Chronique d’un mécanisme de repulsion réussi en RD Congo
Les populations congolaises se rendent enfin aux urnes et ces élections sont considérées pour la plupart des observateurs comme périlleuses. Et pour cause ! Les raisons premières qui ont été à la base de la ruine du pays et des conflits meurtriers demeurent. Dans l’est de la République démocratique du Congo, les populations dites autochtones et celles d’expression Kinyarwanda se détestent. Plusieurs fois elles se sont affrontées d’une manière sanglante. Cette partie du Congo a développé un schéma ethniste dans ses rapports inter-communautaires pour devenir l’épicentre de ce sinistre virus à travers le reste du territoire national.
1.0 AU COMMENCEMENT, LES CHEMINS DES PEUPLES
La région des grands lacs africains est une des zones les plus densément peuplées d’Afrique noire. Dans cet espace inter-lacustre, une grande mobilité des populations s’effectue en conséquence au gré des circonstances.
En effet, pour des raisons diverses, il s’opère un déplacement des populations à petite échelle motivé par la recherche d’une sécurité politique, sociale ou économique. Ce type de déplacement s’accompagne d’une mobilisation des moyens ( chèvres, vaches ) que ceux qui se déplacent peuvent utiliser pour négocier leur acceptation dans le milieu d’accueil, une manière de reconnaître le pouvoir local et de s’y soumettre.
Ainsi coule paresseusement au fil des âges la vie des peuples dans cette Afrique traditionnelle et profonde où se sont embrigadés à la fois, empire et royaume, sultanat et chefferie, minuscules unités ethniques distinctes ou indépendantes et peuplades aux traditions ou identités fluctuantes et culturellement interdépendantes.
2.0 L’INSTALLATION EUROPEENNE EN AFRIQUE
La période qui suit 1880 connaît une intensification des rivalités impérialistes entre nations européennes et donne le signal d’une invasion sans précédent de l’Afrique.
C’est à la conférence de Berlin - en 1885 - que la volonté de conquête et d’occupation territoriale se manifeste de manière nette : Il y est admis en effet que le préalable à la reconnaissance internationale des droits des empires européens sur leurs possessions outre-mer est désormais l’exercice d’un contrôle effectif sur ces territoires.
A cette conférence, le principal bénéficiaire est le roi des Belges LEOPOLD II. Le monarque qui a consacré sa fortune personnelle à l’exploration et à l’occupation de L’Afrique centrale se fait octroyer à titre privé un vaste territoire au cœur de l’Afrique.
L’importance que l’empire britannique attache à la région des grands lacs africains - source du mythique fleuve NIL - en Afrique médiane orientale fait revoir à la baisse les premières ambitions du jeune monarque des Belges. Lui qui désirait contrôler toute l’Afrique médiane - de l’océan atlantique à l’océan indien - devra se contenter d’une possession comprenant le bassin du Congo et limité à l’est par le fossé de « West Rift Valley où se trouvent les réservoirs du NIL, chers aux britanniques : ( Lire « les populations ougandaises à l’épreuve du contrôle des eaux du NIL » :http://www.agoravox.fr/article.php3 ?id_article=5486&id_forum=9259&var_mode
L’établissement des frontières des nouveaux Etats se négocie sans grands égards pour les divers groupes ethniques, culturels et linguistiques. Ce qui ne sera pas sans conséquences pour la suite...
A la suite de ses travaux, les Anglais s’installent sur le territoire du bassin du NIL baptisé Ouganda et les Allemands font main-basse sur les sultanats du Ruanda et du Burundi et forment une nouvelle entité étatique : le « Ruanda-Urundi »
3.0 LE PEUPLEMENT PRE-COLONIAL DES BANYARWANDA
A la veille de la « ruée » européenne, le Congo pré-leopoldien était un territoire occupé par une multitude des peuples organisés soit en Etat - c’est-à-dire en systèmes politiques centralisés- soit en unités politiques de petite dimension. Font partie de la première catégorie les royaumes Lunda, Luba et Kongo, de la seconde les Mongo, Bowa, Nande...et autres minuscules entités organiques et/ou sociales comme...les Banyarwanda .
