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Dilma Rousseff : quel Brésil en héritage ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, la victoire de Dilma Rousseff à l’élection présidentielle brésilienne laissent apparaître un pays politiquement consensuel. En effet en récoltant 56% des voix au second tour de l’élection, Dilma, comme les brésiliens la surnomment, a devancé son adversaire, José Serra, de près de 12 millions de voix. Et pourtant très largement construite sur le prestige de son prédécesseur Lula ce succès ne doit pas faire oublier les lacunes criantes de l’ancien syndicaliste dans son bilan social ; ainsi que la nécessaire recherche d’un consensus politique à trouver dans le champ institutionnel, partisan et politique pour la nouvelle présidente. Bref de l’ampleur d’une victoire ne doit pas procéder pour Dilma l’évidence d’un pays si simple que ça à gouverner. Car le Brésil reste traverser par les divisions, les lacunes, les handicaps et les conservatismes, à tel point que c’est de sa force émergente dont il faut, pourquoi pas, douter.
 
Car premier de tous les défis pour Dilma, réussir à dégonfler le mythe Lula quant à l’efficacité réelle de sa politique sociale. Car nombreux sont les mythes des présidences Lula. Lors de la campagne les partisans du PSDB de José Serra s’y sont bien employé, mais maintenant que l’élection est passée la tentation est forte de les ignorer.
 
Et de fait le Brésil reste un pays d’inégalités criantes, extrêmes et parfois indécentes. Par ce simple constat c’est un peu de la façade du « Lulisme » qui se lézarde, tant est tentante pour ses partisans d’accréditer l’idée d’un pays qui durant les deux mandats de l’ancien syndicaliste a profondément évolué sur la voie du recul de ses inégalités.
 
Il est incontestable que les inégalités salariales ont exceptionnellement régressé. De même le programme Bolsa Familia, que le gouvernement a énormément étendu quant aux nombres de ses bénéficiaires, a sorti de la pauvreté des millions de familles. En effet aujourd’hui ce programme offre la quasi-totalité de leurs revenus à 12,6 millions de familles. Mais la Bolsa Familia n’est qu’un versant d’une politique plus large de réduction effective et manifeste de la pauvreté au Brésil pendant les 8 ans de présidence Lula. Là aussi les chiffres l’attestent, car la pauvreté concernait 42,7% de la population en 2003, pour ne concerner que 28,8% des Brésiliens en 2008. Et de fait à coté de la Bolsa Familia Les gouvernements Lula ont régulièrement fait augmenter le salaire minimum entre 2003 et 2009 (+ 45% en tout).
 
On vit mieux certes au Brésil depuis 8 ans. Car à cette hausse des salaires a pu correspondre une meilleure accessibilité du crédit pour les classes les plus pauvres. La moindre inflation du réal ayant rendu le crédit attractif ; alors que les besoins en consommation d’une économie peinant à se tourner vers l’exportation pour l’ensemble de sa production exigeaient l’ouverture d’un plus grand marché intérieur.
 
Mais il n’y a là qu’apparence d’égalisation des conditions sociales. Car si les inégalités salariales ont diminué, celles entre le capital et les revenus du travail ont continué à creuser l’écart entre les plus riches et les plus pauvres. D’ailleurs les données statistiques brésiliennes confirment que les revenus des plus nantis sont essentiellement fondés sur les revenus du capital ou sur des revenus fonciers.
 
Un chiffre illustre à lui seul cet implicite dérangeant du bilan de Lula : les intérêts de la dette versés aux détenteurs de la dette souveraine brésilienne sont 23 fois supérieurs en terme de montant à ce que le programme Bolsa Familia à couté au gouvernement. Or 80% de la dette brésilienne ne profitent qu’à 20000 familles, qui pour 2009 ont eu à se partager 380 milliards de Réal de dividendes, c’est-à-dire l’équivalent de 36% du budget.
 
On le voit donc à un recul réel des carences sociales du Brésil pendant les 8 ans de Lula a correspondu une persistance et même une aggravation de a différence entre riches et pauvres.
 
A cela un élément de confirmation officiel : l’étude faite par les services de l’ONU sur l’emploi et le développement humain au Brésil. Or ce rapport conclu que le partage des richesses du boom économique brésilien s’est assurément fait au détriment des travailleurs.
 
Et encore les carences méthodologiques de l’indice GINI par lequel on mesure les inégalités tendent à amoindrir les différences réelles entre revenus du travail et du capital. En effet il se fonde beaucoup plus sur un principe de revenu disponible brut qui aux revenus obtenus par son travail ajoute les revenus de transfert qu’offrent les politiques sociales comme celle de la Bolsa Familia.
 
Dilma se tromperait donc à croire qu’elle hérite d’un pays qui en a fini avec sa tradition inégalitaires. Il reste encore beaucoup à faire au Brésil à tel point que la question des moyens politiques réels qui sont les siens se pose.
 
En premier lieu se pose la question de l’avenir politique de Lula et de son ombre oppressante à bien des égards pour Dilma. Le rappel des conditions médiatique de sa victoire l’atteste. En effet au début de la campagne des présidentielles (environ en février mars 2010) personne ne connaissait Dilma qui stagnait à 10 points derrière José Serra qu’elle finira par battre. Rétrospectivement il est évident qu’elle n’a commencé à se placer en position de possible vainqueur qu’à compter du moment où volontairement, de sa part à elle, et médiatiquement, de la part de ses communications de campagne, elle s’est laissée identifier comme la « candidate choisie par Lula ».
 
