Chronique des Andes (IV/IV) : le dernier satrape hémisphérique ?
C’est par ce petit clin d’œil à l’amitié indéfectible entre le charmant Ahmadinejad et le gourou bolivarien (ravi de vous apprendre (rappeler ?) qu’un satrape était en Perse une espèce de préfet tyrannique) que je vous présente le dernier volet de ma chronique andine (cf. I, II et III). Je ne regrette pas d’avoir attendu quelques mois : Ingrid Betancourt, libérée brillamment par l’armée colombienne, en dépit des logomachies écoeurantes des gouvernements français successifs et de la cohorte d’idiots utiles emmenés par la très oligarque famille Betancourt, a fait disparaître la Colombie de l’actualité que la presse française consent à nous livrer, non sans l’avoir biaisée à souhait. A tout prendre, il faut s’en réjouir, vu les bêtises lues ces six dernières années… Pour boucler ce qui apparaîtra un jour, l’espère, comme le gros scandale de la gestion française de l’affaire Betancourt, il est impératif de lire le bouquin quasi-complet et très facile à lire de Jacques Thomet, Les secrets de l’opération Betancourt.
C’est à don Hugo, le protecteur des gazaouites, l’espoir de l’alter-monde (Obama commence déjà à décevoir), l’icône du Monde diplomatique, le petit Mohamed (j’allais dire David, mais je ne veux pas offenser les sentiments du moment au palais de Miraflores), seul contre le sanglant Goliath capitalistico-siono-gringo, que je dédie la conclusion de mon propos. En voici deux raisons : je suis forcé de constater qu’une partie de mes concitoyens se sont entichés du personnage, dans la droite ligne de cette propension des Français, des gens sympathiques mais qui voyagent très peu, à se piquer de culture internationale et à disserter de géopolitique entre deux WE en Normandie. Il serait donc inconvenant de parler d’Amérique latine sans respecter l’une des marottes qui tiennent lieu à certains de connaissance de la région. En outre, les décibels du satrape ont fait de son « bolivarisme » un courant politique passager mais bien réel qui, après d’autres vieilles lunes, retarde l’avènement d’une Amérique latine qui n’a aucune raison de rester un lointain extrême-occident en marge du monde.
Le Venezuela, comblé par la nature, n’a pas eu beaucoup de chance en politique. Son histoire contemporaine a vu fleurir alternativement des dictateurs caricaturaux et des « démocrates » véreux. C’est dans ce bouillon de culture que le lieutenant-colonel Chavez, fort naturellement, a d’abord tenté de prendre le pouvoir par un coup d’Etat, substitut expéditif à un processus électoral que l’individu n’a pas toujours exalté… Dans un pays où la mono-activité pétrolière laisse pas mal de monde sur le carreau, il est assez classique de développer un discours contre l’oligarchie et d’emporter l’adhésion des peones. Chavez, qui n’a fait que deux ans en prison pour son putsch loupé (ce qui en dit long sur la violence politique de l’oligarchie…) montre incontestablement des talents particuliers pour resservir la soupe démagogique mille fois remuée dans l’histoire du pays. Il est élu il y a un peu plus de dix ans et, bon an mal an, on peut admettre qu’il a joui jusqu’à présent d’une incontestable majorité électorale. Bien. Respectons donc la démocratie vénézuélienne, qui n’a pas moins de handicaps que les autres, mais bon. La vraie question est de savoir si ces dix années ont signé l’émergence d’un nouveau modèle pour l’Amérique latine, qui justifie l’affection portée à ce personnage, qui a fait de l’invective, de l’insulte et de l’auto-congratulation sa marque de fabrique (déposée dans un coffre numéroté dans une banque new-yorkaise). Mon éducation ne me permet pas d’apprécier la vulgarité du personnage qui fait vibrer tant de Français quand elle se dirige contre les Américains. Une saine évaluation de l’état du Venezuela, malgré mes a priori idéologiques et culturels impose une tentative de bilan, tout en gardant derrière la tête les cours du pétrole qui, jusqu’à la baisse récente tant espérée, ont drainé des milliards de dollars dans les pays richement dotés par le bon Dieu. Chavez ayant déjà