaires. Comme l'expliquait l'éditorialiste Massimo Nava, dans Corriere Della Serra, les deux hommes ont plus de points de discorde que de convergences, tant sur la politique intérieure qu'étrangère, ce à quoi il faut ajouter les mésententes entre les députés de la coalition.

Lors de l'entrée en fonction de leur gouvernement, les deux hommes avaient promis une politique de "cambiamento" (changement soudain et radical). Qu'en est-il dans les faits ?

"Beaucoup de bruit pour rien", c'est par cette formule lapidaire que le journaliste Massimo Nava résume les quatre de gouvernement Conte. "Les projets, les discours, les intentions se bousculent. Mais au-delà de cette agitation, aucune décision sérieuse n'a été prise pour le pays […] La raison tient au fait que Salvini et Di Maio, qui cumulent aussi la fonction de vice-premiers ministres, veulent appliquer des programmes politiques contradictoires, ce qui empêche toute action gouvernementale concertée".

Nava, qui est loin d'être un journaliste de gauche, note avec justesse que les mesures tapageuses prises par Matteo Salvini (fermeture des ports italiens aux bateaux de migrants, suppression de certaines prestations aux immigrés) sont avant tout là pour donner à l'électorat l'impression d'agir vigoureusement pour endiguer une vague migratoire dont les chiffres diminuent d'année en année : en effet, entre 2015 et 2018, le nombre de migrants a chuté de 80% en Italie. Ces chiffres, repris et cancanés à l'infini par des médias comme Fdesouche et BreiztInfo (qui les imputent au "succès" de Salvini) sont en fait dus à une baisse générale des flux migratoires vers l'Europe – la tendance baissière ayant débuté dès la fin de l'année 2016. Seulement 120 000 personnes avaient traversé la Méditerranée en 2016, contre 222 000 en 2015. Un score qui tombe à moins de 50 000 en 2017 tandis que les statistiques non-définitives annoncent à peine 25 000 migrants pour l'année 2018. Ce que les nationalistes d'Italie et de France oublient de préciser, c'est que les personnes originaires d'Afrique ou du Moyen-Orient ne représentent qu'une faible part des étrangers présents en Italie. Le pays de Dante compte en fait 97 062 Polonais, 234 354 Ukrainiens et 54 700 Serbes, soit, des ressortissants de pays européens dirigés par des gouvernements… nationalistes.

Les contradictions entre Salvini et Di Maio sont, quant à eux, légion, notamment sur cette épineuse question migratoire. Si le président du Mouvement 5 Etoiles prône une politique d'immigration contrôlée, il n'en demeure pas moins un européiste convaincu : dès sa reprise en main du parti en 2015, il a abandonné toute idée d'Itexit, allant jusqu'à déclarer le 6 février dernier : "L'Union européenne, c'est la maison naturelle de notre pays, mais aussi du Mouvement 5 étoiles. L'Union européenne, c'est le giron naturel dans lequel l'Italie doit continuer à développer ses relations économiques et politiques". La "politique dure" dont il parle s'adresse plutôt aux passeurs et trafiquants qu'aux migrants. Le M5S, parti d'extrême-gauche à ses débuts, est d'ailleurs assez divisé sur la question migratoire : si les cadres du sud de l'Italie sont assez xénophobes et hostiles à l'immigration, ceux du Nord ont une position bien plus modérée.

Salvini est, quant à lui, un authentique eurosceptique qui, le 14 février dernier, jurait encore ses grands dieux qu'une fois au pouvoir il entamerait un processus de sortie de l'UE. Il a pourtant mis de l'eau dans son vin, dès le mois de mars, affirmant qu'il comptait seulement sortir de la zone euro, puis uniquement de l'accord Schengen. Le 6 septembre dernier, enfin, dans une interview accordée à la revue économique Il Sole 24 ore, il a tenu à rassurer les marchés et les milieux d'affaires en clamant son attachement à l'Europe et… à l'euro. Le bretteur lombard est allé jusqu'à déclarer qu'il respecterait les contraintes européennes "notamment une certaine discipline budgétaire". Sur la question migratoire, il est néanmoins bien plus dur que Di Maio. Là où le président de la M5S vise les passeurs et demande une répartition équitable des quotas, Salvini dénonce clairement une "invasion sauvage" et reprend les théories du Français Renaud Camus sur le "changement de population", il veut en outre un renforcement de la légitime défense et souhaite rendre l'aide aux clandestins passible de prison.

