Un Brexit en trompe l’œil ?
Lorsque nos voisins du Royaume-Uni ont décidé de quitter l’Union Européenne, l’étonnement et la sidération ont rapidement laissé la place aux propos parfois outrancier de la part d’européens convaincus du bien-fondé du système en place. Il fallait donc que le Royaume-Uni « paye » en quelque sorte ce manque de savoir-vivre flagrant consistant à quitter cette union après avoir bénéficié de ses bienfaits…
Dans certains milieux politiques et des think tank pro européens, il n’y avait pas de mots assez durs pour qualifier cette « trahison », non pas parce que la décision de quitter l’UE avait été prise suite à un référendum (il ne fallait surtout pas faire resurgir dans la mémoire collective l’épisode du référendum de 2005 que nos politiques avaient toute honte bue, enjambé), mais parce que quitter l’Europe serait susceptible de donner le mauvais exemple à d’autres peuples.
Par conséquent, la négociation d’un traité de sortie se devait d’être dure et faire en sorte que cela passe l’envie de partir aux autres pays tentés par l’aventure.
Au final, que constate-t-on ?
Les plus consensuels parlent d’accord « gagnant-gagnant » ce qui met à mal l’idée que nos voisins britanniques seraient « punis » et acte l’idée singulière qui consisterait à dire que si l’Europe se disloquait tout le monde serait gagnant…
D’autres, qui ont compris le sens caché de la formule, optent plutôt pour le « perdant-perdant », ce qui n’est pas très vendeur et assez déplaisant pour les négociateurs du traité de sortie qui n’auraient pas pu transformer cette sortie en victoire pour l’UE, une sorte de « perdant-gagnant » en quelque sorte appelé des vœux par les plus acharnés….
Donc, pour la « punition », on repassera, et pour tout dire quand on soupèse les annonces de part et d’autres, on se dit qu’on est dans la posture et que pour le bilan, on verra plus tard, lorsque les prévisions très pessimistes des économistes (qui savent rarement prévoit l’avenir mais nous expliquent très bien les crises une fois installées) sur les effets délétères que cette sortie ne manquera pas de provoquer sur l’économie britannique, arriveront, ou pas…
« L’essentiel » est préservé
L’essentiel, c’est la circulation des biens sans droits de douanes, ni quotas, mais avec tout de même des contrôles supplémentaires aux frontières (il fallait bien montrer au bon peuple des signes de la souveraineté retrouvée d’un côté et du côté « punitif » de l’autre).
Pour autant, il eut été surprenant que la libre circulation des biens ait été en balance dans la négociation étant entendu que c’est le cœur même de la politique de l’Union européenne et que le reste finalement, ne pourrait être qu’optionnel, juste là pour faire oublier que ce système est aussi source de dumping fiscal et se traduit par des régressions sociales en cascade en s’alignant toujours sur le moins disant en faisant appel aux travailleurs détachés.
Il est donc clair que le mandat de Michel Barnier était strictement limité dans ce domaine par les lobbies économiques qui peuplent les couloirs du Parlement européen : il ne fallait pas déstabiliser les échanges commerciaux : mission accomplie !
Pour la libre circulation des services (financiers en particulier, très importants à Londres avec la City), bizarrement l’accord ne prévoirait rien, ce qui ne lasse pas d’étonner. Par conséquent les services bancaires et financiers, ne bénéficieront plus du "Passeport Européen des Services Financiers" qui permettait jusque-là aux entreprises du secteur d'opérer dans tous les pays de l'UE, mais on peut faire confiance à la capacité d’adaptation de ce secteur, capable de contourner toutes les règles avec ses systèmes off-shore et dont le pouvoir de nuisance fait reculer régulièrement les Etats…
Et comme disait Fénelon : « La patrie du cochon est partout là où il y a des glands », donc pas de soucis à se faire pour les banquiers.
Pour la circulation des personnes, la fin du programme d’échange Erasmus désespère les commentateurs et montre bien l’échec des négociateurs européens ou la fourberie des britanniques (au choix), alors même que l’impact de ces échanges est somme toute marginal et que d’autres dispositifs devraient voir le jour.
Le retour au passeport pour les voyageurs, la suppression des vols intra UE pour les compagnies britanniques (dispositif qui sera bien entendu contourné par celles-ci avec quelques artifices organisationnels en matière d’actionnariat) ou bien encore le visa de travail ou des revenus minimum constituent le côté « souveraineté retrouvée » du Royaume-Uni).
Notons enfin les restrictions en matière de pêche qui défavorise notre flotte et nos pêcheurs, symbole de la maîtrise retrouvée des eaux britanniques.
Quel bilan ?
Au final, « les va-t-en guerre » partisans d’une sortie dure pour l’exemple se seront donc couchés ou auront fermés les yeux devant les conséquences d’un no-deal, habillement agité par Boris Johnson qui finalement peut se prévaloir du contenu de ce traité et de ses « oublis » auprès de son peuple.
C’est loin d’être une victoire pour l’Europe qui a perdu la main au jeu du poker menteur sur les droits de douanes et des quotas sur la circulation des biens, coincé par les conséquences invendables d’un tel scénario aux entreprises européennes.
Une fois de plus le « réalisme » économique l’aura emporté sur toute autre considération. Il faut dire que ce « fonds de commerce européen » basé sur les échanges commerciaux fait l’impasse sur tout le reste en particulier la notion d’Europe sociale qui précisément se heurte aux intérêts des marchands, des multinationales et de leurs actionnaires avides de croissance à deux chiffres, au prix de délocalisations, de dumping social et de l’effacement de toute contrainte.
Boris Johnson a bien cerné ces faiblesses et a su en jouer, en jouant aussi la montre. Il lui faudra tout de même atténuer l’impact économique négatif (ou pas) annoncé de cette sortie de l’Union. Face à lui l’Europe a joué petit bras, au point qu’on peut se demander, de manière beaucoup plus argumentée qu’hier, si la sortie d’autres pays ne serait pas la solution, en l’absence d’orientation nouvelle de la politique européenne.
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