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Accueil du site > Actualités > International > La francophonie et l’arabophonie : Deux visions du monde

La francophonie et l’arabophonie : Deux visions du monde

« Ce qui compte, c’est que l’Algérie et la France aient la langue française en partage et que tant d’écrivains, tant de savants expriment en français ce qu’il y a de plus beau dans l’art, dans la sagesse et dans la pensée algérienne. Et je souhaite que davantage de Français prennent en partage la langue arabe par laquelle s’expriment tant de valeurs de civilisation et de valeurs spirituelles.. »

 

Nicolas Sarkozy (Discours de Constantine 5 décembre 2007)

 

Le 40e anniversaire de la francophonie célébré en France nous donne l’occasion de dresser un état des lieux de deux langues qui ont des destins divers et qui, au cours des siècles, ont eu à formater les imaginaires du peuple français et des peuples arabophones. Qu’est-il justement de l’arabe et de sa destinée en France comparativement au statut la langue française dans le monde ?

 Pendant longtemps, l’enseignement de l’arabe s’est fait naturellement tant que la demande était faible et que la politique ne s’en mêlait pas. L’enseignement de la langue arabe est ancien sur le territoire français. Il remonte à l’époque de François 1er. Pourtant, en France, l’enseignement de la langue arabe a commencé dès le Moyen Age. En 1530, François 1er fonda le Collège des Lecteurs Royaux -le futur Collège de France- où fut ouverte la première chaire d’arabe. Entre la fin du XVIIIe siècle (fondation de l’Ecole de langues orientales en 1795) au XIXe siècle, ayant besoin d’arabisants au service de la colonisation, la France développa l’enseignement de cette langue dans ses universités et dans ses instituts coloniaux. Au départ, formation complémentaire réservée aux diplomates, missionnaires et militaires, l’arabe gagne peu à peu sa reconnaissance comme discipline à part entière : l’arabe fit son entrée dans les concours de recrutement de la fonction publique, tandis que l’agrégation d’arabe fut créée en 1905. A l’époque, l’enseignement de l’arabe était essentiellement lié au phénomène colonial.

 Durant la période coloniale, sur le territoire algérien, qui était alors divisé en trois départements français, la politique « intégro-assimilationniste » de la puissance coloniale fut en grande partie menée contre la langue arabe. Selon le général Bugeaud, le but ultime de la colonisation était d’assimiler les Algériens à « nous, de manière à ne former qu’un seul et même peuple sous le gouvernement paternel du Roi des Français ». L’idéologie « intégro-assimilationniste » se traduisit concrètement en Algérie par le fait que les musulmans algériens qui voulaient devenir citoyens français, devaient renoncer à toute particularité linguistique, religieuse et/ou culturelle pour s’« intégrer » pleinement à la nation française. Ainsi, le maréchal Lyautey, connu pour être un homme « respectueux » des coutumes locales, écrivait dans une circulaire de 1925 : « Nous n’avons pas à enseigner l’arabe à des populations qui s’en sont toujours passé. L’arabe est facteur d’islamisation, puisqu’il est la langue du Coran, et notre intérêt nous commande de faire évoluer les Berbères hors du cadre de l’Islam ». Après la décolonisation, la langue arabe continua d’être enseignée et en 1975 le Capes d’arabe fut créé. Mais d’une manière générale, il n’y eut jamais de réelle volonté politique de développer l’apprentissage de l’arabe dans l’enseignement secondaire français. Et cette affirmation nous semble de plus en plus vraie.(1) 

 Depuis, l’arabe semble appelé à connaître un déclin inéluctable. Dans le courant des années 1990, sous l’action conjuguée d’une actualité internationale où le Proche-Orient se taille la part du lion et de la visibilité accrue de la jeune génération de Français issus de l’immigration maghrébine, l’enseignement de l’arabe devient victime de choix idéologiques et de politiques qui créent un sentiment de précarité chez les élèves, étudiants et professeurs, et contribue à donner à cette discipline l’image d’une matière « à risque » où les débouchés peuvent s’élargir prodigieusement ou se tarir d’une année à l’autre.(2)

 En 2004, alors que le ministre de l’Education nationale, Luc Ferry, proclame la nécessité de diversifier l’enseignement des langues, ses services décident, fait sans précédent depuis la création de l’agrégation et du Capes, la fermeture des deux concours. Le 16 mars 2004, F.Lagrange, président du Capes du jury du Capes d’arabe, et Luc-Willy Deheuvels, son prédécesseur, signent dans Libération une tribune intitulée « La langue arabe, un enjeu social » où ils attirent l’attention sur l’importance d’un enseignement de l’arabe dans des conditions scolaires conventionnelles et mettent en garde contre l’abandon de cette langue aux associations communautaires.

