Alexandre Adler : « Daniel Pearl en savait trop »
Ben Laden est-il mort ? Oui, très certainement, mais depuis quand ? Sont-ce, comme l'affirme Barack Obama, les Navy Seals qui l'ont abattu d'une balle dans la tête à Abbottabad le 1er mai 2011 ? Ou est-ce le syndrome de Marfan qui l'aurait tué dès la fin 2001, comme le prétend aujourd'hui Steve R. Pieczenik ? L'homme, qui travailla jadis au Département d'Etat avec Henry Kissinger, Cyrus Vance, George Shultz et James Baker, collabore toujours pour le ministère de la Défense. Il se dit prêt à témoigner sous serment devant un jury d'accusation fédéral, et à révéler le nom du général qui lui aurait confié que le 11-Septembre était une opération sous faux drapeau. Révélation majeure ou simple élucubration ?
Aujourd'hui, une fille de Ben Laden âgée de 12 ans affirme (selon un agent des services de sécurité pakistanais) que son père a été pris vivant par les soldats américains, avant d'être exécuté devant elle. Elle accrédite ainsi la "version officielle". Ce qui n'empêche pas Thierry Meyssan d'affirmer qu'"Oussama Ben Laden est bel et bien mort en décembre 2001" et que "ce dont on nous parle aujourd’hui relève du mythe." On voit donc se reformer les deux camps qui s'étaient déjà créés suite au crash sur le Pentagone, entre ceux qui se fient aux seuls témoignages (parfois divergents) et ceux qui veulent à tout prix voir des images. La confusion risque bien de durer longtemps, dans la mesure où Barack Obama a décidé ce soir qu'aucune photo du cadavre de Ben Laden ne serait diffusée.
Mais avant ces dernières péripéties du jour, nous avons pu assister, hier soir sur France 5, à une sortie assez notable de l'historien et journaliste Alexandre Adler...
Dans C dans l'air du mardi 3 mai 2011, portant sur l'annonce - controversée - de la mort d'Oussama Ben Laden, l'historien Alexandre Adler a commencé par nous dire que l'histoire officielle racontée par les Américains, sur la façon dont ils avaient retrouvé la trace de Ben Laden, était une "légende" et relevait de la propagande ; en effet, on nous a raconté que c'est en suivant, à partir de 2007, la trace d'un "messager" et homme de confiance du chef d’Al-Qaïda qu'on était remonté à lui en août dernier. Adler - appuyé par les autres invités : Gérard Chaliand et Frédéric Pons - récuse cette version, affirmant que ce sont les Pakistanais qui ont accepté de livrer Ben Laden aux Américains, en échange de garanties concernant l'avenir de l'Afghanistan.
Mais surtout, Adler fit sensation, quand, à la 30e minute de l'émission, il a subitement parlé de Daniel Pearl, ce journaliste du Wall Street Journal exécuté en janvier 2002 par Omar Saeed Sheikh (officiellement du moins), un homme généralement présenté comme un simple militant islamiste. Adler, lui, va droit au but et affirme qu'il s'agit d'un agent de l'ISI, les services de renseignement militaires pakistanais (ce que nous savions déjà, certes, mais qui a rarement été dit à la télévision).
Et surtout il donne la raison de ce meurtre, rapide et brutal, qui s'écarte de celle qui a souvent été avancée, selon laquelle c'est sa judéité, sa nationalité américaine et son métier de journaliste (ou encore le fait qu'on l'aurait soupçonné d'être un espion) qui auraient précipité sa perte, au contact de radicaux proches d'Al Qaïda. Selon Adler, qui rejoint ma propre intuition exprimée en septembre 2007, ce qui a perdu Daniel Pearl, c'est son enquête même, et ce qu'il était sur le point de découvrir :
"Le but pour Pearl, c'était de le liquider le plus vite possible, parce qu'il en savait trop. Et qu'est-ce qu'il savait ? Evidemment, il savait les liens entre les services secrets pakistanais et Oussama Ben Laden, et je pense, pour ma part, que pour qu'il ait été exécuté avec une telle violence et une telle rapidité, il devait savoir quelque chose de tout à fait essentiel. Et le tout à fait essentiel, c'est pas très compliqué" (sous-entendu : pas compliqué à deviner).
