Au Népal, la lutte contre la discrimination inter castes passe par le portefeuille
Pour lutter contre la discrimination à l’encontre des intouchables le gouvernement offre 100 000 roupies (1000€) aux couples mixtes (basse caste et haute caste). Pendant que l’intolérance religieuse et politique bat son plein, le Népal tente de réduire une discrimination millénaire.
Petit rappel sur le fonctionnement des castes : A la création du monde, Shiva créa l’homme, de sa tête sortirent les religieux (brahmane), de ses bras sortirent les militaires (kshatriya) et de ses jambes sortirent les ouvriers et artisans (vaishya). Tout ceux qui ne font pas partie de ces trois castes majeurs sont des basses castes ou serviteurs (shudra). Chaque caste possède bien sûr de nombreuses subdivision, mais ces trois (4 en fait) grandes familles expliquent le fonctionnement général. Les intouchables regroupent toutes les castes impures, celles qui sont en relation avec l’impur : ce qui est mort (cela va du fournisseur de bois pour les crémations jusqu’au boucher), les déjections et l’étranger (bien que cette dernière soit mieux considérée par ce que l’étranger, donc le touriste est aussi une source importante de revenus). Cela entraine des conséquences qui nous sont étrangères, ainsi ce village pur, composé uniquement de brahmane qui fut envahi par la « merde » puisque personne n’était « autoriser » à toucher les excréments. Il a fallu importer quelques familles d’intouchables pour nettoyer les latrines.
Nous ne pouvons pas simplement condamner cet état de fait avec nos yeux d’occidentaux, ce système très stable a permis à l’Inde de fonctionner malgré sa surpopulation depuis des millénaires. Si vous voulez une meilleure condition, il suffit d’être vertueux et de remplir sa tâche. Ainsi les gens deviennent plus religieux pour améliorer les conditions futures, ils font des pujas régulièrement. Ainsi pas de révolte puisque vous méritez votre statut. Cette passivité permet la stabilité mais aussi les abus des hautes castes.
Le Népal entend donc lutter contre cette discrimination faite à l’encontre des dalit (intouchables). Pour cela il utilise une méthode qui a fait ses preuves partout dans le monde, le porte-monnaie. Une prime de 100 000NRP (nepalese ruppies), environs 1000€ est donc offerte à tout nouveau couple mixte qui se marie. 1000€ représente une forte somme, environs un an de salaire, mais il n’en faut pas moins pour changer les opinions. Dans les villages la tradition est telle que beaucoup préfèrent rester pauvre que de se faire chasser par la communauté, ce qui peut arriver. Soyons clair, le système des castes n’est pas la cible, la discrimination est à bannir, mais le système des caste est le squelette de la société hindou, il ne peut être éliminer de la sorte. Nos yeux occidentaux y voient un enferment dans une condition sans possibilité de sortie, l’hindouisme y voit un gage de stabilité et de récompense pour bon karma.
Le fait est que sans les castes, l’Inde aurait sans doute connu une révolution des basses castes. Si les castes étaient éliminées, qui voudrait faire un métier dont personne ne veut ?
Cette loi a été plus ou moins bien reçue au Népal : Un mouvement d’intouchable reproche au gouvernement de vouloir les « vendre ». Effectivement la chose peut être vue comme cela, « Achetez une femme intouchable et nous vous offrons 1000€ ». Effectivement cela ne doit pas être agréable de se trouver monnayé, et je pense que cette situation est difficile à comprendre si cela ne nous arrive pas. Cependant cette vue de l’esprit me paraît quelque peu pessimiste, les dalits mariés avec prime ont une chance de quitter leur statut de paria, et je pense que l’idée du gouvernement n’est pas mauvaise. Mais encore une fois, le but n’est pas de supprimer les castes mais de supprimer la discrimination.
En exportant le concept, cette idée de mixage est une des recettes contre le racisme : lorsque nous seront tous mélangés, personne ne pourra haïr les arabes ou les noirs, ou les ritals ou les polacs (en leur temps) puisque nous seront tous métis ! La seule chose qui me gêne ici est que justement ces différences font notre richesse culturelle. Les différents rites, les us et coutumes de chacun font ce qui est intéressant dans la rencontre de l’autre. J’adore rencontrer des boubous dans leur robes colorées au coin de ma rue. Si nous étions tous les même, avec les même habitudes et les même rites, nous perdrions beaucoup et le problème ne serait finalement pas corrigé. Nous avons besoin d’identifier nos têtes de turc.
Je pense que la tolérance est la seule manière efficace et respectueuse de l’autre pour solutionner ces problèmes. Le problème n’est pas l’arabe mais la discrimination à son égard, le problème n’est pas qu’ils tuent le mouton dans leur baignoire pour l’Aïd mais qu’ils nous rappellent qu’une autre manière de vivre existe. Pour ceux qui pensent que l’occident a toujours raison et qui veulent à tout prix exporter nos démocraties et nos téléphones portables, c’est dérangeant. Le problème n’est pas l’autre mais soi-même.
Bref je referme cette parenthèse comparative pour revenir à nos moutons, ou plutôt à nos pauvres intouchables qui ont effectivement la vie dure. Si l’on oublie le concept de réincarnation, effectivement il est intolérable que par sa naissance un individu subisse les brimades des autres. Même si le système des castes maintient l’équilibre hindou depuis des millénaires, il ne fait pas bon vivre dalit. L’Inde a créé des quotas pour recevoir des dalits dans les universités et les ministères pour montrer l’exemple. Le Népal tente de faire l’exemple par le peuple, c’est au peuple, avec la prime, d’accepter l’autre et de prendre conscience de l’utilité de chacun. Le village brahmane ne peut survivre sans les nettoyeurs de « merdes ». Dans les villages tibétains bouddhistes, les castes existent aussi, pour les mêmes raisons du pur et de l’impur : le tanneur qui travaille avec les animaux morts et leur peau vit hors du village pour ne pas apporter la malchance au village. Mais il est riche car tout le monde a besoin de lui, et les montagnards ne pourraient survivre aux rudes hivers sans les peaux préparées par le tanneur.
Ainsi, je pense que l’initiative du gouvernement népalais est louable, et que la tolérance, inscrite dans les gènes de l’hindouisme et du bouddhisme, peut être encouragée par une prime intéressante. Cependant, dans les villages, la pression populaire peut anéantir cet effort, car la vindicte populaire est plus forte que le papier monnaie et que le « non-dalit » qui se marie avec un intouchable, au lieu de sortir son époux de la situation discriminée peut au contraire l’y rejoindre. Mais à force de persévérance, la société peut changer et son karma s’améliorer. Alors oui à la tolérance motivée par l’argent.
source : LGV
livre à ce sujet : Homo hierarchicus : Le système des castes et ses implications
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