En février 1899,l’explorateur allemand Kandt qui traverse le Masisi et découvre les lacs Mokoto témoigne de la présence de Rwandophones au Masisi. Dans son livre « Kaput Nil », il écrit :
« Ici, plusieurs Banyarwanda Tutsi nous rendirent visite, ce sont des hommes aimables et simples, mais pas aussi beaux ni aussi élégants que ceux de l’Urundi et du Rwanda, cela parce qu’ils doivent travailler. En effet, ici, ils ne sont pas les souverains du pays, mais vivent dans des villages isolés comme éleveurs de bovins à côté des premiers habitants qui sont des cultivateurs (...). À l’est -au Rwanda-, les Batutsi vivent en grand nombre en tant que rois et seigneurs (...). À l’Ouest - dans le Masisi -, ils vivent isolés ou en plus grand nombre, comme à Gishari, mais de toute manière, pas comme des souverains ». (R. KANDT, Kaput Nil, T.1, Berlin 1921, p.199).
La communauté Banyarwanda est composée principalement de deux
groupes sociaux, les Hutus, redoutables agriculteurs , et Tutsis, excellents
éleveurs de bétail. Les deux composantes parlent une langue commune - le Kinyarwanda
- et partagent une même culture. Notons qu’il n’existe pas de clan Tutsi ni
Hutu, tous les clans sont transversaux et comprennent Tutsi et Hutu. Entre les
deux composantes s’entretiennent des relations d’une complémentarité sociale
complexe et inégale maintenue par l’idée d’une communauté homogène .
Dans le cadre de la structuration administrative de la vaste possession du roi Léopold II -EIC ou Etat indépendant du Congo, ont accordé en 1906 aux Banyarwanda Tutsi des hauts plateaux de l’Itombwe, dans l’actuelle province du sud-Kivu, une entité administrative autonome qui est confirmé par le colonisateur belge en 1910, deux ans après le legs de l’EIC léopoldien à l’Etat belge .
Leurs descendants portent aujourd’hui le nom impropre et erroné de « Banyamulenge » - nom d’une montagne située sur leur territoire, le Mulenge - une manière pour ces Tutsis de s’affirmer face à la montée de l’ostracisme de la fin des années 60-70 qui tend à les assimiler aux réfugiés et clandestins venus plus tard du Ruanda-Urundi voisin . Il est important de souligner ces deux faits qui prouvent l’ancrage de ces populations Banyarwanda sur les hauts-plateaux d’Itombwe et à Gishari , lieux qu’ils occupent jusqu’à ce jour et ce bien avant l’arrivée du colonisateur belge, en 1908.
3.1 SOUS LA COLONISATION BELGE...
En 1910, deux ans après la cession de l’EIC à l’Etat belge, les conventions en cours depuis 1906, entre les Anglais, les Allemands et les Belges se terminent : On enlève au Ruanda-Urundi allemand tout le Bwisha, l’île d’Ijwi et la moitié occidentale du lac Kivu qui sont intégrés au Congo belge. Cette convention du 11 août 1910 détermine définitivement les frontières du Congo belge et le protectorat allemand du Ruanda-Urundi . Un pan des populations entières -Hutu et Tutsi - se retrouvent par cette convention désormais sous la juridiction du pouvoir colonial belge avec leur terre. Ces populations sont administrativement réunifiées en une collectivité secteur de Bwisha dans l’actuelle province du nord-Kivu . A la tête de cette collectivité est placé en 1920 un notable local le sultan ou mwami Daniel Ndeze. Ces populations sont généralement désignées sous l’appellation de Banyabwuisa ou Banyarutshuru.(Lire « Zoom sur une jeunesse en péril :les cas des rd-congolais Banyarwanda à Kampala en Ouganda » : http://www.agoravox.fr/article.php3 ?id_article=9351&id_forum=55547&var_mode=recalcul#commentaire55547
Rappelons que quelques minorités banyarwanda indigènes vivent aussi sur l’île d’Ijwi , sur les fertiles terres autour de la ville frontalière de Goma et à Gishari dans le Masisi .
La partie extrême nord-est du sultanat du Ruanda passe aux mains des britanniques installés en Ouganda. Ces populations Banyarwanda sont connues sous la dénomination de Bafumbira et vivent aujourd’hui paisiblement dans le district Ougandais de Kisoro et sont surtout considérées comme des citoyens ougandais à part entière.
