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Cameroun, « l’âme » dont n’hérite pas Paul Biya

D’une guerre coloniale à une guerre néocoloniale, il n’y a qu’un pas mais beaucoup de morts. Des dizaines de milliers de morts, faute de ne pouvoir dire exactement ces chiffres manipulés et d’autant plus occultés car il s’agit d’une guerre totalement rayée de l’Histoire officielle. Celle qu’on enseigne, qu’on conditionne dans les têtes des citoyens français pour qui l’Afrique de France, et puis un pas plus tard la Françafrique comme exemple de pacifisme et de "démocratie".

Qu’incarne l’âme du Cameroun, représenté souvent comme l’Afrique en miniature, de par sa variété de climats allant des forêts tropicales du Sud à la Savane du Nord en passant par les montagnes de l’ouest. Cette expression vaut aussi pour sa diversité de peuples qui ne comptent pas moins de 366 ethnies et de 240 langues. Ses plus anciennes populations, comme on dirait des aborigènes ou encore des indigènes sont certainement sans conteste les pygmées, qui au passage, sont victimes aujourd’hui du processus de déforestation qui détruit l’esprit de la forêt garante de valeur spirituelle originelle, et quelque part,de l’âme du pays.

Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa rendent hommage à cette âme de la résistance du Cameroun qui à travers un parti indépendantiste crée en 1948, sous le nom UPC, signifiant l’Union des Populations du Cameroun, tend à regagner sa liberté et souveraineté s’incarnant dans le mot "Kamerun", orthographe non anodine lorsqu’on sait que ce pays est une ancienne colonie allemande africaine de 1884 à 1916, mis ensuite sous tutelle par la société des nations et confié à l’administration de la France et du Royaume-Uni. Et de justifier cet orthographe par l’UPC comme revendication "Dans la clandestinité", écrivent les auteurs de ce livre, "le programme [de l’UPC] - indépendance, réunification, justice sociale - est maintenu. Et s’incarne dans un mot : Kamerun ! Pied de nez aux Français, l’UPC brandit le nom que leurs ennemis héréditaires, les Allemands, avaient donné à ce pays quelques décennies plus tôt, avant son partage entre le Cameroun français et le Cameroon britannique. Pour les Camerounais, le mot devient slogan. Plus qu’un programme, c’est un esprit : celui de la résistance".

La guerre d’Indochine suscitait déjà des rêves de résistance pour le peuple camerounais avec sa symbolique de Dien Bien Phu en 1954, année qui évoquera également les prémisses de la guerre d’Algérie et de ses atrocités. On retrouvera d’ailleurs brandir quelque part le slogan « vive le FLN, vive l’UPC », mais comme le reprennent les auteurs du livre :" l’Algérie a en effet masqué le Cameroun. Pour ces deux colonies, qui n’en étaient en fait ni l’une ni l’autre au sens juridique du terme, la France n’avait ni le même attachement ni les mêmes intérêts (...).Sa perte n’aurait donc pas provoqué le même traumatisme que celle de l’Algérie, conquise en 1830 (...). Aujourd’hui comme naguère, rares sont les français qui savent placer le Cameroun sur une carte."

En effet, l’attention du monde, en particulier de la France, tournée sur l’abondance de ces batailles en Indochine puis au Maghreb, occulteront le pays « noir », considéré trop "nègre" pour revendiquer et même animer quelconque souvenir dans les consciences. Ainsi, c’est l’intensification d’une guerre clandestine brutale de 1955 à 1971 qui sera menée contre ceux qui voulaient préserver les vraies valeurs de l’Afrique, mouvement nationaliste qui a su imposer sa franche radicalité vis-à-vis de l’empire oppresseur pour qui le mot d’ordre était :"tuez les tous". Une volonté d’extermination visant tous ceux qui étaient accusés de tenter la rébellion, incarnée notamment par celui qui sera l’un des fondamentaux porteurs de cette libération nationale, Ruben Um Nyobé, et sa noblesse politique que l’on peut retrouver dans cette parole : "La politique touche à tout et tout touche à la politique. Dire que l’on ne fait pas de politique, c’est avouer que l’on n’a pas le désir de vivre".

