A Malte, avorter est encore un crime
Le 25 mai, les Irlandais ont voté à deux tiers pour la légalisation de l'IVG, jusqu'alors passible de quatorze ans de prison. L'avant-dernier pays européen à criminaliser l'avortement a ainsi mis fin à une situation à la fois discriminante et hypocrite pour s'aligner sur la norme européenne. Malte est désormais le dernier pays de l'UE où l'interruption de grossesse est passible de prison.
La législation de la petite île interdit en effet toute forme d'interruption de la grossesse, même en cas de danger imminent pour la mère – clause que même des pays ultraconservateurs comme la Pologne et Chypre respectent. Considéré par les intégristes chrétiens comme le "dernier bastion pro-vie" (dixit Civitas) Malte punit de trois ans de prison toute femme ayant recours à l'IVG. Les praticiens risquent, quant à eux, quatre ans de prison et l'interdiction d'exercer la médecine à vie.
Pour palier à cette interdiction, les Maltaises ont du recourir au tourisme abortif vers l'Italie ou le Royaume-Uni où l'IVG leur coûte entre 2000 et 3000 euros, une somme conséquente dans un pays où le salaire moyen des femmes ne dépasse pas les 1600 euros. En 2011, ce sont 591 Maltaises qui ont pratiqué l'IVG au Royaume-Uni, et 816 femmes en 2016. La majorité d'entre elles sont victimes de viols, selon Andrea Dibben, sociologue à l'Université de Malte : "la plupart sont mineures et ont subi un viol, il ne s'agit nullement d'un avortement de confort", clame-t-elle. De fait, Malte a le taux le plus élevé de grossesses chez les mineures, du fait d'une mauvaise politique de contraception : "J'ai interrogé des mères de 13 à 16 ans : presque aucune ne prenait de contraceptifs, elles faisaient confiance au garçon pour qu'il se retire à temps… C'est dire le niveau de l'éducation sexuelle", déplore la sociologue.
Dans le très chrétien archipel maltais (91% de la population se dit catholique) le clergé est encore très influent et opère une véritable pression sur les partis politiques et la société civile. Malgré la victoire du Parti Travailliste (de gauche et progressiste) en 2013, le premier-ministre Joseph Muscat n'a eu ni le courage ni la volonté de donner aux Maltaises le même droit que leurs sœurs d'Europe. C'est seulement en 2011 que Malte a légalisé le divorce et en décembre 2016 que la pilule du lendemain a été autorisée suite à d'âpres débats. Dans les faits, cependant, peu de pharmacies commercialisent ce moyen contraceptif : la loi ayant autorisé une "clause de conscience" aux pharmaciens. De fait, nombre d'entre eux craignent de perdre leur clientèle si elles vendent cette pilule pourtant tout à fait légale. Le lobby anti-IVG est en effet très actif sur les réseaux sociaux : les gynécologues ayant pris position pour l'IVG, les pharmaciens vendant des pilules contraceptives et les militantes féministes ou pro-choix sont systématiquement fichés et voient leurs coordonnées être divulguées sur internet. "Même si c'est légal, la contraception est un sujet tabou. Quant à l'avortement, on n'en parle même pas", déclarait Stéphanie, une pharmacienne de La Valette à nos confrères de France 24. Francesca Fenech, une féministe ayant simplement créé un groupe facebook pro-choix fait ainsi face à des menaces de mort répétées et aurait perdu son emploi à cause de ses opinions.
Pourtant, Malte n'a rien d'un pays arriéré : il est même le plus "avancé" en matière de droits LGBT en Europe : le mariage aux couples de même sexe a été légalisé en 2016 ainsi que l'adoption. En outre, Malte est le seul pays d'Europe à criminaliser les "thérapies de guérison" pour homosexuels et à punir de prison les propos appelant à la violence contre les homosexuels. Enfin, le changement d'état civil peut se faire sur simple déclaration administrative, cas unique dans le monde ! Bien loin du "bastion catholique" dont Escada faisait l'éloge lors d'une conférence sur la famille traditionnelle. Paradoxe maltais : on peut décider de son genre mais pas du choix que l'on fait d'une grossesse issue d'un viol ou pouvant attenter à votre vie. D'après Andrea Dibben, ce paradoxe se comprend par la place accordée à l'enfant dans la société maltaise où l'on considère que la vie commence dès la conception. D'autre part, si l'opposition de l'Église est motivée par des raisons morales et religieuses, celle de l'État serait de nature plus politique : Malte ayant été une colonie britannique jusqu'en 1964, "il existe chez les Maltais une peur d'être envahis et de disparaître", concède la chercheuse.
Ainsi, pour le gouvernement, il s'agirait de mettre en œuvre une politique nataliste sous couvert de religiosité, ce qui donne pour avantage de faire d'une pierre deux coups : se concilier le clergé et lui faire passer la pilule (si j'ose dire) du mariage gay, tout en inculquant à la jeunesse la nécessité de faire des enfants pour Malte. En effet, les manuels scolaires maltais font expressément allusion au début de la vie humaine qui se situe selon eux à la conception. Et les professeurs de biologie diffusent encore, devant leurs élèves de 11-12 ans, Le Cri silencieux, ce "reportage" réalisé par des évangélistes dans les années 80 où l'on voit un avortement au forceps et des fœtus broyés ou découpés en petits morceaux. Le but est clair : provoquer une "prise de conscience" chez les élèves quant à la violence que représenterait l'avortement.
Les choses ne semblent pas avancer pour les Maltaises qui sont pourtant de plus en plus nombreuses à vouloir mettre fin à la situation hypocrite qui règne sur leur archipel. "Ce qui s’est passé en Irlande, où l’Église catholique a perdu de sa superbe, est un très bon signal pour Malte notamment. Il y a eu un changement des mentalités", déclare, optimiste, Véronique Séhier, coprésidente du Planning Familial en Europe.
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