Sarkozy fait main basse sur l’avenir de l’Île-de-France
D’un abord plutôt rébarbatif, le sujet n’est pas du genre à faire la une des journaux ou à passionner les foules. Pourtant, la révision du Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) est tout sauf un dossier technique. C’est même l’avenir et le visage de la région capitale pour les vingt prochaines années qui doit se dessiner avec ce nouveau document d’urbanisme. Autant dire que l’enjeu est essentiel et que les choix opérés à l’occasion de la révision de ce schéma auront des conséquences directes sur la vie quotidienne des 12 millions de Franciliens.
Or, novation notable, pour la première fois depuis l’existence d’un schéma d’aménagement de la région parisienne, ce n’est plus l’Etat qui est chargé de mener la procédure de son élaboration mais le Conseil régional lui-même. Une décision somme toute cohérente vingt-cinq ans après les débuts de la décentralisation mais pour autant loin d’être évidente compte tenu des enjeux considérables que représente l’aménagement d’une région aussi peuplée et aussi puissante économiquement que l’Île-de-France.
Le Conseil régional a donc engagé il y a environ deux ans un long processus de concertation associant toutes les collectivités locales concernées mais aussi les chambres consulaires, les associations d’usagers et de défense de l’environnement ainsi que des citoyens. Un processus plutôt révolutionnaire quant on sait que les précédents schémas avaient été rédigés dans le secret de quelque cabinet ministériel et presque aussitôt imposés aux collectivités locales. A tel point que les élus régionaux avaient refusé d’adopter le précédent schéma datant de 1994.
Après des mois de discussions et de rencontres, le Conseil régional a donc adopté en mars dernier un projet de nouveau SDRIF qui s’articule autour de quelques objectifs phares : construire 60 000 nouveaux logements par an dont un tiers de logements sociaux pour résorber la grave crise de l’habitat que connaît aujourd’hui l’Île-de-France ; privilégier les constructions de logement ou d’activités autour des zones déjà urbanisées et bien desservies en transports en commun afin de limiter l’extension continue de l’urbanisation coûteuse tant sur le plan social, économique qu’écologique ; rééquilibrer le développement économique de la Région en faveur de l’Est francilien ; améliorer les transports en commun plutôt que de développer de nouvelles infrastructures routières et enfin protéger les espaces naturels et agricoles existants.
Selon la procédure prévue, les huit départements qui compose l’Île-de-France doivent maintenant se prononcer sur ce schéma avant que ne s’engage une enquête publique au cours de laquelle chaque citoyen pourra s’exprimer.
Mais, patatras, voilà qu’à l’occasion d’un déplacement à Roissy pour l’inauguration d’un nouveau terminal de l’aéroport Charles-de-Gaulle, Nicolas Sarkozy s’invite inopinément dans le débat et annonce la réunion d’un conseil interministeriel sur l’avenir de l’Île-de-France fin 2008, faisant ainsi fi de tout le travail mené depuis deux ans par l’exécutif régional.
Que l’Etat ait son mot à dire dans l’avenir de l’Île-de-France, rien de plus normal. Le préfet de région a d’ailleurs été associé, tout au long de ces deux dernières années, à la procédure et il n’a pas hésité à faire entendre sa voix, parfois divergente. Au final, l’adoption du SDRIF passe forcément par un accord avec l’Etat puisque c’est ce dernier qui lui donnera "force de loi" via un décret.
Toute autre est la démarche dans laquelle semble engager le nouveau président de la République et ancien président du Conseil général des Hauts-de-Seine. Difficile, en effet, de ne pas y voir un véritable bras de fer engagé avec la majorité de gauche du Conseil régional à quelques mois des élections municipales et cantonales. Il y a certes des divergences de fond entre la droite et la gauche sur l’aménagement futur de la Région. Ainsi, la gauche s’oppose au projet de densification de la Défense qui fait une fois de plus la part belle à l’Ouest parisien en matière de développement économique quand il est urgent de mettre enfin en oeuvre l’indispensable rééquilibrage en faveur de l’Est francilien. La gauche refuse également le projet pharaonique cher à Nicolas Sarkozy d’enterrer la RN 13 qui relie, au coeur de Neuilly-sur-Seine, la porte Maillot à la Défense, arguant du fait que l’Ouest parisien a toujours été privilégié en matière d’environnement et qu’il est temps de s’occuper davantage de l’Est ou du Nord de Paris. Enfin, la droite ne veut à l’évidence pas d’un schéma directeur qui soit trop contraignant et qui oblige toutes les communes à construire du logement social. Si la gauche revendique une certaine "densification" - certes maîrisée - autour des pôles urbains déjà existants, la droite agite la menace d’un retour des grands ensembles - ce dont il n’est pourtant pas question - tout en voulant garder les mains libres pour "tartiner" des zones pavillonaires sur des kilomètres. Au-delà des différences bien réelles de conception de la ville, on n’est pas loin bien souvent de la simple défense de ses intérêts électoraux.
Mais au-delà de ces considérations, ce qu’il y a de plus choquant c’est le mépris total avec lequel l’ hyper président Sarkozy entend, une fois de plus, se saisir d’un projet pour le mener à sa guise, balayant d’un revers de main toute autre considération que son bon plaisir et sa volonté de tout maîtiser, de tout décider. Ce retour de la toute puissance étatique n’est pas seulement antidémocratique ; elle est également vouée à l’échec car cette façon de vouloir imposer d’en haut sa volonté à une multitude d’acteurs - et dieu sait s’ils sont nombreux en Île-de-France - ne peut qu’aboutir à la paralysie. Or, ce dont souffre l’Île-de-France depuis trente ans c’est bien d’une certaine paralysie faute de véritable gouvernance politique cohérente. Ce n’est pas en ranimant une hypothétique recentralisation - ou alors autant recréer le département de la Seine ! - que Nicolas Sarkozy y parviendra, d’autant que l’Etat n’a plus les moyens de ses ambitions. Nous ne sommes plus, qu’on le veuille ou non, au temps où le général de Gaulle pouvait dessiner d’un trait de plume des villes nouvelles.
Si nous voulons que l’Île-de-France affronte efficacement ses nouveaux défis (compétition internationale, crise du logement, préservation de l’environnement, rééquilibrage entre les territoires...) il faudra bien que toutes les parties prenantes (agglomérations, départements, région, Etat...) dialoguent et se concertent. Mais cela ne peut se faire que si chacun respecte ses partenaires et que les considérations partisanes passent au second plan. Pas sûr qu’on en prenne le chemin...
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