D'autres points de discorde risquent de miner la fragile coalition. La fiscalité est un des sujets où les désaccords sont les plus criants. Soutenu par les entreprises du Nord et un électorat de la classe moyenne, la Ligue a pour slogan économique "Payez moins d'impôts !" et prône une baisse drastique de la fiscalité et un impôt à taux unique de 15%. Le M5S rêve, quant à lui, d'un "modèle social à la française" avec la création d'un quotient familial et d'un revenu minimum à 780 euros par mois. Di Maio promettait également une baisse de l'âge légal de départ à la retraite (66 ans actuellement) à 60 ans. Le fait est que l'électorat du M5S se situe en majorité dans les populations défavorisées du sud de l'Italie qui voient d'un œil assez circonspect le programme antisocial de Salvini. Le projet de réforme du travail fait également débat : Di Maio le juge trop libéral tandis que Salvini insiste sur la nécessité de la flexibilité du travail. Mais c'est sur la question des Roms que les deux hommes se sont publiquement écharpés. Le 20 juin, Salvini suscitait un tollé en dévoilant à la télévision lombarde son projet de faire un fichage méticuleux des Roms dans la cadre de la prévention de la délinquance. Une déclaration qui avait causé des remous au sein même de la coalition, poussant Di Maio à rappeler à son partenaire qu'une telle mesure était "une chose inconstitutionnelle".

Il est permis, au vu de ces éléments concordants, de remettre en cause la pérennité de cette coalition. Rien ne devrait cependant changer avant l'échéance européenne de mai 2019. "Aucun des deux partenaires n'a intérêt à une crise gouvernementale, ruineuse pour l'avenir électoral des deux formations", déclare Massimo Nava au micro de l'Express. Mais il est fort à parier que Salvini soit par la suite évincé, permettant à Di Maio de tirer les épingles du jeu. Outre les conflits personnels au sein de la Ligue (la partie conservatrice ne pardonne pas à Salvini d'avoir abandonné le volet indépendantiste) le Ministre de l'Intérieur est dans le collimateur de la justice italienne qui lui reproche d'avoir détourné 48 millions d'euros de subventions électorales à des fins de corruption. Une mise en examen conduirait de fait Salvini à démissionner, entraînant par là des élections législatives anticipées. Selon les observateurs, c'est l'espoir de Di Maio : se débarrasser de son partenaire encombrant pour gagner seul les prochaines législatives et avoir les mains libres, cela explique sans doute la modération dont lui et ses ministres font preuve, soucieux de montrer aux Italiens que le M5S – fondé par l'humoriste Beppe Grillo – est avant tout un parti de gouvernement.


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14 réactions à cet article    


  • Olivier Perriet Olivier Perriet 28 septembre 2018 09:55

    Qui vivra verra, et il n’y a effectivement pas de certitude sur la capacité de cet attelage à réussir. Inversement, il n’y a pas plus de certitude d’échec.

    En attendant, ces deux partis qui n’avaient rien pour s’allier à l’origine, ont pris leurs responsabilité et mettent les mains dans le camboui.

    Au contraire de la France où nous avons une collection de partis tous plus sectaires les uns que les autres :

    imagine-t-on Mélenchon gouverner avec Le Pen, lorsque Philippot a été perpétuellement accusé de dérive gauchiste, et a fini par s’auto exclure ?
    Imagine-t-on Asselineau parler avec quelqu’un d’autre que lui même ?

    Donc rien que pour ça, je leur dit chapeau, et bonne chance


    • Olivier Perriet Olivier Perriet 28 septembre 2018 10:07

      @Christ Roi

      oui, vous avez bien raison, seul le gourou dit la vérité


    • cevennevive cevennevive 28 septembre 2018 10:38

      @Olivier Perriet, bonjour,


      « Donc rien que pour ça, je leur dit chapeau, et bonne chance »

      Oui !


    • Olivier Perriet Olivier Perriet 29 septembre 2018 23:25

      @Christ Roi


      Je ne fais que constater, ce qui est aussi une vérité. L’UPR n’est pas vraiment un parti politique, mais un groupement d’intellectuels qui vivent dans leurs théories.

      PS : Matrix j’aime pas trop, c’est trop américain. Bizarre, pour un sympathisant d’un « parti politique néo gaulliste », d’avoir cette référence.

    • Samy Levrai samy Levrai 29 septembre 2018 23:42

      @Olivier Perriet
      C’est quoi un parti politique ? Ne me dis pas que tu croyais que c’etaient les trucs de prostitués se battant pour appliquer les directives venus d’ailleurs ?

