Canada, quand la nationalité française fait honte
Depuis quelque temps au Canada, il n’est visiblement pas bon d’être Français. L’élection surprise du Québécois Stéphane Dion, le 2 décembre dernier, à la tête du Parti libéral du Canada a été suivie de révélations acrimonieuses dues, sans doute, à sa victoire serrée, qui ne fait pas encore l’unanimité. On peut reprocher à Stéphane Dion d’être un politicien peu charismatique aux allures hautaines, mais aller jusqu’à le blâmer d’être Français ; voilà une situation étonnante pour une fédération qui s’enorgueillit d’être l’un des pays les plus multiculturels au monde et qui, rappelons-le, reconnaît la double nationalité depuis 1977.
Lorsque, le 27 septembre 2005, la Québécoise Michaëlle Jean fut nommée Gouverneure générale du Canada, poste honorifique dans la politique canadienne, limité à représenter la reine d’Angleterre à Ottawa, qui n’est nul autre que le chef de l’État canadien, des voix s’étaient alors élevées pour remettre en cause le patriotisme de l’ex-journaliste d’origine haïtienne. Si du côté québécois, on remettait surtout en cause son passé indépendantiste et, disait-on, son changement de cap idéologique en faveur du fédéralisme canadien, de l’autre côté de la rivière des Outaouais, au Canada anglais, c’est plutôt sa nationalité française qui posait problème. Tout en s’offusquant des accusations de ses compatriotes québécois, Michaëlle Jean a discrètement renoncé à sa seconde nationalité, qui devenait trop lourde à porter pour ses nouvelles fonctions.
La controverse avait largement dépassé le cadre de la simple nationalité française parce qu’il était question de loyauté envers son pays. Avec Stéphane Dion, la situation est plus simple et, par conséquent, très révélatrice d’une certaine francophobie qui règne au Canada anglais. Car au-delà de la simple question d’allégeance envers son pays, c’est bien la nationalité française qui dérange ici.
On peut difficilement remettre en cause la fidélité au fédéralisme canadien de Stéphane Dion. Son attitude irréprochable en la matière lui vaut d’ailleurs au Québec une réputation de traître. De plus, des premiers ministres canadiens possédant la double nationalité ne sont pas des cas si extraordinaires. Le libéral Alexander MacKenzie, qui occupa la plus haute fonction de 1873 à 1878, était pourtant un bon Écossais arrivé au Canada à l’âge de vingt ans. Que le conservateur MacKenzie Bowell (1894 - 1896) soit né en Angleterre n’a visiblement pas offusqué grand monde quand arriva le temps pour lui de diriger le pays. Ce n’est pas non plus à cause de sa nationalité britannique que l’ancien premier ministre John Turner (1984) a vu son mandat réduit à seulement deux mois et demi.
Au pays du politically correct, la francophobie ne s’étale pas ouvertement sur les pages des journaux, mais elle peut toutefois se lire en filigrane dans certains éditoriaux accusateurs. Parlez-en aux Québécois qui relèvent souvent ce genre d’articles désobligeants à leur égard de la part de leurs concitoyens canadiens anglophones. Pour Andrew Coyne, éditorialiste au National Post, en tant que probable futur premier ministre, il est inconcevable que Stéphane Dion puisse garder sa nationalité française. Monsieur Coyne se fait défenseur de la citoyenneté canadienne tout en affirmant que le fait d’avoir une deuxième nationalité pourrait porter préjudice à la cohésion nationale. Être fier d’être Canadien, et uniquement Canadien, quoi !
Mais de toute façon, comme le souligne Michel David, chroniqueur au quotidien québécois, Le Devoir, La France sera toujours « suspecte » au Canada anglais. Une suspicion largement alimentée par nul autre que le Général de Gaulle lui-même, lors de sa visite officielle de 1967, alors qu’il avait déclaré son légendaire : « Vive le Québec libre ! ». Cette phrase, qui allait donner des munitions aux troupes souverainistes naissantes, déconcertera les Canadiens anglophones, scellant pour les décennies à venir un avenir dorénavant incertain pour l’unité canadienne. On dit que la haine est un brasier qui s’alimente à petit feu, si tel est le cas, cet évènement en représente sans aucun doute l’étincelle.
Cette suspicion est largement partagée dans l’Ouest canadien très proche idéologiquement des Républicains américains. Le gouvernement conservateur actuel, qui vient directement de cette région du Canada, était lors de la seconde guerre contre l’Irak le seul parti canadien à être en faveur d’une participation au conflit. Le Premier ministre Stephen Harper qui était, en 2003, leader de l’opposition, estimait alors que le devoir du Canada était de suivre ses alliés naturels que sont les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie.
Stéphane Dion a toujours su que sa seconde nationalité poserait tôt ou tard un problème du côté du Canada anglais. Dans Le Soleil, un des principaux journaux de la ville de Québec, la mère « française » de Stéphane Dion y a révélé que son fils lui avait déjà raconté que les Canadiens anglais n’aimaient pas beaucoup ses origines. À en croire ses prétentions politiques, il est fort probable que Stéphane Dion abandonnera prochainement sa nationalité française. Ce qui est triste, c’est que la plupart y verront un signe de patriotisme, alors que ce n’est que le fait d’un ressentiment francophobe d’un certain Canada anglais qui perdure.
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