Régression

 En 2005, la session du Capes d’arabe a été supprimée. Cette mesure est une régression notable dans l’enseignement d’une langue qui ne fut jamais vraiment promue au sein de l’institution scolaire française. Pourtant, la langue arabe ne peut pas être considérée comme une langue « rare » puisqu’elle est parlée par plus de 250 millions d’individus dans le monde et qu’elle est la langue officielle de plus de vingt pays. Malgré cela, la langue arabe est enseignée uniquement par 214 professeurs dans 259 collèges et lycées à l’heure actuelle en France. Pourtant, les demandes pour apprendre l’arabe sont très fortes. Il est vrai que nombre d’élèves de références arabo-musulmanes veulent mieux connaître leur culture d’origine et étudier la langue arabe qui est porteuse de cette culture. De fait, l’éducation nationale ne couvrirait que 15% des demandes d’apprentissage de la langue arabe. Les 85% restants étudieraient cette langue dans des structures privées ou associatives, ou encore dans les Elco (institutions dépendant de pays arabophones ayant passé des contrats avec la France).(1) 

 Au contraire, la fermeture du Capes d’arabe en 2005 confirme des orientations idéologiques et culturelles d’ordre général. En effet, depuis plusieurs années devant la conscientisation toujours plus grande de la population arabo-musulmane vivant dans l’Hexagone, l’Etat français n’a cessé de renforcer sa politique « intégro-assimilationniste ». Cette politique et cette idéologie ont toujours été largement dominantes dans l’histoire de France, mais elles se sont sensiblement renforcées ces dernières années. Aujourd’hui la politique « intégro-assimilationniste » de l’Etat français vis-à-vis des populations arabo-musulmanes de ce pays tend à reproduire les mêmes politiques de déculturation et acculturation. L’élimination de la langue arabe n’est qu’un élément dans une politique générale d’assimilation. Le 5 décembre 2007, à l’occasion d’une visite d’Etat en Algérie, Nicolas Sarkozy prononce un discours dans lequel il déclare : « Ce qui compte, c’est que l’Algérie et la France aient la langue française en partage et que tant d’écrivains, tant de savants expriment en français ce qu’il y a de plus beau dans l’art, dans la sagesse et dans la pensée algérienne. Et je souhaite que davantage de Français prennent en partage la langue arabe par laquelle s’expriment tant de valeurs de civilisation et de valeurs spirituelles. En 2008, j’organiserai en France les Assises de l’enseignement de la langue et de la culture arabes, parce que c’est en apprenant chacun la langue et la culture de l’autre que nos enfants apprendront à se connaître et à se comprendre. Parce que la pluralité des langues et des cultures est une richesse qu’il nous faut à tout prix préserver. » Un an après les Assises de la langue arabe les mesures annoncées tardent à se concrétiser (1)

 L’éducation nationale en France considère que l’arabe est une langue étrangère alors qu’elle fait partie intégrante du patrimoine culturel de millions de Français. Elle est usitée dans les familles, dans les cages d’escaliers, dans les quartiers. Elle domine dans les banlieues, dans les prisons. Pourtant, elle n’est pas enseignée à l’école primaire, elle est marginalisée au lycée, elle est réservée à une élite à l’université. L’arabe en France est la langue des sous-scolarisés et des savants.

