Intolérance et inquisition en Algérie
Intolérance et inquisition. Deux mots qui font peur. Deux mots qui caractérisent maintenant l’Algérie.
« Le gouvernement doit rappeler fermement aux agents de l’ordre et aux magistrats que leur rôle n’est pas de pourchasser les citoyens pour « délit religieux », mais de protéger l’exercice des libertés fondamentales, garanties par la Constitution et les Pactes internationaux ratifiés par l’Algérie ». [...] « Dans l’espace public, tous les citoyens doivent jouir des mêmes droits et du même respect ». C’est le message que lançait le Collectif SOS Libertés de l’Algérie. Le message n’a pas été entendu. L’article 35 de la Constitution algérienne stipule que « la liberté de conscience et la liberté d’opinion sont inviolables ». Même si l’islam est proclamé religion d’État, en Algérie, le gouvernement peut-il ignorer sa Constitution ? Bouabdallah Ghlamallah, ministre des Affaires religieuses et du Waqf, a une toute autre interprétation de la Constitution. Selon lui, les Algériens ne jouissent pas du droit d’être différents en religion. C’est nier l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ».
C’est la fin du Ramadan. En Algérie, une chasse aux tricheurs a marqué âprement cette fête musulmane. El-Watan écrit : « On aurait certainement aimé finir ce mois sacré du Ramadhan dans un esprit de mansuétude, dans un élan de générosité, et par-dessus tout, dans une ambiance festive. […] Ce qui s’est passé à Aïn El Hammam, à Ouzellaguen et à Tébessa donne assurément une piètre image de notre État, réduit à traquer les non-jeûneurs à défaut de chasser ces squatters de parkings sauvages qui règnent sur nos cités ».
En dehors des cercles que fréquentent les observateurs de l’actualité internationale, il fut très peu question dans la presse mondiale des événements qui ont marqué ce mois de Ramadan qui s’est malheureusement caractérisé par des atteintes flagrantes aux droits élémentaires de l’Algérie en tant que citoyen et personne humaine. Maître Fetta Sadat est le Secrétaire national aux droits de l’Homme de l’Algérie. Il dénonce le comportement abusif et inacceptable de la police algérienne : « s’érigeant en censeurs, moralisateurs et prétendus gardiens de la moralité publique, les services de police ont procédé à des arrestations musclées de “non-jeûneurs” les déférant à parquet. Ces interpellations, véritables opérations coup-de-poing opérées dans les wilayas de Tizi Ouzou et de Béjaïa rappellent douloureusement les mêmes descentes policières effectuées durant les mois de Ramadhan des années précédentes dans les autres wilayas du pays à l’instar d’Alger, Tiaret, Biskra et autres ». Selon Maître Fetta Sadat, « ces arrestations sont dénuées de tout fondement légal, la Constitution algérienne, texte suprême consacrant clairement la liberté de culte, la liberté de conscience et la liberté d’opinion ».
Pour comprendre ce qui s’est passé en Algérie, il me faut vous citer La-Kabylie : « si vous déjeunez tranquillement chez vous, que l’on sente seulement une odeur de café ou autre qui émane de chez vous pendant le Ramadan, ne soyez pas surpris de voir débarquer illico la police. Cette même police qui devrait plutôt s’occuper à assurer la sécurité et le bien-être du citoyen. Dans les villes algériennes c’est la pagaille qui règne. Malgré une omniprésence des policiers, les agressions, les vols sont monnaies courantes. Des milliers de personnes squattent les trottoirs avec leurs étals, obligeant les piétons à emprunter les voies réservées aux véhicules ». La-Kabylie dénonce vertement ce qu’est devenue l’Algérie d’aujourd’hui : « Dans l’Algérie de Bouteflika ce n’est pas à Dieu qu’il faut rendre compte, question foi, mais à la justice des hommes ».
