Chine/Iran : axe d’intérêts ou nouvelle donne géopolitique mondiale ?
L’épicentre des affaires stratégiques du XXIe siècle sera l’Asie. Thérèse Delpech , chercheur engéopolitique au CERI, l’a bien montré. Son analyse est éclairante et, cependant, je ne la suis passur la Chine. Celle-ci serait la menace majeure par son orgueil revanchard sur l’humiliationinfligée durant des siècles par l’Occident et par son obsession à « récupérer » un Taïwan qui agoûté à la démocratie et s’est lié par traités avec le Japon et les Etats-Unis. Certes, « dans un contexte de tensions internes, la Chine peut prendre des initiatives dangereuses à l’extérieur » (p.286) mais il me semble qu’assimiler Taïwan à « une nouvelle Alsace-Lorraine » est réducteur.Et surtout trop occidentalocentré. La convergence de Téhéran et de Pékin surl’enrichissement de l’uranium le montre, une nouvelle conception des relations internationale émerge lentement, accompagnant le développement des pays de l’ex-« tiers »monde et visant à secouer l’autoritaire et purement égoïste tutelle américaine.
Bien-sûr, les intérêts économiques et stratégiques de Pékin et de Téhéran sont loin d’être absents. La Chine a un immense besoin d’importer de l’énergie pour son développement accéléré, et seul ce développement à marche forcée peut lui garantir une certaine paix sociale. Les Chinois, occupés à s’enrichir, n’ont pas besoin de contester le pouvoir central (qui demeure « communiste »), l’Etat redistribue entre provinces à croissance inégale et protège comme il le peut les « petits » en butte à la corruption des nouveaux privilégiés. L’Iran, fort de ses richesses pétrolières
et soucieux de contrebalancer l’influence sunnite d’une Arabie saoudite affaiblie par son financement terroriste avéré, devient d’un nationalisme ombrageux dont la technologie nucléaire, comme au Pakistan, reste un objectif de prestige persan comme de puissance régionale.
Mais ces intérêts à court terme rencontrent une tendance lourde de la Chine : émerger au monde, faire coïncider progressivement sa puissance potentielle et sa puissance réelle, compter au XXIe siècle pour ce qu’elle est : un tiers de l’humanité (avec ses satellites et clients proches). Ne pas le voir, c’est ne rien comprendre au film, attitude superficielle qui n’étonnera ni les observateurs de l’Amérique, ni les analystes des médias, plus particulièrement français. La question n’est pas de savoir si l’Iran va être capable de vitrifier Israël ou d’envoyer des missiles sur la Californie. A cette étape, ce ne sont que fumeuses spéculations et fantasmes paranoïaques d’un certain lobby obsédé par sa judéité. Si être juif et le revendiquer est parfaitement respectable, imposer à longueur d’articles sa croyance en une prochaine apocalypse, en désignant comme seul bouc émissaire l’Iran, fausse tout raisonnement sensé sur le sujet. Aussi bien le gouvernement américain que la presse française apparaissent trop influencés par cette façon émotionnelle de voir, qui cache une tendance lourde, analysée par très peu de spécialistes.
Que disent les Chinois ? Pour eux, les sanctions sont contestables en droit international puisque, selon les termes du Traité de non-prolifération (signé aussi en 1992 par la Chine), l’Iran a « le droit » de développer la filière nucléaire civile. La rigidité des positions américaines, sur fond de crispations religieuses dont les attentats du 11-Septembre ont été le révélateur, pourrait conduire à un nouveau conflit qui s’ajouterait à ceux d’Afghanistan, d’Irak et du Liban. Ce serait un pas de plus vers une « guerre des civilisations » opposant l’islam aux « croisés » et aux « juifs », ce dont Pékin (n’ayant aucune passion impliquée) ne veut pas. Les Chinois préfèrent donc poursuivre les négociations, sans sanctions qui braqueraient les Iraniens, pour que le droit légitime des traités soit respecté tout en limitant la prolifération incontrôlée des armes nucléaires.