La politique française elle, n’hésitera pas à mettre le paquet de la DGR, la doctrine de guerre révolutionnaire, guerre où le renseignement joue un rôle essentiel, en ce qui permet le démantèlement rapide de la hiérarchie clandestine de l’organisation adverse. Cela passe de l’infiltration des maquis à ce qui marquera à jamais la dureté de cette doctrine, "des interrogatoires poussés", ou "musclés" sur les prisonniers. Comme le rappelle les auteurs, "si le mot "torture" est banni du vocabulaire officiel, c’est bien de cela qu’il s’agit." Et de poursuivre que "le dernier passage obligé de la DGR consiste dans le recrutement de supplétif locaux pour barrer la route aux subversifs. C’est dans cette optique que sont enrôlés les harkis en Algérie à partir de 1956. Il s’agit de faire prendre en charge la répression par la population elle-même et de montrer ainsi que les colonisés acceptent et participent à leur propre asservissement".

On légitime ainsi les méthodes que l’on prête à un ennemi "sauvage", "barbare" ou "communiste". "La guerre révolutionnaire, comme l’enfer, c’est les autres.

Et au milieu des années 1960, ces techniques se perpétuent. Enseignées par les officiers français, elles visent un triple objectif consistant en discipliner les populations civiles, écraser les upécistes en exil qui lancent des offensives depuis le Congo Brazzaville et combattre les groupes armés, qu’il faut rappeler n’étaient pas voués à l’être au départ et qui étaient épris, comme Um Nyobé le fut d’un très grand esprit de pacifisme. Mais une légitime défense s’est imposée, là où l’on assistait à une mise en pratique d’éradication afin d’asseoir les intérêts de l’empire français, au mépris des populations du Cameroun et de leur volonté de démocratie. Mais côté empire, la démocratie ne s’entend pas de cette oreille : "et bien, puisqu’ils n’acceptent pas la règle démocratique, je les... élimine", disait Pierre Mesmer ,un soldat que le Cameroun n’a pas oublié.

D’autre part, la soumission des esprits avec la dimension psychologique du combat contre-subversif a été garante de leur succès de la mort. Le parti unique a fait également partie de cette infernale machine de surveillance et de répression, bien que plus discrète et avec la mise en place de "comités de vigilance" permettant de neutraliser les "ennemis intérieurs".

En 1966, Ahidjo, président à partir de la pseudo indépendance et jusqu’à sa succession à Paul Biya, disposait d’un impressionnant système de surveillance interne et externe, "le tribalisme" étant considéré comme l’ennemi le plus sérieux de la "construction nationale". Et au même titre que l’armée et l’école, le sacrifice de la démocratie et le parti unique serait le seul à pouvoir garantir le progrès du Cameroun, comme dans le reste de l’Afrique. La solidarité tribale doit disparaître et "le caillou bamiléké", que dénonçait le colonel Lamberton doit être éradiqué. "Accusés d’avoir accaparé les terres les plus fertiles, les Bamiléké sont en outre collectivement suspecter de favoriser le terrorisme". De plus, la militarisation de l’économie avec pour objectif de convertir la paysannerie au capitalisme marchand, trouvera son inspiration sur le modèle israélien et sur leur coopération en développant des programmes d’aide militaire, agricole et éducative en direction des pays de l’Afrique subsaharienne. Il leur montrait leur savoir faire en terme de colonisation agricole notamment.

Il est important de souligner également les responsabilités de la presse et de la gauche françaises, ce que nous relate Mongo Beti, intellectuel écrivain franco camerounais mort en 2001. Il disait qu’il était aisé de prévoir l’évolution du pouvoir socialiste dans les années à venir en ce qui concerne l’Afrique et les africains.

"Sous Mitterrand comme sous De Gaulle, la liberté est un bel étendard qu’on agite partout où il ne porte pas ombrage à l’intérêt national."

Au Cameroun,d’Ahidjo à Biya, il n’y a qu’un pas concernant le statut de façade et la manière de prendre le pouvoir qui a été pour Biya d’avoir eu le soutien d’ Elf qui n’est que le début d’un régime de corruption et de cupidité. Tout cela pour dire que les méthodes "corsés" sévissent toujours au Cameroun et que derrière cette façade démocratique que nous vendent les médias, la guerre contre la population persiste. On a pu le voir avec les révoltes populaires de 2008 contre la vie chère, où une centaine d’ émeutiers furent mitraillés, et le silence effroyable des médias français qui sont pourtant adeptes de la minute de silence en hommage aux morts, surtout quand ils s’indignent pour leur liberté. Quand au rôle de la France toujours, "les camerounais savent que l’armée française assure depuis cinquante ans la pérennité du régime en vertu des accords de défense secrets du 13 novembre 1960..." qui perdurent dans la discrétion.