La question se pose : tous les Algériens qui ne font pas la prière, sont-ils tous des hors-la-loi ? L’Algérie sombre dans le totalitarisme religieux le plus complet. Onze personnes d’Ouzeleguen ont été arrêtées alors qu’elles ont été surprises en train de manger dans une gargote près du marché pendant ce mois de ramadhan. Le propriétaire des lieux est en liberté provisoire et il est mis en cause pour « atteinte aux valeurs et aux préceptes de l’islam » conformément à l’article 144 bis 2 du code pénal en Algérie. Au nom de l’Islam, la primauté du droit à la liberté de conscience et à la liberté individuelle est encore une fois complètement bafouée.
Slate cite Aziz, un enseignant, effaré par le pouvoir croissant des islamistes dans son pays. « En Algérie, Abdelaziz Bouteflika a fait un deal avec les islamistes. Il leur a dit : vous nous laissez le pouvoir politique et nous, on vous laisse le contrôle de la société civile ». Slate cite également le journaliste algérien Akram Belkaïd qui prend aussi la plume pour défendre le droit des non jeûneurs : « La religion est une affaire individuelle et chacun est libre de respecter ou pas les commandements divins. On ne peut obliger les gens à être de “bons musulmans” et, d’ailleurs, quel prix pourrait-on accorder à des jeûnes imposés par la coercition ? Ne pas jeûner, ce n’est pas insulter l’Islam ou les musulmans. C’est faire un choix qui ne regarde personne d’autre que l’individu lui-même. D’ailleurs, la logique policière qui veut que l’on fasse la chasse aux non jeûneurs est quelque peu spécieuse. Pourquoi alors ne pas embastiller celles et ceux qui ne prient pas, la prière étant aussi l’un des cinq piliers de l’Islam ? »
A la veille du mois de Ramadan, le Collectif SOS Libertés avait lancé aux autorités politiques algériennes un appel au respect de la liberté de conscience : « Le collectif SOS Libertés appelle les autorités à respecter les lois de la République, en mettant un terme au détournement des institutions au service d’une idéologie intolérante et liberticide. Le gouvernement doit rappeler fermement aux agents de l’ordre et aux magistrats que leur rôle n’est pas de pourchasser les citoyens pour ’délit religieux’, mais de protéger l’exercice des libertés fondamentales, garanties par la Constitution et les Pactes internationaux ratifiés par l’Algérie ». Le Collectif SOS Libertés exigeait de plus que « des lieux de consommation (cafés et restaurants) doivent être autorisés à ouvrir pour répondre aux besoins de ceux qui, pratiquant une religion autre que l’Islam ou n’en pratiquant aucune, ont choisi de ne pas jeûner ». En mars 2008, le Collectif SOS Libertés était à l’origine d’une pétition pour le respect des libertés démocratiques en Algérie.
Est-ce mieux au Maroc ? Au Maroc, tout Musulman qui rompt le jeûne du Ramadan dans un lieu public peut se voir puni par une amende et une peine de prison pouvant aller jusqu’à six mois. Manger en public est punissable en vertu de l’Article 222 du Code pénal marocain qui dit : « Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de l’emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 12 à 120 dirhams ». Pour la deuxième année consécutive, des jeunes Marocains ont lancé une initiative dont le but est de permettre aux gens qui ne veulent pas observer le jeûne de Ramadan de pouvoir manger en public sans être punis. Ils ont créé un groupe facebook qui s’appelle MALI pour : (M)ouvement (A)lternatif pour les (L)ibertés (I)ndividuelles. Il compte jusqu’à ce jour-ci 2262 membres. Le Conseil des oulémas de Mohammedia condamne bien évidemment ces agitateurs et leur dessein odieux. Pour le député et imam, Abdelbari Zemzemi, cité par Magharebia, « les opinions religieuses sur la question ne peuvent être plus claires : ceux qui rompent le jeûne chez eux durant le Ramadan ne sont pas concernés. Et il n’est pas légal de les espionner. Mais manger en public est un acte que les autorités sont dans l’obligation de punir ».
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