À Gaza, la vie continue
Le journaliste italien Vittorio Arrigoni est dans la Bande de Gaza depuis trois mois. Il vient de vivre 23 jours d’enfer. Hier, mardi 27 janvier, il a envoyé à l’organisation Free Gaza un article dans lequel il décrit l’existence précaire des Gazaouis.

Aucune trêve ne peut rétablir une vie normale lorsque les gens luttent chaque jour pour leur survie. Ils n’ont ni eau courante, ni gaz, ni électricité ; ils n’ont pas de pain, pas de lait pour les bébés. Des milliers de gens ont perdu leurs maisons. Les aides humanitaires passent au compte-gouttes à la frontière, et nous avons l’impression que la bienveillance des complices des assassins n’aura qu’un temps. Demain, Ban Ki-Moon, secrétaire général des Nations Unies, fera une visite à Gaza. Nous sommes certains que John Ging, le chef de l’Agence palestinienne des Réfugiés, aura de nombreux récits à lui faire, après qu’Israël a bombardé deux écoles des Nations Unies, assassiné quatre de leurs travailleurs, bombardé et détruit le centre de l’UNRWA à Gaza City, ce qui a réduit en cendres des tonnes de médicaments et de produits alimentaires destinés à la population civile.
Les montagnes de décombres de Gaza continuent de rendre des cadavres qui sont remontés à la surface. Hier, entre Jabalia, Tal el Hawa à Gaza City et Zaitun, les équipes paramédicales du Croissant rouge, avec l’aide des volontaires de International Solidarity Movement, ont sorti des ruines 95 cadavres, dont la plupart sont dans un état de décomposition avancé. Quand je marche dans les rues de la ville sans être terrorisé maintenant à l’idée qu’une bombe pourrait me décapiter, je tremble encore en voyant des chiens errants rassemblés en cercle pour manger ce que j’ai peine à imaginer. Les hommes, soulagés, vont à la mosquée et au café, mais il est facile de voir que leur attitude décontractée est feinte. Beaucoup d’entre eux ont perdu un proche et sont sans abri.
C’est pour remonter le moral de leurs femmes et de leurs enfants qu’ils prétendent, d’une certaine manière, revenir à leur routine quotidienne, même s’ils sont obligés de tenir compte de cette catastrophe. Ce matin, nous sommes allés avec des ambulances dans les faubourgs de Gaza les plus dévastés, Tal el Hawa et Zaitun. Questionnaire en main, nous avons fait du porte-à-porte pour dresser une liste des dommages subis par les bâtiments et des besoins les plus urgents des familles : médicaments pour les personnes âgées et malades, riz, huile et farine, denrées alimentaires de base. Tout ce que nous avons pu leur donner jusqu’à présent, ce sont des mètres de bâche plastique pour tendre à la place de leurs vitres brisées afin de se préserver du froid.
Mes collègues de International Solidarity Movement à Rafah m’ont appris que la municipalité a distribué quelques milliers de dollars - faible aumône - aux familles dont les maisons ont été complètement rasées par les bombes, ces bombes qu’Israël prétend avoir lâchées pour détruire les tunnels. Après la fin du conflit au Liban, le Hezbollah a donné des millions de dollars en chèques pour indemniser les citoyens libanais sans abri. Dans Gaza en état de siège, le Hamas est seulement capable d’indemniser les gens avec « ce qui serait tout juste suffisant pour reconstruire une grange », ainsi que m’a dit Khaled, un cultivateur de Rafah.
La trêve est unilatérale, par conséquent Israël décide unilatéralement de ne pas la respecter. Hier, un garçon palestinien, Khan Yunos, a été tué, et un autre blessé. À l’est de Gaza, des hélicoptères ont arrosé une zone résidentielle avec du phosphore. La même chose s’est produite à Jabalia. Aujourd’hui, à Khann Younis, la marine de guerre a tiré au canon sur un terrain dégagé, heureusement sans faire de victimes. Mais pendant que j’écris, on vient de m’apprendre que des tanks donnent l’assaut. Nous ne savons pas combien de fusées palestiniennes ont été tirées au cours des 24 dernières heures.