 La situation ne fera qu’empirer du fait d’une cacophonie totale, les pays arabophones n’ayant pas de stratégie dans les pays d’accueil. De plus, scientifiquement parlant, personne ne publie en arabe. L’âge d’or de la langue arabe c’est aussi l’âge d’or de la science et de la technologie musulmanes dont les plus grands auteurs étaient arabophones sans être arabes. Maimonide écrivit son livre « Dellalat el haïrin », « le guide des égarés » en arabe et non en hébreu. Le quotidien saoudien, Al-Jazirah, a publié en janvier 2008 un article d’Eissa Al-Halyan qui fait la critique de certains intellectuels arabes se plaignant qu’aucune université arabe n’était incluse dans la classification des 500 meilleures universités dans le monde. « Citez-moi une université arabe qui soit à la hauteur d’Oxford, de Cambridge, de Harvard, de Stanford, de la Sorbonne ou d’autres universités de renommée mondiale. Alors que les universités ailleurs dans le monde sont en concurrence pour être à la pointe de la recherche universitaire, les nôtres s’occupent de cérémonies et de conférences. » Tout est dit. 

Qu’en est-il de la francophonie qui lutte courageusement contre la vulgate planétaire qu’est l’anglais, selon le juste mot de Bourdieu ? Tous les gouvernants de droite comme de gauche veillent à l’exception culturelle française. Ils ont créé l’espace de la francophonie qui a des relents qu’on le veuille ou non, de « Franceafrique ». Au-delà des pays francophones, la France ratisse large en admettant des pays anglophones comme l’Egypte qui n’ont qu’un vague aperçu de la langue de Voltaire. Michel Guillou écrit : « L’apathie francophone est générale. Après une période pionnière à la fin des années 80 et début 90 où, ambitieuse, innovante, conquérante, elle a lancé structures et programmes d’avant-garde, la Francophonie s’est anesthésiée et technocratisée. L’innovation a quitté la table (...) Pourtant, elle demeure un espoir et continue d’exercer un attrait indiscutable, et ce, malgré l’Amérique toute-puissante et sa déferlante économique, linguistique et culturelle. De nouveaux pays frappent à sa porte. Elle commence à faire preuve d’une capacité d’influence à l’échelle de la planète, comme l’a montré son action pour l’adoption en 2005 de la Convention de l’Unesco sur la promotion et la protection des expressions culturelles. Cependant, la Francophonie n’est pas une évidence. Elle est teintée pour certains de néocolonialisme français et pour d’autres de combat d’arrière-garde face à un anglais qui serait déjà accepté comme seule langue du monde. »(3)

« La Francophonie dont nous parlons n’est ni la francophonie de la fin du XIXe siècle - la première francophonie liée à l’expansion coloniale - ni la seconde, fille de la décolonisation, proposée dans les années 60 par le Sud pour fonder un Commonwealth à la française, mais la francophonie du dialogue et des échanges au sein de l’union géoculturelle de langue française. C’est ce qui fonde sa légitimité. Avec cette troisième francophonie, on passe des espaces postcoloniaux aux espaces de dialogue interculturel. Il y a dans la Francophonie une part de rêve, de modernité qu’il faut faire partager, des dynamiques qu’il faut rendre visibles, des attentes auxquelles il faut répondre. Sa particularité est d’être née sur une double base : une langue en partage et une volonté de dialogue des cultures. C’est ce qu’Abdou Diouf appelle la "magistrature d’influence" de la Francophonie, magistrature qui s’exprime de façon souvent avant-gardiste dans des dossiers essentiels tel l’environnement. Même la priorité accordée aux langues, parfois perçue comme un combat d’arrière-garde, se révèle un point essentiel pour éviter l’uniformisation du monde, dont l’urgence est soulignée par d’autres : résolutions aux Nations unies sur le multilinguisme ou directives européennes... »(3)

Le danger de l’anglais "la vulgate planétaire"

  Lors d’un discours à l’occasion des 40 ans de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Nicolas Sarkozy a tenu à cadrer les futures missions de la Francophonie. Il a défendu, samedi 20 mars, la Francophonie comme rempart contre le « monolinguisme » et la « monoculture ». Estimant que le français n’était pas menacé par son propre déclin mais plutôt par « la montée de l’anglais comme langue de communication internationale ». Nicolas Sarkozy a toutefois demandé « l’application stricte » des règles qui font du français une langue de travail à l’ONU et dans l’Union européenne. Et il a raillé les diplomates français « tellement heureux de parler anglais », leur demandant d’être des « ambassadeurs de l’intransigeance francophone ». Le président a enfin souhaité que l’OIF porte « des combats politiques », citant « la préservation de notre planète », « la gouvernance mondiale » ou le « développement ». « La francophonie, ce n’est pas simplement des intellectuels, des amoureux des belles lettres ou de la langue, mais ça doit se traduire aussi dans un combat politique », a-t-il insisté, indiquant qu’il plaiderait pour que l’OIF soit invitée à la conférence internationale sur la reconstruction de Haïti.(4)