Adler s'arrête net, étonnamment, au moment où il va dire l'essentiel... Frustrant. On peut cependant imaginer que le "tout à fait essentiel", dans son esprit, c'est que l'association entre Ben Laden et l'ISI a produit le 11-Septembre (thème que nous avons déjà largement développé, sur la base des sources médiatiques disponibles). Ce quasi scoop, pourtant largement documenté depuis des années, mais que les médias ont jusqu'ici négligé, le plus souvent par ignorance, et pour ceux qui savent, par une discrétion peu compréhensible, est rendu possible par les événements de ces derniers jours, l'assassinat (annoncé) de Ben Laden dans une résidence et un quartier sous contrôle de l'ISI. Le lien entre les deux saute désormais aux yeux, même des plus aveugles. Pour rappel, en septembre 2007, voici ce que je suggérais dans deux commentaires postés sur AgoraVox (ici et là) :
"Daniel Pearl enquêtait sur Richard Reid, un terroriste manipulé (selon Roland Jacquard) par un membre de l’ISI ! C’est une information pour le moins explosive qu’était sur le point de découvrir Pearl. L’ISI pakistanaise commanditant une opération terroriste suicide dans un avion au lendemain du 11-Septembre ! Sans doute ne faut-il pas aller chercher plus loin la raison de son assassinat. On a souvent dit qu’il avait été tué parce qu’il était juif. Cela n’a évidemment pas arrangé sa situation. Mais l’essentiel n’est certainement pas là. L’essentiel, c’est qu’il enquêtait sur Richard Reid, un pion et un kamikaze de l’ISI..."
"Pour résumer : Daniel Pearl enquête sur Richard Reid, qui a tenté de commettre un attentat suicide dans un avion entre Paris et Miami après le 11-Septembre. Reid est manipulé par un membre de l’ISI, qui était instructeur pour les explosifs dans les camps d’Al-Qaïda (selon Roland Jacquard dans Le Figaro). Pearl est victime d’un kidnapping orchestré par Omar Saeed Sheikh, qui a versé 100 000 dollars à Mohammed Atta avant le 11-Septembre sur les ordres du chef de l’ISI, Mahmoud Ahmad. Et Pearl est enfin exécuté et décapité par Khalid Shaikh Mohammed en personne, le "cerveau" du 11-Septembre.Découvrir que l’ISI était derrière Richard Reid, c’était bientôt découvrir que l’ISI était aussi derrière Mohammed Atta."
Ce que Adler ne se demande pas (au moins à voix haute et devant le grand public), c'est pourquoi il a fallu attendre presque dix ans pour que des informations parues la première fois en octobre 2001 en Inde et au Pakistan (puis quelque peu en Occident) commencent à se diffuser, certes encore très timidement, et par un simple sous-entendu de sa part. Et aussi pourquoi les Etats-Unis ont décidé de cacher cette connexion entre Ben Laden et l'ISI après le 11-Septembre. C'est peut-être bien pour ne pas avoir à répondre à ces questions embarrassantes qu'Adler n'a fait que suggérer le savoir "tout à fait essentiel" de Daniel Pearl, sans le dire explicitement (ce qui n'aura sans doute pas fait tilter la plupart des téléspectateurs). Dans une hypothèse "non conspirationniste", on devrait au minimum se dire que l'administration Bush a caché une part de la vérité et l'identité de certains responsables, afin de pouvoir instrumentaliser le 11-Septembre dans le sens de son agenda guerrier fixé avant les attentats - selon le plan établi par le PNAC.
Mais il est remarquable de noter que c'est une des plus emblématiques figures de l'ISI qui a été l'une des toutes premières personnalités, si ce n'est la première, à accuser le Mossad et ses associés américains d'avoir perpétré les attentats du 11-Septembre. Le 26 septembre 2001, Hamid Gul, directeur de l'ISI à la fin des années 1980 (et alors proche de la CIA), accorde un entretien à Arnaud de Borchgrave pour United Press International. Il affirme que Ben Laden, qu'il connaît bien, n'avait pas les moyens de mener une telle opération (reprenant, notons-le, l'analyse à chaud, le 12 septembre 2001, de Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz, selon laquelle un Etat - l'Irak - avait nécessairement appuyé l'opération). Le 7 octobre 2001 commencent à sortir dans la presse des articles sur le financement du 11-Septembre par le directeur de l'ISI Mahmoud Ahmad. Curieuse coïncidence. Gul a-t-il voulu faire diversion ? De toutes façons, l'information ne sera jamais utilisée - par les Américains notamment - pour nuire au Pakistan, elle sera, au contraire, superbement ignorée et contournée.
Le 8 décembre 2008, au micro d'Alex Jones, Hamid Gul défend son "ami" Mahmoud Ahmad, prétendant qu'il n'a rien à voir avec cette histoire... et la veille, le 7 décembre, il accuse encore explicitement, sur CNN, les "néocons" et les "sionistes".
Entre temps, des informations sortiront, l'accusant d'être le véritable cerveau de Ben Laden et du 11-Septembre ; dans le Washington Times du 1er août 2004, on lit que d'anciens officiers du renseignement pakistanais ont conseillé Ben Laden sur la manière d'attaquer les Etats-Unis avec des avions détournés, et que Hamid Gul était le principal d'entre eux. Et grâce à Randy Glass, on pouvait apprendre qu'un agent de l'ISI, Rajaa Gulum Abbas, avait le projet, dès 1999, de faire s'effondrer les tours jumelles du World Trade Center (voir le reportage ci-dessous en anglais et le début de la 2e vidéo sous-titrée en français).