Après la défaite de l’Allemagne impériale en 1918 - fin de la première guerre mondiale - son ancien protectorat du Ruanda-Urundi est mis sous mandat de la société des nations - SDN- et sa gestion confiée au pouvoir belge installé au Congo voisin en 1924.
3.1.1 LA MIGRATION ORGANISEE OU LES DEPORTES
En vue de mettre en valeur le fertile territoire et peu peuplé de Masisi - à peine 8 habitants /km2 - d’une part, et de décongestionner le Rwanda surpeuplé et rongé par la famine d’autre part, le pouvoir colonial belge décide de déporter de 1937 à 1955 des populations ruandaises -Hutu et Tutsi - de l’ancien protectorat allemand désormais sous son commandement vers « son » Congo. Il s’agit d’une migration organisée et baptisée « MIB » - mission d’immigration Banyarwanda - ou mieux, d’un déplacement interne au sein de l’espace de l’Afrique coloniale belge - qui comprend le Ruanda-Urundi et le Congo - des populations pour des raisons socio-économiques.
Un acte de cession est au préalable négocié au profit de la colonie auprès des autorités coutumières Bahunde - une tribu indigène - des droits qu’elles possèdent sur un terrain dans le Masisi - précisément à Gishari où déjà résidaient, souvenez-vous , quelques minorités rwandophones rencontrées par l’explorateur Allemand Kandt .
Ces immigrants, à leur arrivée au siège du district du nord-Kivu
- Goma - remettent au préalable leur carte d’identité du Rwanda-Urundi avant de
recevoir en retour des livrets de citoyens du Congo belge.
Tous ces immigrés sont tenus de s’intégrer dans les structures coutumières locales administrées par les « autochtones » Bahunde. Ces déportés sont estimés à 175 000 âmes .
Les nouveaux venus avec leur organisation socio-économique - activités agro-pastorales à caractère extensif - ne tardent pas à dépasser les limites des terres qui leur ont été initialement attribuées. D’où l’opposition croissante des chefferies et des populations indigènes qui vivent de la chasse et d’une agriculture de subsistance et qui supportent mal ce nouveau groupe en position de « conquête foncière » .
3.2.2. LA MIGRATION FORCEE A L’AUBE DES INDEPENDANCES
Au Ruanda, les sanglants troubles politico-sociaux entre Tutsi et Hutu peu avant son indépendance politique ont eu comme conséquences l’abolition du royaume à dominante Tutsi et le départ en exil de plus de 60 000 Ruandais Tutsi vers L’Ouganda et le Kivu congolais en 1959. Ces réfugiés ruandais sont regroupés dans les camps congolais de Bibwe (Masisi) , Ihula (Walikale) et Kalonge (Kalehe) sous mandat de l’UNHCR avec l’appui de la Croix-rouge internationale.
Entre-temps, les accords ayant préparé l’accession du Congo à l’indépendance à l’issue de la « table ronde » de Bruxelles, reconnaissent comme citoyens congolais tous ceux qui avaient déjà été reconnus comme tels par la colonie. En revanche, les délégations congolaises se prononcent contre l’octroi aux colons et à leur progéniture du droit à la nationalité congolaise écartant tout espoir de mise en place d’un Etat multiracial au Congo.
L’élite intellectuelle Banyarwanda a participé activement à cette mémorable conférence . Lors des élections communales ouvertes aux seuls Congolais en 1959 , plusieurs des ressortissants Banyarwanda sont élus au-delà même de leurs circonscriptions d’origine ou de fixation. On en retrouve dans le premier gouvernement post-colonial de Lumumba, à la chambre nationale des députés et dans le gouvernement provincial basé à Bukavu.
4.0 SITUATION POST-COLONIALE
Le Congo accède à l’indépendance en juin 1960. L’allégresse règne hormis dans le Masisi où les populations indigènes broient du noir face à « ces derniers venus peu accommodants », les ressortissants des deux catégories des Banyarwanda -autochtones ou indigènes du nord-Kivu et des plateaux d’Itombwe d’une part et transplantés du Masisi d’autre part - sont généralement considérés comme congolais à part entière dans l’esprit des autres habitants du Congo ».