Qu’en est il de la position de l’Algérie dans tout cela ? Deuxième pays francophone, pays arabopone et amazighophone, l’Algérie peine à se redéployer. Le manque de visibilité fait que nous perdons des places et des privilèges léguées par l’histoire. Quand Mitterrand a inauguré la Bibliothèque d’Alexandrie, les députés égyptiens qui se sont fait traduire son discours l’ont acclamé debout. Sans faire un fonds de commerce de la repentance, qu’en est-il de la dette de la France vis-à-vis des millions d’Algériennes et d’Algériens qui, qu’on le veuille ou non, font plus pour la langue française que des dizaines de pays qui émargent au râtelier de la Francophonie ? On parle de francophonie ,y a-t-il une arabophonie à défendre collectivement ou individuellement au nom de l’histoire de la culture et surtout de l’acculturation croisée entre la France et la "chose arabe" pour reprendre l’expression de Volnay .
En tant qu’Algériens qui avons à notre corps défendant milité pour la langue française dans l’absolu et non au nom d’un assujetissement à l’ancienne puissance coloniale , le moment est venu d’avoir une une visibilité... il nous faut défendre par réciprocité, en France la langue arabe mais aussi notre autre langue ; la langue amazighe, car la nature ayant horreur du vide, ce que nous ne faisons pas pour notre communauté, sera fait par les autres...

 Il nous faut réfléchir sérieusement à la mise en place d’une présence culturelle digne de ce nom en France. Apparemment, nous n’en prenons pas le chemin. C’est encore une erreur que de ne « pas mobiliser » toute la communauté des Algériens et Algériennes de France qui ont en commun l’amour d’une terre et d’une identité.

1.La langue arabe et l’Education nationale http://www.saphirnews.com/La-langue-arabe-et-l-Education-nationale_a2124.html

2.Enseignement de l’arabe en France Wikipédia, l’encyclopédie libre.

3.Michel Guillou : Sommet de la Francophonie à Québec - L’enterrement de la Francophonie est-il programmé ? Le devoir- Ariane Poissonnier, pour MFI

4.Nicolas Sarkozy, défenseur de la francophonie NouvelObs.com 20.03.2010

 

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechnique enp-edu.dz 


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5 réactions à cet article    


  • Krokodilo Krokodilo 31 mars 2010 14:17

    Beaucoup de questions, peu de réponses !
    D’accord sur l’absurdité d’une certaine francophonie, absurde quand elle accepte l’Egypte, mondaine et inactive devant le déclin du français dans l’UE et dans le monde, alors que de nombreuses mesures seraient possibles, à condition d’agir ensemble, comme le soutien à l’édition scientifique francophone, voire son obligation.

    « Pourtant, la langue arabe ne peut pas être considérée comme une langue « rare » puisqu’elle est parlée par plus de 250 millions d’individus dans le monde et qu’elle est la langue officielle de plus de vingt pays. »
    A ma connaissance, ces pays ne parlent pas la même langue, le marocain n’est pas le tunisien. Mes connaissances sont nulles à ce sujet, mais je trouve qu’un article sur les différences réelles entre les dialectes arabes et l’arabe dit littéraire serait très intéressant et utile pour clarifier le sujet.