régné pendant dix ans, on pourrait essayer de dégager une tendance mais c’est une gageure. Les courbes des indicateurs économiques ont fait de véritables montagnes russes, avec notamment des taux de croissance ou de décroissance, mais également d’inflation à deux chiffres. Comme partout ailleurs en Amérique latine, les taux de pauvreté extrême ont reculé et les indicateurs sociaux se sont améliorés. C’est tant mieux, et certains programmes du chavisme ont constitué de véritables innovations sociales dans un pays traditionnellement inégalitaire, jusqu’à la caricature. Pour autant, le chavisme n’a pas réussi à générer une classe moyenne aussi volumineuse que celle de la Colombie voisine, et est resté dans un schéma de redistribution sèche. C’est bien entendu mieux que rien, mais c’est précaire ! Les deux véritables échecs sont les suivants :
- s’agissant des institutions, le pouvoir très centralisé du président Chavez, sa méfiance à l’égard des administrations et sa nature messianique l’ont conduit à affaiblir encore un peu plus les fonctionnaires et l’organigramme des ministères afin de gérer en direct tous les dossiers. Toutes proportions gardées, Chavez est en cela très sarkozyen ou Sarkozy très chaviste ! Sur le plan financier, le fonds de développement national (FONDEN), nourri de la manne pétrolière, constitue un véritable budget parallèle, distribué par la présidence. Les ministères sont ainsi des coquilles vides. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée en termes d’efficacité, de démocratie et de transparence. La distribution est en effet orientée selon des critères plus politiques qu’objectifs…
- la sécurité : le Venezuela est aujourd’hui l’un des pays les plus violents au monde. Caracas a des taux d’homicide 7 fois supérieurs à ceux de Bogota et est la capitale d’Amérique latine la plus dangereuse. L’insécurité a explosé ces dernières années dans tout le pays et j’y vois deux causes : la première est l’amélioration de tous les critères d’ordre public en Colombie. Pour les malfrats de tout poil, il est aujourd’hui naturel de s’expatrier au Venezuela. L’efficacité de la police et de l’armée colombiennes participent de ce transfert des activités criminelles dans le pays voisin. Au lieu de le déplorer, le président Chavez serait bien inspiré de faire preuve de la même fermeté à l’égard des criminels que celle que le président Uribe, envers et contre tous, a montrée depuis 2002. J’expliquerai la deuxième cause en négatif : le discours de justice sociale et les prébendes distribuées dans les favelas des agglomérations vénézuéliennes n’ont pas fait reculer la délinquance commune, bien au contraire. L’appât de l’argent facile et l’absence de considération pour la vie se sont développés de façon fulgurante. J’y vois la preuve d’un échec moral du chavisme. Le matérialisme règne sans partage !
Il faut ajouter à ces deux avatars une politique régionale très contestable, qui se traduit notamment par un soutien officiel bien qu’à éclipses à l’égard de la guérilla des FARC. Je reste pantois face à l’absence de réaction au contenu confondant pour Chavez et ses lieutenants des ordinateurs du guérillero Raul Reyes, authentifié par Interpol et mis partiellement à disposition du public par les autorités colombiennes. Mais également face à l’absence de réaction internationale face à la minute de silence observée par le même Hugo Chavez à la mémoire de Marulanda, le chef barbare de la guérilla colombienne qui a même donné son nom à une place de Caracas !
Au total, l’expérience chaviste, vous l’aurez compris, me laisse plus que sceptique. J’enrage pour l’Amérique latine, dont la véritable émancipation est retardée par ces aventures caricaturales. Et la colère m’envahit en constatant que Sarkozy poursuit ses risettes et conforte internationalement Chavez dans l’espoir de signer quelques contrats et d’apparaître comme un grand leader progressiste loin de tout sectarisme. Pensez-y, camarades bolivariens de tous les pays, vous êtes les alliés objectifs de l’œuvre sarkozyste !
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