Le pays qui a été plongé dans une crise institutionnelle avec l’assassinat du premier chef du gouvernement issu de la majorité parlementaire, Patrice Lumumba , fait ses premiers pas post-coloniaux dans la violence qui fait des milliers de morts à travers tout le territoire.
Entre-temps, le Ruanda-Urundi accède à l’indépendance et se sépare en deux républiques sœurs du Ruanda et du Burundi en 1962.Très vite de nouveaux troubles éclatent au Ruanda et provoquent l’exode vers le Congo voisin de plus de 50 000 Tutsti supplémentaires sur les 60 000 déjà présents depuis 1959. A leur tour, Ils sont cantonnés dans des camps UNHCR déjà opérationnels.
Faute de pouvoir régalien cohérent et coercitif, l’autorité légale est en proie à des troubles sanglants après l’assassinat du premier ministre Lumumba. Les camps des réfugiés vont se vider progressivement de leurs habitants qui se mêleront aux populations Banyarwanda - autochtones et transplantés - déjà en forte animosité avec les populations indigènes Bahunde dans le Masisi sous pression démographique et compétition foncière. Ceci envenime inévitablement la situation .
4.1 LA VIOLENCE AU KIVU
Naguère paisible le Kivu plonge dans la haine et les affrontements sanglants. La cause immédiate de cette violence meurtrière est le refus en 1962 des leaders politiques Banyarwanda de diviser l’ancienne province du Kivu central en deux provincettes correspondant à celles du nord et sud-Kivu actuels. Ils refusent en effet de voir leurs territoires rattachés à la nouvelle province du nord-Kivu et désirent appartenir au Kivu central qui a comme chef-lieu la ville de Bukavu . L’objectif de ce refus est le fort désir d’échapper à la conduite despotique des chefs coutumiers locaux Bahunde sur les populations Banyarwanda, des notables qui vont se retrouver dotés de plus de pouvoir avec la création de cette nouvelle entité politico-administrative . Ainsi les territoires de Goma et Bwisha peuplé principalement de rwandophones échappent à la nouvelle province créée et un referendum est envisagé par le gouvernement central concernant le territoire du Masisi peuplé à 80% des populations rwandophones - en majorité des transplantés de l’époque coloniale - en vue d’obtenir leur avis sur le choix de la province à laquelle elles désirent être rattachées. L’issue du referendum dans le Masisi fait mourir toute illusion auprès des partisans de la création d’une nouvelle province...
Cette attitude leur valut une forte hostilité de la part des politiciens issus d’autres tribus indigènes - Bahunde, Banianga, Banande ,Batembo - et surtout leur diabolisation : Un mensonge cousu de fil blanc et qui fera tâche d’huile dans l’esprit populaire jusqu’à ce jour est inventé par les hommes politiques du camp adverse :Ils sont accusés de ne vouloir appartenir à la nouvelle province dans le but inavoué de se détacher du Congo pour réintégrer le Ruanda, il est vrai ,leur mère patrie . Le doute est ainsi jeté sur le « bloc » Banyarwanda : la théorie de la « nationalité douteuse des banyarwanda » prend place dans l’imaginaire populaire.
Tout ceci débouche sur une chasse aux rwandophones :Exclusion des postes de l’administration publique, tueries et pillages accompagnent ces événements sanglants connus sous le nom de « massacre ou révolte du Kanyarwanda ». L’intervention politique du nouveau gouvernement indépendant Ruandais- à forte dominante Hutu- auprès de la communauté internationale pour que cessent les massacres de populations rwandophones congolaises -en majorité hutu à 75% - se révéla très malheureuse pour ces dernières , elle réconforte la position des partisans « d’un Kivu à purifier de ces éléments douteux qui désirent être annexés au Rwanda ». Les représailles s’amplifient et font des centaines de milliers de morts.
4.2 L’EXCLUSION POLITIQUE DES DEPORTES BANYARWANDA
En août 1964 dans le cadre de la réconciliation nationale est élaborée à Luluabourg et mise en vigueur une nouvelle constitution de type fédéral .Il s’agit d’un compromis entre les belligérants politiques congolais et elle redéfinit la nationalité congolaise comme suit :
« Est déclaré congolais au 30 juin 1960 toute personne dont un des ascendants est ou été membre d’une tribu ou d’une partie de tribu établis sur le territoire du Congo avant le 18 octobre 1908 , date de la cession de l’EIC à la Belgique »
Cette redéfinition de la nationalité prive le statut de congolais aux Banyarwanda transplantés dans le Masisi entre 1937 et 1955 , c’est-à-dire bien après le 18 octobre 1908, et en fait des apatrides sur le territoire congolais , mais ils sont paradoxalement autorisés à participer aux votes en tant qu’électeurs , mais sont non éligibles.
