Faut-il se réjouir de la vente de douze sous-marins à l’Australie ?
Dans la nuit du mardi 26 avril 2016 après deux années de rebondissements, on apprenait que l'Australie avait porté son choix sur la DCNS pour la construction d'une flottille de 12 sous-marins conventionnels, décision avancée de deux mois en raison des élections législatives anticipées prévues en juillet ! Le montant du contrat dont la signature est envisagée dans une dizaine de mois..., porterait sur 34 milliards d'euros.
Pour remporter le programme baptisé "SEA 1000", le constructeur français s'est inspiré du sous-marin nucléaire d'attaque Suffren classe Barracuda livrable à la Marine nationale à partir de 2017. Le cahier des charges de l'Amirauté australienne, pour ce que l'on en connait, stipulait que le sous-marin doit pouvoir parcourir 10 000 miles nautiques (un mile vaut 1852 mètres) en immersion ! Les visiteurs attentifs du salon Euronaval 2014 qui a réuni au Bourget 352 sociétés venues de 28 pays avaient pu remarquer le programme SMX-Ocean, un nouveau modèle de sous-marin transocéanique. Le Shortfin Barracuda est le plus gros des sous-marins conventionnels européen. Capable d'emporter 60 membres d'équipage, ce « grand océanique » de 4 700 tonnes, long de 97 mètres, de 8,80m au maître-bau, d'un tirant d'eau 7,3 m pour un tirant d'air de 8,4m et capable de plonger à plus de 350 mètres (acier 100 HLES) est pourvu d’un système de propulsion à pompes-hélices carénées qui le rend très silencieux. Les sous-marins hybrides classiques doivent régulièrement remonter proche de la surface afin de recharger leurs batteries au plomb en utilisant leurs moteurs diesel qui aspirent l'air frais par un renifleur (schnorkel) qui affleure en surface et en rejette les gaz d'échappement à l'air libre. Ce « spot » peut être repéré par les capteurs thermiques, acoustiques, radars adverses et son sillage par les satellites.
La Direction des Constructions et Armes Navales Ingénierie propose trois technologies de propulsion différentes. Le système « Propulsion Indépendant de l’Air » (AIP) apparu durant la Seconde Guerre mondiale et expérimenté par la Kriegmarine (travaux du professeur Walter). La technologie anaérobie (sans oxygène) développé par la DCNS (détenue à 62% par l'État et à 35% par Thalès) est opérationnelle depuis 2008, date de sa livraison sur les sous-marins pakistanais du type Agosta 90B. Le carburant est remplacé par un comburant, de l'oxygène liquide (1 litre en contient 800 litres détendus) dont la combustion est transformée en vapeur qui entraine les alternateurs, les gaz d'échappement étant rejetés en mer sous forme de petites bulles de CO2. Le MESMA (Module d'Energie Sous-Marin Autonome) à circuit fermé fonctionne avec un mélange éthanol-oxygène qui permet de doubler l'autonomie en plongée, soit deux semaines à faible vitesse (4 nœuds). La coque recouverte d'une peinture anéchoïque et non pas de tuiles contribue à le rendre plus silencieux qu'un sous-marin à propulsion nucléaire !
La DCNS propose également l'équipement d'unités de batteries au lithium capables d'offrir une semaine d'autonomie en plongée en complément des batteries au plomb réservées à l’alimentation du réseau électrique du bord. Ces batteries ion-lithium assurent suffisamment de puissance électrique pour permettre au sous-marin de filer 12 nœuds en immersion pendant 24 heures ou 1 semaine à 4 nœuds !
