La tragédie archaïque de l’antiaméricanisme
Si l’Amérique n’existait pas, il faudrait l’inventer. Parfait bouc-émissaire, on se croirait revenu au temps de Néron où les chrétiens jouaient le rôle de la proie parfaite à éradiquer. Les américains se sont substitués aux chrétiens, le triomphe de ce "racisme de l’Amérique" est vertigineux ; quelle satisfaction de mettre en cause les puissants comme responsables de tous les malheurs ! En effet, quels crimes de la planète ne sont pas imputés au pays de l’Oncle Sam ? Le réchauffement climatique, le terrorisme, la crise économique mondiale, tous y passent. Enchevêtrées dans la tyrannie de la peur, la France et l’Europe de l’ouest vivent sur leurs certitudes, Obama n’est qu’un leurre dans ce centre de blanchiment des crimes. La maladie gagne du terrain.

L’antiaméricanisme n’est pas une critique de l’Amérique, de ses fautes ou de ses crimes. Comme toute démocratie qui use et abuse de son pouvoir, les États-Unis sont éminemment critiquables et les Américains eux-mêmes ne s’en privent pas. De la même façon, il ne faut pas confondre l’antiaméricanisme avec l’hostilité à George W. Bush ou croire les discours messianiques de tous les médias envers Barack Obama. L’Amérique est condamnable non pour ce qu’elle fait mais parce qu’elle est. Son seul crime est d’exister. Quoi qu’elle fasse, elle a tort. Pour ses ennemis, ce n’est que l’apothéose de la richesse sur l’égalité, l’arrogance, la domination, l’esclavage des noirs, la religion du billet vert, les institutions internationales ignorées etc.
La vérité est que l’Amérique est un miroir pour l’Europe, et particulièrement en France. Emancipation du manichéisme primaire, antiaméricanisme est synonyme d’anticapitalisme. Comment ne pas passer à coté d’une critique du marché à chaque coin de rue, surtout en ces temps-ci ? Désormais, il faut être un bourgeois pour épater le peuple, triste renversement de l’histoire et surtout, manifester une terreur sans borgne face au monde de demain. Les artistes, journalistes sont les premiers. Quiconque s’en remet aux valeurs des lumières n’est pas de ce monde. Soyez de gauche, tout vous sera consenti. Soyez de droite et n’espérez aucune concession. Paradoxe ultime, la France n’entre dans le capitalisme mondial que par la dénégation. Plus la libre-entreprise est vue comme un mal, plus le pays se libéralise. Les socialistes ont privatisé l’économie, la franchise horrifie. L’Europe de l’ouest semble avoir perdu ce que les USA ont su conserver : un équilibre entre le goût de l’enrichissement et l’idéal de liberté, entre intérêts privés et valeurs collectives. La France vit sur son passé, sur un idéal littéraire, elle voudrait à nouveau faire l’histoire. Il est tellement plus facile de se confronter aux Etats-Unis qu’à soi-même.
L’innovation ne fait pas partie du vocabulaire français. Refus du progrès pour des progressistes, voilà un nouveau paradoxe. La haine de la modernité est le dénominateur commun des élites, au contraire de l’Amérique toujours en quête de futur. Le CPE, la Loi sur l’autonomie des Universités, la réforme Darcos sont les exemples parfaits d’une jeunesse à l’avant-garde de la peur. On nage dans l’utopie de commencer sa vie avec un emploi et une retraite garanties. Ne pas maitriser le monde revient à chasser le risque, la réalité, tout ce qui peut devenir possible. Nous nous scandalisons des étés chauds et des hivers froids, c’est « la bataille de la canicule » titrait un journal pendant l’été 2003 au même titre que celle de Verdun. On se scandalise des choses les plus futiles, jusqu’à la présence de porc dans les pitas.
Les mots sont dévoyés : leur sens n’est plus, c’est la complaisance victimaire. David contre Goliath mais il faut bien évidemment être David car la victoire sur les grands vaut élection.
Mais l’antiaméricanisme ne serait pas si virulent s’il ne cachait pas une dose importante de fascination. L’Amérique est à la fois le plus grand pouvoir d’attraction et le plus grand pouvoir de répulsion. Ainsi les Etats-Unis suscitent, même chez leurs détracteurs, une adulation singulière. Une telle exécration, qui traverse les siècles, les générations, est un privilège. Aucune puissance n’est aujourd’hui aussi diffamée et donc vénérée. « Les mêmes qui brûlent la bannière étoilée se précipitent dans les fast-foods, ne voient que des films « made in USA » et vomissent le géant américain dans les symboles mêmes de l’Amérique » explique très justement Pascal Bruckner. Ce qui séduit dans la culture américaine c’est l’élargissement des horizons, elle parle du monde et non à la première personne. Elle est portée par un optimisme de l’amélioration alors que l’Europe combine un idéalisme des relations internationales (paix, tolérance, dialogue) avec un pessimisme du changement. Les démons de son histoire font encore rage, les tourments de la repentance aussi.
Il faut se rendre à l’évidence, partout où les peuples souffrent et gémissent, Géorgie, Ukraine, aujourd’hui, c’est vers les Etats-Unis qu’ils se tournent et non vers Paris, Bruxelles ou Berlin. Même les Palestiniens croient plus en Washington pour construire leur État que dans les vertus de l’Union européenne. À cause des USA, nous pensons que leur folie guerrière nous met en danger. Les vieilles nations, encore meurtries par leurs égarements d’hier, supplient de garder la tête froide, de renoncer à la guerre au profit du compromis. « Nous sommes la raison du monde, ils en sont la folie. » Petit point important cependant : l’Europe dépend encore de l’Amérique pour sa sécurité. Immaturité flagrante, on préfère maudire que grandir. L’Europe aimerait être un contrepoids de taille face à l’hégémonie américaine mais le scepticisme la ronge de plus en plus. L’antiaméricanisme n’est que le symptôme de cette faiblesse.
L’Amérique restera encore pour longtemps un symbole entre fatigue et exaltation ; l’antiaméricanisme, la défaite de la pensée et de la compréhension transatlantique.
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