      Les machins qui perdent leurs adhérents malgré une exposition médiatique délirante ? Les arnaqueurs qui te promettent une autre Europe ? 
      Tu as décidément toujours un énorme problème avec le sens des mots, demande à ta maman de t’offrir un dictionnaire ...
      tu regarderas pour commencer :
      souveraineté
      democratie
      autocratie
      dictature
      secte
      gourou
      parti politique
      URSS ( début - fin )
      Moi aussi j’ai bien aimé Matrix, il y a pas de choses américaines intéressantes, mélanges tu toujours tout ?

    • Dominique ROUX 30 septembre 2018 15:09

      @Olivier Perriet

      « Imagine-t-on Assileneau parler avec quelqu’un d’autre que lui même ».
      Figurez-vous qu’Asselineau lance régulièrement des appels à débattre avec tout le monde, à commencer par Mélenchon LePen et Philippot. Pourquoi les intéressés ne répondent-ils jamais ? Poser la question c’est y répondre.
      En 10 ans l’UPR est devenu un parti de première importance, sans aucun appui politique ni financier. Il reste blacklisté par les médias, à l’inverse de tous les autres, y compris Les Patriotes bien plus récent et petit.
      Je vous laisse comprendre qui, sur la scène politique, représente une opposition crédible. Qui est dans la main du pouvoir politico-médiatique, qui ne l’est pas.
      2.5.0.0
      2.5.0.0

    • rafupude 28 septembre 2018 11:02
      Décidément,

      Je ne vous aime pas, vous et votre champ lexical europhobe, hétéroclite, étonnant, dénudé de charisme. L’auteur est un requin, farouchement détestable et déséquilibré, et ce n’est la pour moi, qu’un exercice de représailles proportionnée a votre premier <p> .

      ++

      • Odin Odin 28 septembre 2018 12:50

        Ce gouvernement avec Salvini et Di Maio montre une réalité très importante, le peuple italien est beaucoup plus lucide que le peuple français. Ce n’est pas demain la veille que les français auront cette clairvoyance, lobotomisés par les médias qu’ils sont.

        La grande majorité préférant rester dans leur sectarisme idéologique alors que la seule solution pour sortir de ce cancer qu’est l’UE, dirigée par l’oligarchie financière est l’union. smiley 


        • bluerage 28 septembre 2018 14:52

          Le fascisme n’existe plus, l’antifascisme n’est qu’une posture inventée pour faire oublier les crimes du communisme, cela par contre on ne l’oublie pas, mon vieux Nick, comme disait Churchill : « les fascistes de demain avanceront grimés en antifascistes ».


          • Nicolas Kirkitadze Nicolas Kirkitadze 28 septembre 2018 16:21

            Bonjour bluerage

            Churchill n’a en fait jamais dit cela, cette citation a en fait été inventée par Zemmour qui, pour que ça sonne plus savant, l’a prêté à Churchill.

            Cordialement

            Nicolas K.

          • Odin Odin 29 septembre 2018 11:44

            @Nicolas Kirkitadze

            « Quand le fascisme arrivera aux Etats-Unis, on l’appellera antifascisme ! »&nbsp;

            Huey Long

            Celle de Churchill que je préfère est :

            Christophe Colomb fut le premier socialiste : il ne savait pas où il allait, il ignorait où il se trouvait... et il faisait tout ça aux frais du contribuable.


          • baldis30 28 septembre 2018 19:50

            bonsoir,

            « les présidents des deux partis coalisés donnent l’impression de marcher main dans la main, »

             ne sauriez-vous pas ce qu’est un bras de fer ?


            • Pierre Sanders Pierre Sanders 30 septembre 2018 23:04
              @baldis30

              «  ne sauriez-vous pas ce qu’est un bras de fer ? »

              Ce n’est pas le problème. Il est prévu que la séparation surviendra après les élections européennes, pour des raisons politiques, institutionnelles et de calendrier. A moins que Salvini ne voie une opportunité de provoquer des élections anticipées. 

              J’en doute, car il faut savoir qu’en Italie, c’est le président de la République (anti-Salvini, comme il se doit) qui décide de dissoudre la Chambre et le Sénat, ou non, auquel cas, les affaires courants sont liquidées par un gouvernement technique.

            • Samy Levrai samy Levrai 29 septembre 2018 23:26

              La gauche a abandonné le peuple et la droite , la nation, ceci dans toute l’UE.

              Il ne peut y avoir de politique nationale propre sans une sortie préalable de l’UE, de l’euro et de l’OTAN , cette alliance pour rire en Italie n’a pas fini d’avaler les couleuvres.

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