Tout semblerait se tenir, si Ben Laden logeait réellement - ce qui reste à vérifier - depuis cinq ou six ans à Abbottabad, dans cette ville remplie de militaires et d'agents de l'ISI. On se rappelle que, le 10 septembre 2001, Ben Laden se faisait soigner dans un hôpital militaire à Rawalpindi pour une dialyse des reins, escorté par l'armée pakistanaise. Le 2 juillet 2001, un quotidien indien affirmait que "Ben Laden, qui souffre de déficience rénale, a régulièrement été placé sous dialyse dans un hôpital militaire de Peshawar alors que l'Inter-Services-Intelligence (ISI) en avait connaissance et l'approuvait, voire avec l'accord [du président pakistanais] Musharraf lui-même". La lettre d'information Jane's Intelligence Digest du 20 septembre 2001 allait dans le même sens : "Les autorités pakistanaises ont apporté des soins médicaux au souffrant Ben Laden, notamment des dialyses rénales, dans un hôpital militaire de Peshawar."
Bref, la connexion Ben Laden - ISI est très probable. Mais tout reste trouble, pourtant. Car si un Etat a eu besoin de superviser l'opération du 11-Septembre - comme beaucoup d'observateurs ont pu le suggérer -, quel était-il ? Le Pakistan (ou une branche de l'ISI) ? Les Etats-Unis (et Israël), dans l'hypothèse de Gul ? Une complicité entre Pakistanais et Américains apparaît peu probable, vu l'animosité apparente entre les deux, et les accusations de Gul. Si l'ISI est impliquée, on comprend l'intérêt de Gul d'alimenter la "théorie du complot" américano-sioniste pour faire diversion ; et si les Américains ont "laissé-faire" ou agi en coulisses, d'une manière ou d'une autre, pour produire ces attentats, ils n'avaient pas intérêt à mettre à jour publiquement cette implication pakistanaise, afin de mettre en branle leur plan "impérial", dans lequel l'attaque du Pakistan n'avait pas sa place. Rien ne permet, pour l'heure, de calmer les spéculations.
Alexandre Adler, revenons à lui, était l'invité de Thierry Ardisson le 16 juin 2004, et avait alors émis des doutes sur la version officielle du 11-Septembre concernant les pirates de l'air. D'après six experts en aviation qu'il avait interrogés, il était très difficile pour des pilotes peu chevronnés de viser juste les tours et d'atteindre leurs cibles. Etrangement, Adler ne croit pas que les kamikazes se soient entraînés sur des bases américaines, alors même que cela semble bien documenté. Il y verrait plutôt une "légende" (en terme de renseignement). Seule possibilité selon lui : les pilotes étaient bien entraînés et le seul pays qui avait pu les accueillir pour cela était... le Pakistan (6e min de la vidéo). Une affirmation totalement gratuite, même si l'on sait que de tels entraînements avaient lieu, notamment pour le terroriste repenti Niaz Kahn, qui, en 2000, confessa au FBI s'être entraîné dans la ville pakistanaise de Lahore. Mais nulle information de ce genre pour les futurs pirates de l'air....
Ainsi, Adler accrédite les doutes sur le déroulement des détournements d'avions, car seuls des pilotes très entraînés auraient pu réussir les frappes contre les Tours et, à plus forte raison, le Pentagone. Il faudrait donc supposer que, lors de leurs entraînements dans des écoles d'aviation américaines, les futurs pirates de l'air faisaient semblant de ne pas être bons, alors qu'ils se seraient en réalité longuement préparés au Pakistan (comportement peu compréhensible) ; soit admettre leur faible niveau, et se demander comment les avions ont pu être guidés jusqu'à leurs cibles - ce qui pourra relancer l'hypothèse des avions téléguidés, et donc du false flag. Dans une telle opération, l'ISI aurait très bien pu financer des terroristes d'Al Qaïda, qui se seraient ensuite retrouvés manipulés dans un scénario beaucoup plus complexe...
Adler est parfois approximatif, comme on l'entrevoit ici et comme un article du Monde diplomatique l'avait bien montré... et ses penchants idéologiques marqués (très pro-israéliens notamment), comme ses amitiés avec Henry Kissinger, Richard Perle ou Paul Wolfowitz, biaisent certainement son jugement. Cela dit, le silence éloquent qu'il nous offrit chez Yves Calvi sur le "savoir tout à fait essentiel" de Daniel Pearl, et qui le perdit, n'est probablement pas à négliger. Car malgré l'hémiplégie de son jugement, qui le rend quasi aveugle aux méfaits commis par ses "amis", il peut aussi porter de plus fines analyses sur ses "ennemis". Nul ne doit être cru pour les théories globales qu'il propose, mais tout un chacun, aussi marqué idéologiquement soit-il, peut offrir des analyses pertinentes ciblées, dont on aurait tort de se priver.
Au passage, en tant qu'ancien participant à la réunion du groupe Bilderberg, on espère qu'Adler aura mis au parfum, lors de son passage à C dans l'air, Calvi et Chaliand, qui croyaient il y a quelques années encore que ça n'existait pas...
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