Guerre énergétique : Les (dé)raisons de l’amitié Iran-Zimbabwe

Le parlement zimbabwéen, lors de sa session du 18 mars dernier, évoque sans détour la situation des entreprises textiles contrôlées par l’Iran au Zimbabwe. La société holding Modzone gère deux filiales Travan blankets et Irazim textiles détenues à plus de 80% par des Iraniens. Concernant Travan Blankets, le rapport du parlement zimbabwéen présente une longue litanies des déficiences et de dysfonctionnements ; machines obsolètes, pas d’investissements suffisants, prix trop élevés des produits finis, productivité en berne, évasion de la main d’œuvre qualifiée, baisse des effectifs de 500 à 200 personnes, coupures d’électricité plusieurs heures par jours, 300 000 $ de stocks invendus, dettes énormes, besoin d’urgence en fonds propres de 350 000 $ et la cerise sur le gâteau : les Iraniens démotivés souhaitent vendre 70% de leurs parts.
Concernant Irazim, qui produit entre autres des uniformes de l’armée, ce n’est pas mieux. La société tourne à 20% de sa capacité de production en raison notamment d’importantes coupures d’électricité. Ceci, bien que la compagnie nationale d’électricité ZEZA facture chaque mois près de 80 000$. Les équipements sont dépassés et un investissement d’urgence de 2 millions de dollars est nécessaire. Sans parler des ruptures d’approvisionnement en matière première : le coton n’arrive pas en quantité suffisante en raison du délitement de l’agriculture zimbabwéenne. Enfin, l’usine n’offre aucune compétitivité car la vente de la production est indexée sur la bourse de Liverpool ce qui rend les prix à l’export prohibitifs. Pour couronner le tout, les mêmes produits textiles importés hors taxe, sont, à qualité égale, beaucoup moins chers. La cata, dixit le parlement zimbabwéen.
Mais des coups de trompettes retentissent, des étendards claquent au vent. Le 22 avril dernier, le Président iranien est en visite d’Etat au Zimbabwe. Festivités, nombreux compte-rendus convenus dans la presse internationale qui reprend les communiqués officiels. Au programme : la 51eme édition de la grande foire internationale de Bulawayo, étalée sur les 20 hectares de l’immense centre des expositions. A noter que l’imposant pavillon iranien dépasse en importance l’opportuniste pavillon allemand de la chambre Allemagne-Afrique-Australe à l’affut des bons coups.
Le protocole a aussi glissé quelques visites de sites industriels : l’usine textile de Modzone (citée dans le paragraphe précédent) dans la ville de Chitungwiza. Sans oublier en point d’orgue, la nouvelle chaîne d’assemblage de tracteurs, une joint-venture irano-zimbabwéenne établie dans les ateliers (un peu poussièreux) Mazda de WMMI importateur du bon vieux pick-up Mazda B-50. Cette nouvelle société conjointe appelée Motira vise la production de 2000 tracteurs par an. Beau comme un remake austral de Tintin au pays des soviets. RAS (rien à signaler) donc.
Bien sûr, comme dans toute visite d’Etat qui se respecte, des protocoles d’accords (MOU) entre le Zimbabwe et l’Iran ont été signés à tours de bras dans tous les secteurs, avec l’engagement, promis juré, de créer de nouvelles joint-ventures dans les secteurs de l’agri-technologie, l’eau, les systèmes bancaires et de la prospection minière.
Rien d’autre ? Le président iranien se serait donc déplacé pour inaugurer une foire -certes prestigieuse-, une usine de textile en faillite, puis une chaîne de montage de tracteurs ? Et signer quelques MOU. Avec tout le respect, un premier conseiller d’ambassade aurait parfaitement pu faire le job…
En fait, au-delà de la réaffirmation des liens politiques étroits qui unissent les deux pays (même approche “robespierriste” des droits de l’homme, appartenance au mouvements des non-alignés dont le prochain sommet en 2012 se déroulera en Iran, dénonciation des valeurs occidentales etc.) le but du voyage visait à jeter les bases d’une coopération stratégique. Que l’on pourrait schématiser de manière abrupte par : pétroleum contre uranium.
Un appel d’offre vient en effet d’être lancé pour la réhabilitation de LA raffinerie zimbabwéenne de Feruka, tombée en désuétude et conçue à l’origine pour traiter le brut iranien. Les besoins actuels d’Harare sont d’une centaine de millions de litres de diesel par mois, autant d’essence et une quinzaine de millions de litres de kérozène pour les coucous. Le pétrole vient du port mozambicain de Beira, un pipe-line de 300 kilomètres menant à Feruka. Ce conduit est totalement corrodé sur certaines portions et doit être en partie restauré d’ici à 2015.
Un autre pipe-line est en construction entre Harare et Francistown au Botswana voisin pour étendre la distribution dans les prochaines années. L’Iran est donc sur les rangs pour moderniser la raffinerie et assurer un approvisionnement stratégique en pétrole brut à partir du Mozambique en partenariat avec la National Oil Company of Zimbabwe (Noczim). Indépendamment de ces projets, l’Iran, pour faire bonne mesure, étudie la construction d’une centrale à gaz et une nouvelle station hydroélectrique pour satisfaire les besoins critiques du pays en électricité.
En contrepartie, le Zimbabwe met ses ressources minières dans la balance. Le sous-sol regorge d’une quarantaine de minerais dont certains, rares, sont stratégiques pour l’industrie mondiale (or, platine, lithium, nickel, cobalt, palladium etc.). 300000 mineurs (légaux et clandestins) zimbabwéens, nouveaux damnés de la terre, travaillent en permanence à l’extraction dans des conditions extrêmes, pour employer un euphémisme. L’exploitation globale, le terme est approprié, est supervisée par la société d’Etat ZMDC et le marketing par la MMCZ.
Le Zimbabwe endetté en milliards de dollars recourt régulièrement à ce système d’échange pour assurer sa survie économique. L’Europe avait par exemple en 2006 sécurisé un prêt important, via une grande banque française, par un gage sur la production de nickel. La Chine et la Russie qui fournissent l’aviation de chasse zimbabwéenne procèdent de la même façon. La démonstration aérienne effectuée lors de la visite d’Etat iranienne prouve la qualité des accords aéronautiques conclus.
Bref, l’Iran n’aura que l’embarras du choix, comme les autres fournisseurs du Zimbabwe. Avec peut-être une option privilégiée sur le gisement d’uranium intact de Kanyemba-1, 20 km au sud de la vallée du Zambèze, perdu sur un plateau, à deux pas de la frontière mozambicaine. Identifiées depuis 40 ans, les plaques d’uranium de plusieurs centaines de mètres de long sur quelques mètres d’épaisseur attendent d’être extraites. Les experts parlent de 1800 tonnes. 6 ans d’exploitation à raison de 300 tonnes par an. Pas l’affaire du siècle mais un appoint intéressant par les temps qui courent.
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