Ce que disent les négociations actuelles sur l’Ukraine
Il y a trois ans, hier, la Russie envahissait l’Ukraine. Une guerre qui a fait des centaines de milliers de morts et dont l’issue semblait lointaine avant l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche. Il faut reconnaître que depuis son investiture, les choses avancent vite, avec son flot de déclarations fracassantes et souvent effarantes. Mais l’issue semble proche, ce qui en dit long sur le monde, et l’Europe.
La fin des illusions multi-latérales de la globalisation
Bien sûr, l’échange entre la Russie et les Etats-Unis sur le futur de l’Ukraine, sans ces derniers, ne pouvait que rappeler au gaulliste que je suis les Mémoires de Guerre du Général, évoquant la façon dont les alliés traitaient, parfois très légèrement, notre destin national. En faisant le choix de parler aussi formellement avec la Russie, sans l’Ukraine, Donald Trump donne une prime au plus fort, et indique de facto que c’est l’Ukraine qui est en voie de perdre. Mais ce n’est pas seulement Kiev qui est mis hors jeu, c’est aussi tous les autres pays d’Europe, et notamment de l’UE, tenus pour quantité négligeable. Le rapport de force est clair en 2025 : la Russie de Poutine pèse bien plus lourd que l’UE pour les États-Unis de Donald Trump. Il s’agit d’un renversement géopolitique majeur par rapport à l’administration Biden, confirmé par le vote aligné des USA avec la Russie à l’ONU sur la guerre d’Ukraine de cette semaine.
Bien sûr, certains pourront regretter ce changement, et dénoncer l’oubli de ses valeurs par le camp de la liberté et de la démocratie. On pourra rappeler à ceux-là qu’ils ont souvent appuyé des opérations extérieures extrêmement sanglantes, souvent sans véritable justification, aux visées essentiellement impéralistes et dont le bilan quelques années après (en Afghanistan, Irak ou Libye) est calamiteux, notamment pour les peuples de ces pays. Et il n’est pas évident que les pays européens pourraient faire reculer la Russie en Ukraine, par delà les questions que poseraient une forme d’entrée en guerre plus explicite contre une puissance nucléaire comme la Russie. Bien sûr, ce raisonnement peut sembler donner un blanc seing à la Russie pour l’avenir, mais cela est plus complexe car l’Ukraine ne faisait, et ne fait pas partie, de l’UE ou de l’OTAN. L’offensive russe visait pour partie à bloquer l’extension de l’OTAN à l’Ukraine.
La guerre menée par la Russie de Poutine n’est pas la guerre de conquête menée par d’autres en d’autres temps. C’est la guerre d’une nation qui défendait des minorités russophones, maltraitées par l’Ukraine, la guerre d’un pays qui s’était vu promettre dans les années 1990, puis lors des accords de Minsk, une limite à l’OTAN et qui voyait cette limite remise en question. Dans un contexte où l’Occident n’a pas su, ou voulu, tendre la main sincèrement et équitablement, à Moscou, nous manquions des cordes de rappel qu’un effacement de l’opposition Ouest-Est aurait permis. Poutine est largement l’enfant de ce que l’Occident a fait à la Russie depuis la chute de l’URSS. Par notre comportement, de l’agenda économique délirant de la transition, qui a enfanté les oligarques, à l’absence de plan d’aide à la transition, au maintien de l’OTAN, et son extension, nous avons largement fait la Russie de Poutine.
Et il ne faut sans doute pas croire que la Russie ira beaucoup plus loin. La guerre d’Ukraine a été difficile, même si la Russie l’aborde après trois ans en position de force, contrairement aux prévisions effarantes de certains. Ce pays connaît particulièrement bien les dangers d’une expansion géographique inconsidérée, ayant repoussé Napoléon et Hitler et n’aurait rien à gagner à aller plus loin. L’Ukraine était encore une zone grise que la Russie pouvait encore empêcher de bascule dans le camp occidental sous influence US. Quel intérêt Poutine pourrait-il avoir à aller ailleurs en Europe, en créant un affrontement plus frontal ? A contrario, au-delà du flot parfois délirant de ses déclarations, Trump et les États-Unis ont un intérêt clair à réparer la relation avec la Russie. Le monde bouge, les BRICS recrutent, et ils créent de plus en plus une organisation alternative du monde, où les USA ne seraient plus aussi puissants.
C’est bien cette raison, rationnelle et légitime, qui a pu pousser Trump à changer la position de son pays. Les faucons qui semblaient aux manettes sous Biden, poussaient une grande partie du monde à vouloir se détacher des Etats-Unis, et du dollar. En renouant avec la Russie, Trump enfonce un (petit) coin dans les BRICS, d’autant plus que Moscou n’a probablement guère envie de devenir un satellite de Pékin et préfère sans doute une position plus équilibrée, entre les deux, ce qui est aussi l’intérêt de Washington plutôt que le renforcement d’un axe qui pourrait s’opposer de plus en plus frontalement à l’Oncle Sam. Bien sûr, Trump reste impérialiste, comme le montrent les discussions effarantes sur les ressources minières de l’Ukraine. Mais son très relatif isolationnisme peut aussi avoir une justification géopolitique, et pourrait, mieux défendre ses intérêts nationaux en affaiblissant l’axe Pékin-Moscou.
Ce faisant, l’UE ne sort pas grandie de l’épisode ukrainien. Ses innombrables paquets de sanction semblent avoir eu un impact négatif plus important sur sa propre économie que sur l’économie russe, ce qui en dit long sur les capacités d’action du machin européen. L’histoire du monde s’écrit sans les pays européens, malgré les déclarations de Macron et compagnie, comme le révèle l’élection de Trump. L’UE n’a aucune capacité d’action autonome des USA, s’étant toujours conçue comme la pointe avancée de la sphère d’influence des Etats-Unis. Et le renversement de la position de l’Oncle Sam démontre son impuissance complète au monde. Même poussés à l’union, la réunion d’il y a une semaine à l’Elysée s’est conclue des prises de position assez contradictoires entre Paris, Berlin et Rome, rappellant les limites structurelles de l’UE. Il n’y a pas d’intérêt général européen, mais des intérêts nationaux très divergeants.
Cette guerre d’Ukraine est comme un rappel à la réalité pour les élites occidentales cosmopolites en plein hubris, qui ne voyaient pas de limites à leur agenda, malgré l’échec patent de leur vision finalement impéraliste du monde. Les nations ont surtout des intérêts, qui ne sont pas toujours ceux de ces élites. Et ce faisant, les nations nous rappellent que ce sont elles qui peuvent avoir le dernier mot.
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