Ils mettent toute leur puissance montante dans cette politique, car elle va dans le sens que la Chine veut donner à son histoire. Contrairement aux Américains, les Chinois ont une histoire millénaire qui rencontre celle des Perses. Les invasions arabes ont produit une immigration vers la Chine au VIIe siècle dont Pirooz, un prince perse devenu général de l’armée des Tang et dont toute la descendance a fait souche dans l’Empire chinois. L’essor mongol a produit, au XIVe siècle, une émigration inverse de Chine vers la Perse. Kubilai Khan s’est débarrassé des membres de la cour impériale des Song en les envoyant en Perse où régnait son frère, Hualagu Khan. Etre fidèle à son histoire, aux liens familiaux, claniques et clientélistes, est un principe chinois. On le nomme « guanxi ».
La Chine se présente comme une masse de population han homogène dont l’histoire, l’écriture, la civilisation, sous la tutelle d’un Etat militaire, est unique. Cette assise ethno-historique, territoriale et de civilisation est ce qui lui donne cette paisible certitude d’exister dans le monde. Sa puissance, lorsqu’elle monte, ne peut que déborder, prendre sa place réelle comme de l’eau. Mais la Chine n’a pas vocation impérialiste, sa force tranquille suffit à son orgueil national. Les Chinois ne sont en effet pas enfants d’un Etat-nation forgé dans la lutte contre l’étranger. Certes, l’humiliation de la défaite face aux Japonais, après la mise en coupe réglée par les occidentaux au XIXe siècle, a été pour une part dans le succès « patriotique » de Mao. Mais une fois remise en ses frontières historiques, nul besoin de faire la guerre, pas même pour Taïwan : il suffit d’attendre que le fruit soit mûr
et que le continent devienne irrésistiblement attractif aux capitaux et aux affaires pour arrimer l’île dissidente à la mère patrie (c’est d’ailleurs ce qui est en train de se produire...). Le patriotisme chinois est fait d’allégeances imbriquées qui va de la famille au clan, du village à la province, des ancêtres aux dieux. La méfiance envers les étrangers est issue de la faiblesse (« Comment vont-ils encore nous exploiter ? ») et guidée par l’orgueil d’être une très ancienne culture (« Ils ne vont pas nous apprendre à penser ! »). Le Chinois se retrouve « centré » sans avoir besoin de batailler pour le demeurer. Les élites bureaucratiques se plaquent sur les structures élémentaires. L’Etat devient le protecteur, le redistributeur et le gardien des valeurs.
C’est ainsi qu’il faut prêter attention au nouveau concept collectif de vertu confucéenne et socialiste, les “huit honneurs et huit déshonneurs” (“ba rong, ba chi”) énoncés en mars 2006 par Hu Jintao :
- Aimer la patrie, ne pas lui faire de mal.
- Servir le peuple, ne pas le desservir.
- Adhérer à la science, chasser l’ignorance.
- Etre diligent, pas indolent.
- Solidarité, pas de gain aux dépends d’autrui.
- Honnêteté et confiance, l’éthique prime sur le profit.
- Discipliné et obéissant à la loi, ni chaotique ni insoumis.
- Vie simple et rudes combats, ne pas se vautrer dans le luxe et les plaisirs.
La politique étrangère de Pékin s’inspire de ce moule philosophique, sans aucun doute. Obéir à la loi internationale, c’est combattre le chaos mis par les Américains dans le monde. La solidarité mondiale implique des avantages mutuels dans les négociations. Il ne faut pas « laisser faire » mais agir, chasser l’ignorance, servir les populations. Tout en gardant un œil sur ses propres intérêts, ce qui est bien normal. Les Etats-Unis avaient pris, depuis une décennie, la mauvaise habitude de se croire la seule superpuissance du globe, agissant à leur guise par leurs capitaux, leur marketing, leur sens du divertissement, mais aussi par leur puissance militaire. Le 11-Septembre les a crispés dans le ressentiment, la guerre en Irak a « brutalisé » leurs mœurs au détriment des valeurs qui ont fondé l’Amérique, ravivant les courants fondamentalistes des religions. La politique chinoise, ferme et obstinée, est en train de contrer ces méthodes de caïd. Le terrorisme n’est pas acceptable, et la Chine le réprime sévèrement dans sa province islamisée. Elle ne vise pas à s’imposer à la place des Etats-Unis comme « maîtresse du monde », mais elle exige d’exister avec sa masse démographique, son émergence économique et sa façon millénaire de voir les choses.
L’Europe, dans cette phase, ne compte pas. « Retraitée de l’histoire », elle va au plus offrant. Elle a d’évidents liens politiques, culturels, économiques, stratégiques avec les Etats-Unis ; mais elle n’a surtout rien à gagner à les suivre aveuglément !
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