    « De plus, scientifiquement parlant, personne ne publie en arabe. L’âge d’or de la langue arabe c’est aussi l’âge d’or de la science et de la technologie musulmanes dont les plus grands auteurs étaient arabophones sans être arabes »
    Je crois nénamoins qu’il y a un mouvement de modernisation de la langue arabe, afin qu’elle mette son vocabulaire technique à niveau, et permette l’expression scientifique.
    Quelques liens sur le sujet :
    http://www.lavoixdunord.fr/Locales/Roubaix/actualite/Secteur_Roubaix/2010/0 3/24/article_apprendre-la-langue-arabe-un-enjeu-strat.shtml
    Ici, un sommet au Maroc :
    « Cette Académie est chargée, en vertu des dispositions de la Charte nationale d’éducation et de formation, d’élaborer un projet linguistique et éducatif prospectif et ambitieux visant la promotion de la langue arabe dans le but de la promouvoir et de consolider son rôle dans l’enseignement, la culture, les sciences et la vie courante. »
    http://www.emarrakech.info/La-promotion-de-la-langue-arabe-au-Maroc-est-tributaire-de-la-creation-d-institutions-specialisees_a33670.html

    Car le vrai débat n’est-il pas le conflit entre les langues issues de la colonisation et la langue locale ? Il y a d’ailleurs un parallèle entre la russification imposée de l’enseignement supérieur en Ukraine, quelques années après l’éclatement de l’URSS - au détriment du russe pourtant langue natale d’une partie de la population et majoritaire parmi les professeurs - et la volonté de certains de promouvoir l’arabisation de l’enseignement supérieur en Algérie.

    Il en est de même dans de nombreux pays africains, et le fait de recevoir un enseignement dans sa langue natale commence à être considéré comme un droit, mais ça d’énormes problèmes logistiques ; le multilinguisme officiel national est un terrible casse-tête social et logistique, ce n’est pas la Belgique ou la Suisse qui diront le contraire...
    C’est une question qui dépasse le cadre de la seule francophonie.
    http://fr.rian.ru/ex_urss/20100226/186137063.html

    Par ailleurs, la Chine aussi devra se défendre contre l’excès d’anglicismes :
    http://inttranews.inttra.net/cgi-bin/news.cgi?action=aff_art&art_id=50716

    « Un an après les Assises de la langue arabe les mesures annoncées tardent à se concrétiser (1) (...) Pourtant, elle n’est pas enseignée à l’école primaire, elle est marginalisée au lycée, elle est réservée à une élite à l’université. L’arabe en France est la langue des sous-scolarisés et des savants. »

    Je ne crois pas que l’avenir passe par une imposition de l’arabe à l’école primaire ou son renforcement au collège. Je crois qu’il faut abandonner cette vision d’une planification des langues, car le premier facteur pour l’apprentissage d’une langue, c’est la motivation. Toute mesure de ce genre susciterait des débats sans fin sur les conflits de civilisation, on l’a vu avec le récent débat sur l’identité nationale... sans oublier que cela réactiverait les revendications des langues régionales, sujet lui-même difficile et insoluble à mon avis.

    Il y a beaucoup plus simple, demander la liberté totale du choix des deux langues étrangères à l’école, parmi toutes les langues vivantes ou mortes, ce qui revaloriserait ipso facto aussi bien les langues régionales que les langues autres que le français, maternelles, d’immigration, et les langues mortes autrefois prestigieuses quand on les appelait « humanités ».
    Au primaire, en rester à une modeste et réaliste initiation, par exemple un choix entre quatre options (1. initiation polyvalente à différents alphabets et langues européennes type projet Evlang, 2. anglais ou autre grande langue selon disponibilités, 3. langue régionale , 4. espéranto). Puis, au collège liberté totale de choix de deux langues à valider, par complémentarité entre l’école et les langues qu’elle peut proposer, les Instituts nationaux (type British Council, Confucius), les familles, les associations parentales et les boîtes privées.
    Les examens demeureraient l’apanage de l’Education nationale. Pour les langues rares (donc choisies par une minorité d’élèves), l’examen pourrait être mené par un examinateur régional grâce aux TICE (technologies informatiques de la communcation), voire par un examinateur européen unique pour les langues rarissimes (choisies par très peu d’élèves).
    Ce serait là une vraie revalorisation de la langue arabe, comme des autres langues actuellement délaissées (l’allemand, l’espagnol), sans blabla et sans réveiller un conflit social latent, que les extrémistes se tiennent prêts à enflammer.
    Une réforme simple, à prix coûtant (on investit actuellement des sommes inouies dans l’anglais, dans la certification du niveau, dans l’importation d’assistants natifs), simple mais necessitant un changement complet de perspective : passer de la planification au libre choix des langues étrangères, de la coercition à la liberté...


