La DEMOCRATIE à l’égyptienne
Le 14 juin 1981 le général Hosni Moubarak est plébiscité président de la république égyptienne et succède à Anouar Sadate. Durant trente années de règne, le Raïs allait diriger en pharaon un peuple égyptien qu’on emmenait à la paix comme à la guerre selon le bon vouloir du commandement suprême.
Avant d’être présenté au peuple pour l’élire, le président est d’abord choisi par l’armée dont il obtient l’aval(Sadate, Moubarak) une institution militaire omniprésente dans les casernes, aux frontières comme dans la vie politique. D’immenses privilèges sont accordés aux officiers supérieurs dont un certain nombre participe à la gestion des affaires de l’Etat. C’est ainsi que vécut l’Egypte avec Gamal Abdennacer, Anouar Sadate et Hosni Moubarak. Bien entendu à coté de l’armée il y avait toujours un parti au pouvoir, des hauts cadres et des dignitaires choisis parmi l’élite du pays pour encadrer les masses populaires à l’échelon national et régional.
Que ce soit à l’époque de la royauté ou avec l’événement de la république, les Egyptiens n’ont en réalité jamais connu la démocratie. Dans les deux régimes ce sont toujours les militaires et les élites qui dominent la vie politique et économique. Le peuple tenu à l’écart quant à lui, est de tout temps resté abandonné à lui-même. Des petits artisans et commerçants, des ouvriers agricoles au service des grands terriens constituent l’immense partie de la population. C’est cette masse silencieuse, résignée et miséreuse, mais en général très attachée aux fondements de la religion qui allait être petit à petit infiltrée par les cadres des frères musulmans, endoctrinée et retournée contre le régime.
L’organisation des frères musulmans fondée par l’égyptien Hassan Al Benna dès 1928 est connue pour son caractère panislamique et sa vision pour une renaissance islamique et un soulèvement (Intifada) contre l’influence occidentale. C’est ce sentiment qui inspire encore et motive la plupart des mouvements islamiques de par le monde, en plus bien entendu de l’occupation par Israël des Lieux Saints de l’Islam. Quand on parle de l’opposition arabe dans certains pays de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient, il s’agit surtout de groupes politisés des classes moyennes ou membres de syndicats. Une bonne partie des habitants reste encore très éloignée de la politique, soit par ignorance soit par crainte des représailles de l’autorité. Les seuls électeurs de cette masse qui osent exprimer leur volonté dans les urnes sont ceux affiliés ou sympathisants des organisations religieuses. D’où les dernières victoires des Islamistes au Maroc, en Tunisie et en Egypte notamment.
Les gouvernements issus de majorités islamiques connaissent toutefois encore un certain nombre de difficultés, à savoir leur manque de maîtrise dans la gestion des affaires sociales et économiques et leur incapacité à gouverner un Etat moderne, comme ils restent attachés à des méthodes archaïques relatives notamment à des questions d’actualité telles les conditions de la femme et la limitation des naissances. A noter cependant que leur combat en Egypte et leurs critiques de l’ancien régime ainsi que leurs slogans faisant de la justice et de l’égalité les principaux thèmes de leurs discours et de leurs programmes, leur donnent une bonne audience au sein des masses populaires.
Qu’ y a-t-il aujourd’hui en Egypte face aux Islamistes ? D’une part nous retrouvons en permanence la grande pyramide que constitue cette armée égyptienne, la plus importante du monde arabe, en nombre et en équipement, une institution qui a toujours été le bouclier du régime en place et, d’autre part, ce qu’on appelle les partis d’opposition qui défient actuellement la majorité. Certains observateurs avertis pensent plutôt que des forces occultes avec une complicité étrangère sont susceptibles d’être derrière ce qui se passe en Egypte.
Selon Marc Lavergne, chercheur et spécialiste de l’Egypte « les frères musulmans ne sont pas responsables de tous les maux ». L’auteur cite entre autre un certain nombre de problèmes qui ont gangrené la société égyptienne dont la corruption et la bureaucratie. Avant l’arrivée des Islamistes la situation économique du pays était déjà catastrophique. Avec quelle baguette magique le président Morsi ou tout autre dirigeant peut-il redresser la situation en douze mois ? Parlons de l’armée Marc Lavergne précise que cette institution consomme à elle seule près du quart des richesses du pays, ajoutant que c’est un corps dominé par de hauts gradés, jaloux de leurs privilèges, très conservateurs et n’agissant que pour leurs intérêts.
Pouvons-nous dire maintenant qu’il y a une véritable opposition en Egypte, un grand parti politique ou une coalition de partis bien structurés avec un projet crédible et une assise populaire pour les soutenir et les porter au pouvoir en cas de nouvelles élections ? La réponse est non. Les adversaires de Morsi se limitent en premier lieu au camp des laïcs qui compte quelques milliers d’intellectuels de gauche en général et à quelques revanchards de l’ancien régime ou encore quelques ambitieux personnages se voyant projetés comme futurs présidents de la république égyptienne, tels Amr Moussa et Mohamed Al Baradai, lesquels, il convient de le signaler, ne possèdent aucune audience dans le pays du Nil.
Cette opposition fait état aujourd’hui de quatorze millions de manifestants .Ce chiffre n’est pas pris au hasard. C’est pour montrer qu’il dépasse le nombre des électeurs qui ont voté pour le président Morsi. D’ailleurs les anti- islamistes ne cessent de répéter que les Egyptiens qui n’avaient pas donné leurs voies à l’actuelle majorité représentent plus de 48 °/°, autrement que si on refaisait le vote, Morsi serait à coup sûr battu. Pour ces opposants la manifestation appelant à la démission de Morsi dépasse en ampleur toutes celles organisées dans le passé. Rappelons que la littérature arabe est connue pour ce genre d’exagération.
L’opposition se contente également, dans sa critique du gouvernement, de parler toujours de généralités (problèmes de sécurité, de pénurie de produits à la consommation, de chômage) sans donner des précisions ni présenter des solutions de rechange. Disons enfin qu’armée et opposition semblent être de connivence pour faire chuter le gouvernement islamiste de Morsi. Le président reçoit un ultimatum officiel des forces armées pendant que les opposants qui ont appelé à la désobéissance civile ont exprimé clairement le souhait d’un retour pur et simple des militaires au pouvoir.
Quel avenir peut-on, dans ces conditions, prévoir pour ce pays de 84 millions d’habitants qui connaît une situation économique des plus désastreuses ? Continuer l’aventure avec un gouvernement démocratiquement choisi par le peuple mais inexpérimenté et peut être même inapte à gouverner un pays en ébullition ou retomber pour longtemps encore dans les griffes de l’armée de Hosni Moubarak ? A signaler enfin que si jamais les Islamistes sont écartés de force, la dictature de l’armée risque d’être très brutale face à des musulmans plus agressifs.
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