Tout porte à penser que le camp des partisans de la création d’une nouvelle province du nord-Kivu - ceux là même qui ont un différent foncier greffé désormais d’une lutte pour le contrôle du pouvoir politique avec les populations Banyarwanda - ont pris leur revanche !!!
5.0 L’ERE MOBUTIENNE
En novembre 1965, il y a instauration d’un régime présidentiel de type autoritaire par le commandant Joseph-Desiré Mobutu à la suite d’un putsch militaire qui met rapidement fin aux violences observées sur une partie de l’étendue du pays. Le régime Mobutu a réinstauré une unité nationale , certes fragile et ambiguë, mais réelle. Durant son règne un important métissage entre peuples s’est produit :L’éthnicité parait se diluer dans l’ambiguïté sous l’impulsion de l’urbanisation et de l’intensification des échanges trans-régionaux.
5.1. LA POLITIQUE GENERALE DE MOBUTU
Mobutu en machiavélique rompu à l’art de ne jamais se situer clairement sur l’échiquier politique « surfe » sur les trois courants qui constituent la nomenklatura politique congolaise et qui se neutralisent les uns les autres tout au cours de son règne.
-Le premier courant est composé de ceux que l’on designe sous le nom de « citoyens à nationalité douteuse » où sont rangés les hommes politiques Banyarwanda et quelques personnalités métisses . Mobutu s’en sert chaque fois qu’il désire faire briller son image auprès de la communauté financière internationale. -Les contours de second courant qu’on qualifierait de « nationaliste » se marquèrent plus nettement chaque fois qu’il y a une crise avec un Etat étranger. L’ancienne métropole, le royaume de la Belgique en sait quelque chose... -Une troisième tendance qui peut-être grossièrement qualifiée de « conservatrice » est en fait une nébuleuse de personnalités diverses composées d’anciens compagnons de route de Mobutu qui constituent en quelque sorte « les gardiens du temple » ou de l’ordre stalinien établi.
Mobutu pouvait en principe se reconnaître dans chacune des trois tendances : -N’était-il pas originaire d’une petite ethnie du nord du pays dont ses détracteurs en mal d’inspiration disaient qu’elle était « d’origine centrafricaine » ? -N’a-t-il pas affiché un nationalisme intransigeant en nationalisant les entreprises belges et étrangères, ses propos virulents contre le colonialisme belge ne le rendaient-il pas proche de la seconde tendance et soulevaient l’enthousiasme populaire des Congolais ? -Enfin, n’est-il pas aussi le militaire qui déteste le désordre dans ses rangs ou dans « son temple » ?
5.2 AU NOM DU PANAFRICANISME...
Au Kivu, Mobutu ferme les camps de réfugiés ruandais Tutsi administrés par l’UNHCR . Ces réfugiés, du moins le peu qui y résidaient encore car un bon nombre s’était déjà frauduleusement infiltré et dilué auprès des anciennes populations déportées, s’installent sans aucune formalité administrative sur les terres des populations indigènes.
Le pouvoir de Mobutu réhabilite les transplantés Banyarwanda du Masisi en leur reconnaissant le statut de citoyens congolais à part entière .
Et les autres issus de la migration forcée ? Ils sont tout simplement introuvables car tous transplantés ou indigènes .Ils possèdent tous des terres. Voilà comment la nationalité congolaise a été octroyée d’une manière collective aux Ruandais issus cette migration forcée.
5.3 ET DE L’IDEOLOGIE DE L’AUTHENTICITE...
Paradoxalement, l’idéologie officielle du régime Mobutu -
l’authenticité qui fonde le développement du pays sur la tradition des ancêtres
- lie l’appartenance nationale à la profondeur des racines ancestrales et
valorise une forme d’activisme culturel conduisant à une attitude de suspicion
et de rejet à l’égard de tous ceux dont l’autochtonie peut-être remise en
cause.