    • Jean d'Hôtaux Jean d’Hôtaux 31 mars 2010 23:50

      Merci à l’auteur pour son article intéressant !

      @ Krokodilo :

      " ... le multilinguisme officiel national est un terrible casse-tête social et logistique, ce n’est pas la Belgique ou la Suisse qui diront le contraire... « 

      Permettez au citoyen suisse que je suis de ne pas être d’accord avec cette affirmation !

      Je conçois parfaitement, et sais qu’au pays du jacobinisme, les problèmes posés par le »multilinguisme officiel national« comme vous le nommez, paraissent être insurmontables ou presque. Toutefois tel est loin d’être le cas, ce qui ne signifie pas que tout est parfait. Les problèmes qui se posent sont plus anecdotiques qu’ils ne constituent la règle.

      Le fédéralisme politique contribue très fortement à éviter précisément le »terrible casse-tête« logistique dont vous parlez.

      Quant au »casse-tête social« , je ne vois franchement pas à quoi vous faites allusion ?

      En Suisse, la Constitution fédérale définit à son article 4 les langues nationales qui sont : l’allemand, le français, l’italien et le romanche. Elle en définit l’usage dans les rapports que les cantons entretiennent avec la Confédération (l’État central) et laisse à ceux-ci le soin de déterminer leurs langues officielles (article 70).
      Les langues officielles en usage dans les cantons sont définies dans les constitutions cantonales elles-mêmes, chaque canton étant dotée de sa propre constitution. La territorialité des langues est respectée et peu de communes sont officiellement bilingues.

      J’ajouterai que l’instruction publique (l’équivalent de l’Éducation nationale en France) est de la compétence des cantons.

      Ce qui pose problème en Suisse, ce n’est pas le multilinguisme en soi, mais plutôt l’usage verbal généralisé du dialecte suisse-allemand dans la partie germanophone du pays (env. 70 % de la population). C’est ainsi que les Suisses alémaniques s’expriment verbalement en dialecte - dans tous les milieux - , alors que la langue écrite est le »Hochdeutsch" (l’allemand littéraire). Ils écrivent donc dans une langue qu’ils ne parlent pas !

      Le dialecte suisse-allemand (ils y en a même plusieurs ...) est aussi différent de l’allemand littéraire que peut l’être l’italien du français. Je pense qu’un Berlinois ne comprendrait pas une conversation qui se déroulerait en dialecte bernois (Berne).

      Cet état de fait complique la communication verbale entre les Suisses alémaniques et leurs compatriotes francophones ou italophones, qui eux ont étudié l’allemand standard à l’école, mais non le dialecte qui n’y est pas enseigné.

      Cependant le multilinguisme n’est pas un problème aussi insurmontable tel qu’on se l’imagine en France.
      C’est aussi un enrichissement.

      Cordialement !


    • Krokodilo Krokodilo 1er avril 2010 11:09

      Je n’ai pas dit que c’était impossible, seulement que c’est très compliqué… En quelques clics, on peut trouver de nombreux articles sur les difficultés structurelles de l’enseignement des langues à l’école en raison du plurilinguisme, comme cet extrait :
      « La politique consensuelle d’apprentissage des langues à l’école primaire vola en éclats à la fin des années 1990. En effet, en 1997, le Conseil d’éducation du canton de Zurich annonça sa volonté d’introduire l’apprentissage de l’anglais dès la 1ère année primaire dans 180 classes expérimentales. Cette nouvelle provoqua de grands tumultes qui agitèrent la Suisse entière. Zurich, qui avait éprouvé tant de difficultés à introduire le français à l’école primaire, supprimait cet apprentissage au profit de l’anglais, apparemment plus rémunérateur sur le marché du travail. Cette décision soudaine et unilatérale menaçait gravement la paix des langues et la cohésion nationale. »
      Doc en pdf :
      http://www.babylonia-ti.ch/BABY405/PDF/forster.pdf
      La question de l’anglais se pose aussi à l’université.
      Quant à la Belgique, c’est pire, leurs problèmes communautaires et linguistiques remplissent aussi les médias.