Le contrat fait bien évidemment l'objet de nombreuses clauses secrètes, mais on peut penser que le choix des autorités australiennes a aussi porté sur un point technique particulier. Un tronçon de 8 mètres de long de la partie centrale de la coque semble destiné à abriter un espace permettant une évolution à venir. Cela pourrait être l'accueil de la nouvelle génération de piles à combustible de deuxième génération (FC-2G) alimentée à la demande par de l'hydrogène extrait à partir du gasoil. Ce système disponible sous forme de module autonome et qui permet une autonomie en plongée de trois semaines à vitesse de 4 nœuds, peut être logé dans n'importe quel bâtiment de 6 mètres de diamètre minimum. Cette partie centrale est le maillon d'une adaptation évolutive d'usage à la mer, elle peut accueillir une trentaine d'options : des réservoirs de carburant supplémentaires, des mini-submersibles ou des drones sous-marins (UUV), une chambre de décompression, etc., en faisant un bâtiment polyvalent dédié aux missions de renseignement et opérations clandestines.
Le SMX-Ocean doit pouvoir atteindre : des cibles terrestres (missiles de croisière), d'autres navires ou submersibles (missiles, torpilles, mines), aussi bien que des aéronefs (missiles antiaériens). Le « Barracuda » ayant été étudié pour emporter des missiles de croisière (MDCN) utilisables depuis les tubes lance-torpilles, les ingénieurs vont devoir procéder à des modifications afin de l'adapter au système américain « Tomahawk » (barillet vertical). Le premier sous-marin Barracuda australien devrait être mis à l'eau en 2027 suivi de sa mise en service trois ans plus tard. Avec ce type de bâtiment capable de naviguer entre les océans : Atlantique - Indien - Pacifique, et mer de Chine, l'Australie espère pouvoir bénéficier d'une supériorité militaire et technologique pendant de longues années. Une flottille de 12 sous-marins offre la garantie d'en avoir huit opérationnels à la mer. La France ne pourra donc probablement pas livrer cette technologie à certains pays de la zone pacifique.
Les sous-marins seront construits à Adélaïde avec de l'acier australien (leurs aciéries sont au bord de l'asphyxie et des milliers d'emplois sont sur la sellette. Autre question, vont-ils acheter le nickel de la Nouvelle-Calédonie ?). Si on ne sait pas encore exactement qui fera quoi, certaines pièces ne peuvent être conçues qu'en France et il en sera sûrement de même pour les formations. La première partie du contrat porte sur 25 ans et il faudra ensuite assurer la maintenance des submersibles en condition opérationnelle, probablement une vingtaine d'années supplémentaires. Selon les hommes politiques, le contrat devrait entrainer des répercussions sur notre économie à hauteur d'environ 25 %, soit une somme estimée à 8 milliards d'euros estimée suffisante pour maintenir 4 mille emplois pendant 6 ans dans nos arsenaux et les secteurs annexes de la sous-traitance (ce n'est pas cher l'heure...).
Ce contrat pourrait à terme se révéler une maladresse. Le marché mondial des sous-marins hybrides est estimé à 80 nouvelles unités dans la décennie à venir (sur 260 existants), principalement en : Corée - Indonésie - Malaisie - Singapour - Vietnam ; les sous-marins nucléaires d’attaque restant l’apanage des : États-Unis - Russie - France - Royaume-Uni - Chine - Inde en raison du traité de non prolifération de mars 1970 ratifié par 188 pays. Si le contrat nous est présenté comme une bouffée d'oxygène pour la DCNS et ses 200 sous-traitants : Thales, Sagem, Jaumont Electric, Schneider Electrics France, Aubert & Duval, Manoir Industries, etc., l'Australie devrait s'assurer 50 % des retombées économiques et les Américains qui restent silencieux, engranger 25 % à 30 % avec la livraison du système d'arme (compétiteurs Raytheon et Loockeed Martin) complet du submersible... Faut-il vendre le transfert de technologie ? Il aurait suffi de vendre trois ou quatre submersibles à des pays tiers pour engranger autant de profit tout en conservant jalousement le savoir-faire et avoir une chance de livrer l'armement et l'électronique en sus pour ainsi multiplier par "x" fois les bénéfices et les emplois. En privilégiant l'effet d'annonce, on contribue à une confusion politique entre : le court, le moyen et le long terme dommageable à notre économie.
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