Note sur l’origine des croyances en relation à la Bête du Gévaudan I
Les articles qui suivront sont en relation avec l'histoire de la Bête du Gévaudan. Cet article est le premier d'une serie.
Dans cette première partie, je tenterai de présenter le territoire du Gévaudan et ses habitants
L’étendue géographique dont il est question ici correspond approximativement aujourd’hui à la Lozère. Connue pour la rudesse de son climat et pour l’attachement de sa population à la foi catholique, la région s’étend sur un territoire de moyenne montagne où les températures peuvent être glaciales. Le Gévaudan est aussi, de par sa configuration, un territoire idéal pour le loup. Ainsi, de 1764 à 1767, une bête d’un nouveau genre, « la Bête du Gévaudan », probablement un loup, des loups ou un hybride, provoque un carnage et tue sans distinction hommes, femmes ou enfants. La Bête, tour à tour qualifiée par les témoins de hyène, d’hybride, de monstre ou de sorcier par les plus superstitieux, va dans une période qui voit l’épanouissement de la philosophie des Lumières, être à l’origine d’un débat d’idées contradictoires.
Territoire sauvage, le Gévaudan a au cours d’une grande partie de son histoire été régi par l’autorité féodale. Fondée sur le lien vassalique, la relation entre les vassaux et les seigneurs y était alors fondée sur un lien de sujétion et de protection. Les fiefs seigneuriaux étaient défendus à l’aide d’un réseau de places fortes qui pouvaient prendre la forme de forteresses ou de châteaux. Régnant sans partage, les puissants voient à partir du début du XIVè siècle l’Eglise s’affirmer comme l’expression d’un contre-pouvoir car cette dernière s’impose progressivement comme une extension de l’autorité du roi. Dans le Gévaudan du XVIIIè siècle, bien que la philosophie des Lumières propose dans les villes un modèle de civilisation en totale opposition avec l’Ancien régime, l’organisation décrite ci-dessus est toujours de mise. Victimes d’une pauvreté endémique, d’un climat rigoureux, et d’une organisation sociale qui les opprime, les habitants de cette région doivent, en plus des attaques de la Bête du Gévaudan, sans cesse chercher de nouveaux moyens d’assurer leur survie.
Des attaques qui se concentrent dans des régions pauvres et montagneuses
A l'époque où se déroulent les faits, le Gévaudan fait partie du diocèse de Mende et est attaché à une région aujourd’hui appelée Auvergne. En 1790, date à laquelle le territoire français est réorganisé le Gévaudan disparaît et fait place à une entité départementale, la Lozère. Le territoire de chasse de la Bête s’étend principalement sur trois régions. La Margeride, le Haut-Rouergue et le Haut-Vivarais. Ces dénominations ont, pour certaines d’entre elles, été remplacées. De nos jours, le “Haut-Vivarais” correspond à la chaîne des monts du Vivarais, le Haut Rouergue à la partie de l’Aubrac qui se trouve à l’Ouest et au Sud de Marvejols. La Margeride est la partie la plus montagneuse de ces trois régions. Elle est à la lisière de trois départements : Le Cantal, la Lozère et la Haute-Loire.
Ces étendues géographiques sont peu peuplées. Des vents violents rendent la vie difficile et les chutes de neige sont abondantes. En été, l’humidité donne naissance à des tourbières. Les lacs et les rivières dégèlent et sont à l’origine d’une irrigation naturelle. Alors, se développe une flore variée faite d’innombrables fleurs, de résineux mais aussi et surtout de landes, de bruyères et de genêts. Situés en altitude (entre 1350 et 1500 mètres environ), ces espaces souffrent de températures hivernales qui peuvent descendre bien en dessous de zéro.
La vie rurale dans une region ingrate et froide
Le Gévaudan est une province reculée du royaume de France. Le pays est rude et les habitants sont pauvres. La majorité des attaques dont la Bête est responsable est située à plus de 1350 mètres d’altitude, entre le Haut Gévaudan, le Haut Vivarais et le Haut Rouergue. A cette époque, la maison paysanne est bâtie par le détenteur des lieux, souvent avec l’appui d’amis, de membres de la famille ou de connaissances. Le toit est fait de paille ou de tuiles (romanes ou lauzes régionales). La bâtisse compte deux pièces principales, une pour les animaux, une pour les habitants. La promiscuité est donc de mise. L’unique source de chauffage présente dans la pièce habitable vient de l’âtre de pierre où le feu brûle en permanence durant l’hiver. Ajouté à cela, les animaux présents dans la pièce voisine génèrent des calories bienvenues par les occupants. Il n’est cependant pas rare de constater des décès dont les causes sont en lien direct avec le froid.