Certes, "la France n’est pas responsable de tous les maux du Cameroun" mais pour autant, il faut se demander "pourquoi les enseignes des groupes industriels français Total, Orange, Pmu etc. sont systématiquement détruites lorsqu’éclate une révolte populaire". "Peut-être découvriraient ils alors que le groupe de Vincent Bolloré souffre modérément de cette "redoutable Chinafrique" qui monopolise en général leur attention. M Bolloré, grand ami de Nicolas Sarkozy semble au contraire avoir su tirer un certain profit du "glorieux" passé colonial français au Cameroun... Le "pudique voile de silence" qui encercle la responsabilité des acteurs français de l’époque et des bénéfices de leurs successeurs au détriment des populations du Cameroun fait que "les fantômes de la guerre du Cameroun continueront de hanter le présent".

Et le Monde lui aussi nous rappelle aussi dans un article daté du 10 octobre 2011 le refoulement de ces évènements : Mais il ne s’agit pas seulement d’Histoire : le livre montre que le Cameroun indépendant s’est construit sur un refoulement absolu de ces événements. Même les cadavres, pourtant savamment exposés à des fins pédagogiques par le colonisateur, sont censés ne pas avoir existé. Cette mystification de l’Histoire produit des conséquences contradictoires. Effacée de force des mémoires, la guerre franco-camerounaise des années 1950 a vu son bilan exagéré par des militants désireux de briser le silence, au risque d’invalider leur récit. Imprécis mais étayé, l’inventaire qu’établissent les auteurs - "plusieurs dizaines - voire plusieurs centaines - de milliers" de morts - est pourtant déjà accablant.

Et il ne faut pas compter sur le pouvoir actuel, concentré sur sa survie politique, pour regarder en face cette histoire tourmentée. C’est tout au moins l’avis de Fanny Pigeaud. Dans son livre au vitriol, Au Cameroun de Paul Biya, la journaliste décrit un régime finissant qui "hypothèque chaque jour un peu plus les chances du pays de changer de direction". "Si sous Ahidjo, écrit-elle, la pensée dissidente était réprimée, il ne semble même plus y avoir de pensée du tout après trente années de régime Biya, ce dernier ayant peu à peu dévalorisé la connaissance et l’intelligence."

Et dans un autre article du même Journal, paru le 4 octobre 2011, (...) Mais à l’heure où les dirigeants français prétendent promouvoir la démocratie dans le monde arabe, ne serait-il pas cohérent de reconnaître la responsabilité majeure de la "patrie des droits de l’homme" dans la guerre qui a embrasé le Cameroun et y a installé depuis cinq décennies une dictature sanglante typique de la Françafrique ?

Sources : Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique 1948-1971 de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsista.

http://www.google.fr/url?sa=t&source=web&cd=1&ve...

http://www.google.fr/url?sa=t&source=web&cd=2&ve...


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3 réactions à cet article    


  • TyRex TyRex 11 novembre 2011 16:31

    Un grand bravo, tout simplement. 


  • francoyv francoyv 12 novembre 2011 12:49

    Article bien superficiel pour résumer une histoire complexe d’un petit pays réduction de toutes les Afriques ou presque.
     
    Les personnes intérressées peuvent s’alimenter en lisant à la source, c’est à dire les livres de Mongo Beti, pour moi la référence. Un seul exemple : citer l’unique Haut-commissaire Mesmer, parce qu’il est le seul qui soit connu est une distorsion de la réalité, car enfin tous les gouverneurs de cette époque appliquaient la même politique (cf Mongo Beti encore) qui fut aussi celle d’un gouvernement Guy Mollet, patron de la SFIO, ancêtre du PS actuel


    • karoll 12 novembre 2011 13:33

      Un résumé indique bien le nom qu’il indique. J’ai tenté de faire une synthèse basé entièrement sur le livre Kamerun comme l’indique le thème et également des oeuvres de Mongo Beti notamment Main basse sur le Cameroun pour ceux que cela interesse. Après, on ne peut citer tout le monde, dc on cite évidemment « un » notamment parmi tant d’autres bien, mais un notamment que le Cameroun n’a pas oublié, ce sont les camerounais eux memes qui le pensent.
      et ce qu’il y a de superficiel à mon sens est de nier cette réalité et ne pas tenter de la mettre en avant avec mes petites compétences aussi modestes soient elles...Tenter de dénoncer une vérité bien occultée, c’est bien au contraire tout sauf superficiel. Et à ceux pour qui c’est trop vague, qu’ils lisent le livre entièrement, il n’y a rien de mieux.

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