C’est pourquoi sa victoire est essentiellement celle du choix de la continuation des années Lula, mais avec d’autres hommes, de la part des brésiliens. Qu’en sera-t-il pour Dilma après la passation de pouvoir du 1er janvier 2011 et l’émancipation nécessaire de son mentor et presque père politique ? Une élection éventuelle de Lula au poste de secrétaire général de l’ONU ne faisant que déplacer le problème tant Lula semble plus que jamais favori au poste de candidat du P.T. pour la présidentielle de 2014. Exigence est donc faite à Dilma d’être tout à la fois Angela Merkel, qui eu de façon moins caricaturale que Dilma à s’affranchir de l’ombre de Helmut Khol, et Dmitri Medvedev, lui aussi forcé de trouver les conditions de sa propre légitimé politique alors qu’on le soupçonne de « garder la place au chaud » pour celui qui l’a fait roi.
 
En second lieu pour Dilma se posera la question des consensus politiques à trouver ou a poursuivre pour pouvoir gouverner. Car là est tout à la fois la condition de la réussite et l’origine des échecs sociaux, dont nous avons parlé plus haut, des années Lula.
 
En effet si Lula a essentiellement agit sur les inégalités salariales c’est toujours en prenant soin de ne pas asphyxier l’activité économique et en ne remettant pas cause les inégalités originelles de nature plus structurelle. Eternel dilemme du réformisme social parvenu au pouvoir assurément. Là fut certainement le consensus à trouver avec le conservatisme social brésilien pour pouvoir gouverner de la part de Lula. Ainsi pu se faire la mue entre le syndicaliste effrayant pour certains milieux patronaux et le président que même les élites qui lui sont le plus idéologiquement hostiles ne souhaitent pas toutes voir partir.
 
Là encore qu’en sera-t-il pour Dilma ?
 
Pour preuve de ce recentrage politique une vieille préoccupation du parti des travailleurs est en passe de se laisser marginaliser sur l’autel du réalisme gouvernemental : la question de la réforme agraire et des paysans sans terre. On touche avec cette question à l’archaïsme sociétal le plus criant du Brésil. Car on entre ici dans ce Brésil pauvre, attardé et presque féodal que le capitalisme consumériste brésilien aimerait ignorer.
 
Et alors que le Parti des travailleurs s’était engagé à faire une réforme agraire « large et massive », Lula n’a fait qu’effleurer le problème durant ses présidences. A cela une explication idéologique, celle qui veut que dans un Brésil de croissance technologique le problème agraire ne soit pas perçu comme une question d’avenir. Mais à cela aussi une raison politique, celle touchant à la composition de la majorité de gouvernement que Lula eut à compter durant ses mandats. A cet égard il est évident qu’avoir pour allié le groupe parlementaire ruraliste n’a pas permis à Lula de sérieusement aborder la question. Assez honnêtement d’ailleurs il voyait en elle un « facteur d’ingouvernabilité ».
 
Là encore Dilma Roussel pourra-t-elle éternellement faire croire à la base sociale du parti des travailleurs qu’il n’y a plus là un trait symptomatique des inégalités qui fracturent la société brésilienne ?
 
Et plus généralement de quelle majorité législative pourra-t-elle se prévaloir pour gouverner un pays dont tous les constitutionnalistes s’accordent à dire qu’il réclame une réforme institutionnelle d’importance ? En effet quel avenir pour une présidente à la tête d’un régime aux pratiques politiques rétrogrades et obsolètes ? En particulier la corruption est criante dans le comportement politique brésilien. Là encore c’est toute la réalité effective des prétentions réformistes de la gauche brésilienne qui se pose.
 
Car sur le versant des conservatismes Dilma devra composer avec une autre force de ralentissement majeur au Brésil ; la religion. Car à voir les concessions morales qu’il lui a fallu verbalement octroyer entre les deux tours de la présidentielle du plus grands pays catholique du monde il semble évident que la religion compte dans le débat politique.
 
Ainsi la première femme présidente du Brésil dû bel et bien confirmer qu’elle n’était pas pour le droit à l’avortement.
 
Resterait bien une solution, celle d’un Brésil demain plus moderne grâce à l’audace et la qualité de son système scolaire. Mais là encore la tache est abyssale et écrasante. Tous les signaux sur l’état de déliquescence scolaire et culturel du Brésil sont au rouge. Ainsi seulement 25% des brésiliens seraient véritablement alphabétisés. De même le Brésil ne compte que 13000 chercheurs de plus que la France pourtant presque trois fois moins peuplée. L’écart avec la Chine étant plus énorme, le Brésil ayant presque 8 fois moins de chercheurs. De plus l’état famélique de sa recherche universitaire souffre également d’un trop grand nombre de sujet d’étude n’ayant qu’assez peu d’utilisation possible dans l’activité économique.
 
Bref c’est bien d’un pays beaucoup plus en difficulté qu’il n’y parait dont Dilma Roussel s’apprête à prendre les rênes. Incontestablement, dès lors, se pose la question sur l’état de puissance réel de cette puissance émergente. A Dilma de ne pas céder à l’excès d’optimisme qui parfois caractérise ce type de pays.

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2 réactions à cet article    


  • L'enfoiré L’enfoiré 4 novembre 2010 12:40

    Grégory,
     Je remarque que vous n’avez pas encore de commentaires.
     Je ne sais si vous êtes passé par mon billet qui essayait de capter le plus d’infos possible.
     Sur cette antenne, il était présent aussi et a été discuté.
     Votre vision y était aussi précisée.
     Le futur a de ses surprises sur prises.
     smiley
     
     


    • Tony Pirard 4 novembre 2010 14:39

       Il me semble que quand la Presse Europénne veut information de l’Amérique du sud,elle va seul au Wikipédie ou à un manuell de scotisme... !.

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