    • Georges Yang 31 mars 2010 15:13

      Article érudit et très intéressant, cependant je me permettrai un bémol
      L’arabe parlé dans les cités n’a rien à voir avec celui des chaines de télévision ou des feuilletons égyptiens et si tous les arabophones disent qu’il n’y a qu’une langue arabe, ils devraient reconnaitre que cette langue abâtardie de l’immigration est avant tout due à une acculturation de classes sociales ne maitrisant ni le français ni l’arabe

      Vous n’abordez pas non plus l’apprentissage de l’arabe par les écoles coraniques qui n’a rien à voir avec celui des rares lycées laics qui l’enseigne ni avec l’arabe à l’université.
      Quant à l’opposition avec le français, les deux langues devraient être complémentaires et non concurrentes en particulier face à l’hégémonie de l’anglais (anglais véhiculaire sabir, loin de l’anglais littérraire)


      • caius 7 avril 2010 11:17

        Je ne prétends pas être un spécialiste mais il faudrait savoir de quelle langue arabe l’auteur parle :

        Les pays arabes ont deux niveaux de langage : l’arabe local (les variantes nationales et régionales du langage parlé) contre l’arabe standard.

        Quand les Arabes de la péninsule Arabe envahirent les pays qui sont devenus les pays arabes d’aujourd’hui, ils ont imposé l’arabe comme langue officielle. Les langues locales comme l’araméen, le copte, le cananéen et l’hébreu ont été bannies. Comme la majorité des habitants de ces pays étaient illettrés, ils ne sont parvenus à apprendre qu’une sorte d’arabe bâtard, c.-à-d. l’arabe parlé, exactement comme les indigènes des Caraïbes ont appris l’anglais ; c.-à-d. une sorte d’anglais bâtard (le créole) qui est grammaticalement et en termes de prononciation, différent de l’anglais standard. C’est pourquoi il y a un arabe parlé par l’Egyptien, le Saoudien, le Syrien, le Marocain, etc..

        Ces dialectes sont les langues maternelles de ces pays. Ces « langues arabes » restent pourtant confinées à la conversation familière quotidienne. On ne permet pas à leurs locuteurs de les employer pour écrire, particulièrement dans les livres, les journaux, les manuels scolaires et autres documents officiels.

        L’arabe standard est par contre la langue officielle dans tous les états arabes. Ce n’est pourtant la langue maternelle de personne mais une langue artificielle dérivée de l’arabe coranique. Dans les pays arabes on commence à l’apprendre à l’école à l’âge de 6 ou 7 ans. C’est donc une deuxième langue par opposition à l’arabe parlé national et régional qui est une langue maternelle.

        Les Arabes du Moyen-Orient : Syrie, Liban, Irak, Arabie Saoudite, Egypte et Palestine parlent des arabes assez similaires. Quand ils se réunissent et conversent, ils se comprennent facilement en dépit de diverses variantes locales du vocabulaire et de la prononciation.

        Les Arabes d’Afrique du Nord pratiquent un arabe parlé presque complètement différent. Un Syrien parlant à un Marocain ou à un Algérien, par exemple, aura le plus grand mal à comprendre son interlocuteur.

        Vu que l’arabe standard est la langue de la culture dans les pays arabes depuis 1400 années, il est employé aussi bien pour la poésie que pour la traduction des livres scientifiques en arabe (particulièrement pendant le soi-disant âge d’or), il a développé un énorme répertoire de vocabulaire. Par contre L’arabe parlé (dialectes) est méprisé, familier et reste confiné aux conversations quotidiennes simples. Son vocabulaire et sa grammaire est pauvre.

        Résultat, les enfants « arabes » éprouvent de grandes difficultés à apprendre cette langue, luttant avec sa grammaire et sa structure. Quand un Arabe veut ou est obligé de s’exprimer de manière formelle, il pense dans son dialecte (arabe parlé) et essaye ensuite de formuler sa pensée dans une langue étrangère : l’arabe standard (seconde langue). Comme son dialecte méprisé est pauvre en vocabulaire et a une grammaire plus simple l’opération est souvent fort pénible.

         

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