Conçu pour se protéger des éléments extérieurs (animaux, froid, vent…), le logis familial est austère et sombre. En effet, le “fenestrou” , ouverture de petite taille sans carreaux, est l’unique source de lumière du jour. Parfois, et ceci en guise de trait d’union entre la nature et l’intérieur, un papier huilé ou un volet. Enfin, le manque d’hygiène est à souligner. Le sol, fait de terre, peut faire office de terrain de jeu pour les enfants et les animaux. La peste, qui décime une grande partie de la population du Gévaudan vers 1721 a sans doute trouvé dans ce mode de vie un vecteur de transmission idéal. Malheureusement, l’austérité du logis n’est que le reflet de la vie de l’homme simple. Celuici ne possède que le strict nécessaire. Quelques animaux pour le lait, la viande ou la laine, quelques ustensiles de cuisine, des meubles et des outils agricoles, voici le sobre inventaire de ce dont dispose le chef de famille pour assurer sa subsistance ainsi que celle des siensUn document daté de 1772 énumère les biens de “Jean Charretier” laboureur en Aubrac : « Une paire de bœufs, deux vaches et une velle (génisse), douze bêtes à laine dont six brebis ; deux chaudrons de cuivre, un seau de cuivre cerclé de fer avec sa coupe, une bassinoure de cuivre, une marmite avec sa cuillère, une poêle pour le feu et pour la cuisinière, deux haches, une bêche, un billau, une maie à pétrir, une chaîne à traîner, deux attaches pour le bétail, une paire de buffets, un grenier à deux étages, une garde-robe fermée à clef, deux bois de lit l’un garni et l’autre sans garniture, une charrette à bois et autres menus meubles meublant la maison, ainsi qu’une paire de métiers à filer ».
La diversification des sources de revenus, un impératif de survie pour les paysans
Plus propice à l’élevage qu’à l’agriculture en tant que telle, la rudesse du Gévaudan oblige ses habitants à pratiquer des activités diversifiées. En plus du travail de la terre, les paysans de l’époque s’adonnent à la culture du chanvre, ils deviennent ainsi “tisserands des toiles” . Cette activité d’appoint est toutefois insuffisante pour subvenir aux besoins quotidiens. C’est alors que l’exploitation forestière prend le relais. Le bois se prête à de multiples transformations et est à l’origine d’une activité importante, surtout en hiver. De la bûche aux mâts des navires, il donne aux paysans du Gévaudan la capacité de fabriquer des objets qui sont écoulés sur le marché local ainsi que la possibilité de vendre hors de la région : « Le bois est exploité pour le chauffage, la construction des habitations, des sabots, des jougs, des outils, des meubles et aussi dans le nord du Gévaudan pour les chantiers navals de l’Atlantique,(...) les mâts de bateaux partent en direction de l’océan par flottaison sur l’Allier »
En forêt, dans les champs ou occupé à d’autres tâches, le roturier n’en est pas moins sujet à être appellé au service de la milice . Les hommes célibataires entre 16 et 40 ans sont les plus aptes. Il est cependant possible que le rôle de milicien soit attribué à des hommes mariés. D’une durée de 6 ans, les obligations militaires de l’époque sont un fardeau supplémentaire pour les familles. C’est alors la femme et les enfants de celui que l'on recrute qui doivent se charger de leur propre subsistance. Quand on a pas le sou, et ceci n’est à l’époque pas seulement le lot des familles à qui l’on enlève les maris, les enfants sont loués. En échange d’un logis, les garçons gardent les bêtes, les filles s’occupent de la maison. Envoyés malgré eux dans des pâturages de moyenne montagne, les enfants pauvres du Gévaudan sont victimes d’une organisation sociale. La mort de Martial Charrade, tué par la Bête le 18 avril 1765 est au sens propre une suite logique de cet état de fait : « Martial Charrade du Besset âgé d'environ treize ans, fut dévoré avant-hier par la Bête féroce qui mange le monde dans les tenemens de Vachelerie paroisse de Paulhac où il s'était loué pour vacher ; et aujourd’hui vingtième avril mil sept cens soixante-cinq les restes de son corps ont été portés et inhumés dans le cimetière de cette paroisse tombeau de ses ancêtres,… »
Conclusion
A l'exemple de ce qui est décrit dans les lignes qui précèdent, il est à mon sens possible d’affirmer que le Gévaudan à l’époque des attaques de la Bête est une région où le dénuement, la tradition paysanne et l’austérité se conjuguent pour faire de ce territoire un exemple de ce que pouvait être la vie du Tiers-Etat dans les régions pauvres du royaume de France. La réaction des populations en proie aux affres d’une existence ponctuée par la mort et l’indigence est généralement de chercher une échappatoire qui bien souvent est la religion. Dans les lignes qui vont suivre nous verrons que le pays de la Bête ne déroge pas à l’usage.
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