5.4. LE REGIME CREE UNE CONFUSION ADMINISTRATIVE...
Entre 1973 et 1990 , lors des diverses vagues de violence opposant Hutu et Tutsi au Ruanda, de très nombreux Ruandais Tutsi arrivent , les uns comme réfugiés officiels , les autres ( les plus nombreux ) comme officieux et non déclarés .
L’insertion territoriale et économique de ces nouveaux arrivants se fait sans difficulté, favorisée à la fois par le laxisme de l’administration zaïroise concernant les documents d’identité et par l’existence de réseaux sociaux fortement solidaires au sein des divers groupes d’origine ruandaise. Ils forment aujourd’hui 70% de la population du petit territoire de Masisi et la moitié de la population entière de la province du nord-Kivu.
La confusion s’installe, mais la police politique et le parti unique quadrillent l’espace public national et veillent sur l’ordre de plomb établi.
5.5 ...ET SOUFFRANCES SOCIALES AVEC LA NOUVELLE ECONOMIE
Le régime Mobutu a été responsable de la désertification commerciale et financière d’un champ macro-économique férocement cannibalisé : Une économie détruite ,des infrastructures sur lesquelles la brousse a triomphé, un peuple abandonné à lui-même... Pourtant l’arrivée des réfugiés Tutsi ruandais et leur installation dans le territoire de Masisi va faire connaître un important essor économique. Cette région devient un important grenier agro-pastoral avec la mise en place de fermes de type moderne qui demandent beaucoup d’espace. C’est un essor qui ne sera pas du goût des populations indigènes Bahunde, devenues minoritaires sur leur territoire d’origine et n’étant pas bien intégrées dans cette nouvelle dynamique de développement .
En effet cette nouvelle forme de richesse fait non seulement perdre leurs terres aux paysans pratiquant une agriculture de subsistance, mais consacre leur marginalisation complète dans la nouvelle organisation économique et foncière. Le mécontentement de la population laissée pour compte sera repris, reformulé et instrumentalisé par l’élite politicienne locale. Tous les coups sont permis et surtout les plus tordus : Les préjugés, les stéréotypes négatifs des uns à l’égard des autres, la méfiance, l’hostilité et la haine entre les peuples dits autochtones et allochtones au Kivu prennent place. Cette forme d’ethnisme - la rwandophobie -sévit à l’échelle régionale.
On accuse portée la communauté Banyarwanda de ne pas s’intégrer ou se soumettre aux notables locaux Bahunde. Maintenant que cette communauté est prospère, autant demander aux riches descendants des immigrés blancs aux Etats-unis de s’amerindianniser et de céder leurs filles en mariage aux autochtones « peaux-rouges » économiquement et culturellement marginalisés au nom de la coexistence pacifique...
6.0 LE LIBERALISME POLITIQUE
Contre les rapports hégémoniques de l’Occident en Afrique, la chute du communisme était censée amener une nouvelle ère politique, fondée sur l’assomption par les Africains de leur propre destinée. Au contraire, la nouvelle configuration géostratégique de l’ordre mondial, inaugurée par la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, n’a fait que changer le décor d’une même scène.
Le retour au pluralisme politique au RD-Congo en 1990 a libéré par la même occasion toutes les frustrations emmagasinées sous le régime de plomb chancelant du Président Mobutu. Les micro-politiciens locaux tentent de se repositionner dans la nouvelle configuration politique en usant de l’ethnisme ou un phénomène emphatisé à des fins politiques.
L’amplification délibérée de l’ethnicisme, sa rationalisation et son intellectualisation sous forme de propagande ont abouti à un vrai racisme : La rwandophobie ou un rejet des Banyarwanda , « ces Congolais d’origine très douteuse ».
6.1 DE LA RHETORIQUE A LA VIOLENCE
Très vite le Masisi s’enflamme. Les populations dites autochtones et celles d’expression Kinyarwanda s’affrontent, à la fois cibles et sources d’affrontements meurtriers.
Il s’agit avant tout d’une crise politique, et non pas ethnique, l’ethnicité ayant été utilisé comme un calcul politicien à fond d’arithmétique ethnique .La paupérisation des populations au kivu constitue l’instrument de propagation de la haine à travers la masse paysanne.