Des journalistes internationaux sont en train de vociférer des nouvelles de la Bande de Gaza comme s’ils étaient les seuls à avoir pu y entrer. Israël ne leur a permis d’entrer qu’après la fin du massacre. Ceux qui sont arrivés au plus fort de la bataille ont pris un sérieux risque d’être tués ; c’est ce que m’a dit Lorenzo Cremonesi, un correspondant du Corriere della Sera. Des soldats israéliens ont tiré sur sa voiture. Un journaliste de la BBC, stupéfait devant la carcasse noircie de ce qui fut l’hôpital Al Quds à Gaza City, m’a demandé comment il se pouvait que l’armée ait pris le bâtiment pour un repaire de terroristes.
Je lui ai répondu : « C’est pour la même raison que des snipers postés sur les toits ont mis en joue des enfants qui s’enfuyaient d’un immeuble en feu, et qu’ils n’ont pas hésité à leur faire éclater la tête ». Le journaliste a froncé les sourcils. L’énorme différence entre nous, qui sommes témoins oculaires du massacre, des témoins de première main, et ceux qui en ont connaissance à travers nos récits, est maintenant mis en lumière. J’ai appris de Rome que l’Union Européenne a l’intention de geler les fonds pour la reconstruction de Gaza tant que le Hamas y fait la loi. La commissaire européenne pour les relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, ne laisse aucun doute : « L’aide pour la reconstruction de la Bande de Gaza n’arrivera que si le président palestinien Abou Mazen rétablit son autorité sur tout le territoire » a dit cette diplomate.
Pour les Palestiniens de Gaza, c’est une invitation implicite de l’extérieur à faire une guerre civile ou un coup d’Etat. C’est aussi grave que de légitimer le massacre de 410 enfants, morts parce que leurs parents ont choisi démocratiquement le Hamas et l’ont élu librement. Mohamed, un militant des droits de l’homme qui n’a jamais voté pour le Hamas m’a dit : « L’Union Européenne fait fidèlement écho à la politique criminelle de punition collective imposée par Israël. Pourquoi ne pas confier ces fonds aux Nations Unies ? » Il a ajouté : « Les Etats-Unis sont libres d’élire un fauteur de guerre comme Bush, Israël est libre de choisir des dirigeants qui ont du sang sur les mains comme Sharon ou Netanyahu, mais nous, peuple de Gaza, pourquoi ne serions-nous pas libres de choisir le Hamas ? » Je n’ai pas trouvé d’arguments pour le contredire.
Les Palestiniens qui ont survécu apprennent la mort ; ils apprennent à vivre en mourant, depuis l’âge le plus tendre. Ici, trêve après trêve, le sentiment général est celui d’une pause macabre entre deux massacres, pendant laquelle on compte les morts, et la paix n’a jamais semblé si fuyante. Quand nous parcourons Gaza City à bord d’une ambulance, sirène éteinte, la guerre est encore partout, parmi les ruines d’une ville dont les sourires ont été volés, et qui n’est maintenant peuplée que de regards fixes et effrayés, parcourant le ciel pour regarder les avions qui volent sans cesse au-dessus des têtes. Dans une maison que nous avons visitée avec des paramédicaux, j’ai remarqué que des dessins au pastel étaient par terre. C’était visiblement l’œuvre d’un enfant qui les avait abandonnés quand la maison a été évacuée lors d’une attaque. J’en ai ramassé un - des tanks, des hélicoptères, et un corps humain en morceaux. Au centre du dessin, un enfant avait lancé une pierre à hauteur du soleil et réussi à toucher une machine de mort. C’était un dessin d’enfant, où le soleil représente le désir d’exister, de se montrer. J’ai vu que le soleil pleurait des larmes de sang, au pastel rouge. Est-ce qu’une trêve unilatérale est capable de guérir de tels traumatismes ?
Vittorio Arrigoni
Traduction LF
Cet article montre que les habitants de Gaza continuent de souffrir terriblement pendant que les dirigeants de l’Union Européenne discutent et posent des conditions pour leur venir en aide, sans trop se presser. L’arrêt temporaire des bombardements est un progrès, mais ils peuvent recommencer à tout instant. Ils ont recommencé hier !
D’autre part, Al Jazeera annonce que les Palestiniens sont en train de réparer activement les tunnels endommagés par l’aviation israélienne. Cette activité n’a pas pour but d’importer des armes, comme le prétend Israël, mais des produits de première nécessité. Chacun sait en effet que le ravitaillement autorisé à franchir le blocus est insuffisant pour nourrir la population.
Combien de temps ce blocus va-t-il encore durer ?
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