6.1 AINSI SONNE LE GLAS D’UN REGIME...
Tout ceci se déroule dans un champ magnétique régional très fort. Une nouvelle donnée exogène vient exacerber la situation au Kivu : L’arrivée massive de millions de ruandais - Hutus - fuyant la prise par les armes du pouvoir par des Ruandais venus de L’Ouganda, descendants des exilés Tutsis de 1959. Cet imbroglio se passe sur une terre subissant de nouvelles pressions démographiques sur fond d’une rwandophobie exacerbée par l’élite politique locale et débouche sur une guerre qui est menée au nom des Banyamulenge -ces Tutsi des hauts-plateaux d’Itombwe - auxquels le régime Mobutu retire la nationalité congolaise. Une guerre menée en leur nom par le Ruanda et par quelques politiciens Congolais opportunistes conduit à la chute du régime despotique de Mobutu qui nageait à contre-courant dans la nouvelle marche du monde.
6.2 EST-CE LA FIN DE SOUFFRANCES DES PEUPLES ?
Hélas non. Politiquement et militairement les despotes d’hier ont été remplacés par de nouvelles marionnettes capables de troquer servilement leur liberté contre une reconnaissance de facto d’un pouvoir usurpé par des moyens belliqueux en vue de protéger les intérêts des nouveaux maîtres du monde neo-liberal économique en Afrique.
Tout repart après un an de répit. Pendant cinq ans la guerre, sanglante plus que jamais, entre le nouveau pouvoir militaire à Kigali qui a fait du Ruanda un Etat-garnison et les ethno-nationalistes aux commandes en RD- Congo Le raidissement politique et le manque d’expérience démocratique de ces deux régimes sont à la base de cette guerre qualifiée par la presse internationale de « guerre mondiale africaine ». La théorie du complot connaît une nouvelle jeunesse portée par le succès de la culture populaire désabusée. Le complotisme est devenu un phénomène culturel au Congo et explique tous les malheurs du peuple congolais : De la nationalité douteuse des Banyarwanda congolais nous sommes passés à la non-nationalité de ces « maudits étrangers ruandais installés sur notre territoire, avant-garde de l’agression du Ruanda au Congo sous l’œil complaisant de la communauté internationale en vue d’assujettir le vrai peuple congolais appelé pourtant à jouer un important rôle mondial avec son potentiel énergétique énorme » !!! Et la boucle est bouclée dans cet enfermement mental stérile.
7.MON HUMBLE AVIS...
Il est téméraire d’affirmer qu’il n’existe pas des Banyarwanda rd-Congolais ou mieux des Congolais d’expression Kinyarwanda que de dire que toutes ces populations Banyarwanda vivant sur le sol congolais peuvent se revendiquer « autochtones » des terres qu’ils occupent bien souvent abusivement . Ce problème de nationalité des Banyarwanda esquivé ou envenimé à chaque fois par la classe dirigeante congolaise devra à coup sûr resurgir au centre des débats qui doivent inévitablement se tenir pour un avenir apaisé et radieux de la région inter-lacustre et l’intensité de son rebondissement serait à la hauteur des blocages et esquives rencontrés. La campagne électorale démarrée il y a trois semaines est marquée au coin du sceau de la " congolité « , version congolaise de l’ » ivoirité " dont le seul objectif est de remettre en cause la nationalité de certains candidats, au premier rang desquels, le président sortant, Joseph Kabila et le vice-président Azarias Ruberwa tous deux soupçonnés d’être Rwandais. L’autre candidat à la présidence Jean Pierre Bemba, fils de métis est regardé de travers. Alors qu’il ne manque pas à dire sur ces seigneurs de guerre repentis.
Une véritable réforme foncière est nécessaire dans le but de restaurer une certaine justice sociale indispensable au retour d’une paix durable dans le Kivu.
Il n’y a rien de bon à espérer d’une situation qui perpétue le conflit , aggrave les méfiances réciproques, renforce les présomptions que l’autre partie est toujours en train de tricher en dissimulant des objectifs et en avançant vers une destination inavouable. Ce passé ne passe pas parce que les causes premières demeurent et sont renforcées par la violence et la paupérisation qui n’épargnent personne.
JEAN-MARIE MUTOBOLA
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