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Le Germinal de la Virginie occidentale

Le 2 janvier 2006, la mine de charbon Sago, en Virginie occidentale, s’est écroulée, coinçant d’emblée treize mineurs dans le noir absolu, dans le ventre de la terre. Seul l’un d’entre eux aura le bonheur d’être rescapé.

Comme toute tragédie nationale, elle a fait la une des journaux. Naturellement, ce genre de catastrophe domine l’esprit national. Mais il y a une autre tragédie, moins spectaculaire mais plus profonde, que l’on néglige - celle des dangers quotidiens qui menacent surtout la vie des travailleurs de la classe ouvrière aux États-Unis.

À la première nouvelle de l’écroulement, la presse internationale s’est à peine préoccupée de l’événement. C’est normal. Il y avait d’autres catastrophes partout ailleurs dans le monde. Depuis, on en parle un peu plus, car la tragédie a doublé en intensité. Une sale rumeur, qui a duré plus de trois heures, a fait croire aux familles et au public que les douze mineurs étaient vivants. J’ai lu une telle dépêche, à une heure du matin, ici, à Washington. Le lendemain, alors que la majorité des journaux avaient imprimé la « bonne nouvelle », on a appris que, bien au contraire, les douze mineurs étaient morts.

Bien entendu, c’est la colère générale ; les familles des victimes sont particulièrement scandalisées. Elles devaient l’être ; leur peine ne doit pas être oubliée ou sous-estimée. Mais il y a un côté plus grave de la chose, que l’on néglige. Mourir au travail n’est pas si unique ou rare aux États-Unis.

Dans un article écrit pour le magazine Time, dans l’édition du 16 janvier, James Poniewozik, commence en nous rappelant les circonstances de la mort de Jésus. De la cave qui était sa tombe, même le fils de Dieu espérait ressortir vivant. Jésus aussi devait se battre contre la mort souterraine.

Est-ce une métaphore justifiable ? Mettons de côté les exagérations journalistiques. Ce qui est plus révélateur dans l’article de Time, c’est l’étonnement de l’auteur. Il y a, nous dit-il, encore des « gens qui font ça », c’est-à-dire des gens qui travaillent dans les mines, c’est incroyable que ce genre de tragédie « rare » puisse encore arriver.

 À mon avis, Poniewozik reflétait l’état d’esprit général du pays. On devait croire que c’était une exception. On devait penser que c’était rare. Si la comparaison ahurissante avec le fils de Dieu, ce n’était pas assez pour éloigner cet accident du domaine de la vie ordinaire, Poniewozik transforme les victimes en héros nationaux, comme des braves soldats qui sacrifient leurs vies pour notre confort. Il nous rappelle que nous avons besoin de cette électricité produite par les mines pour "chauffer nos maisons et pour recharger nos iPods". Il va même plus loin ; il cite le fils de l’un des mineurs décédés, qui avait dit que son père avait "donné sa vie" pour qu’il "puisse aller au cinéma ".

Si l’on considère ces mineurs comme des héros, on peut plus facilement négliger la cause de la catastrophe. Après tout, les héros ne se soucient guère des questions de prévention et de sécurité.

 À peine trois semaines plus tard, deux autres mineurs viennent de mourir dans une autre mine de la Virginie occidentale. Il serait temps de considérer les vrais problèmes, et les causes de ces catastrophes.

Commençons par observer que la compagnie Sago avait été citée au moins 273 fois pour des infractions mettant en danger la vie de ses mineurs. L’image violente des États-Unis, qui existe partout dans le monde - y compris ici-même - est justifiée quand on pense au pays en termes de crime. Il y a entre 12 000 et 16 000 meurtres commis chaque année aux États-Unis. Il y a bien entendu pire dans des pays en voie de développement. Mais là n’est pas la question. Il est plus important de pouvoir comparer cette violence criminelle, vivement médiatisée, avec la violence silencieuse du milieu du travail.

Le nombre de personnes tuées au travail est plus difficile à cerner. D’après une agence gouvernementale - CDC - il y aurait au moins 6000 morts par an. Mais ce chiffre est certainement contestable, car il est surtout basé sur le rapport des employeurs et des patrons d’entreprises, soumis au gouvernement. Une enquête détaillée, menée par David Barstow du New York Times en 2003, nous a révélé que, entre 1982 et 2003, au moins 170 000 personnes sont mortes consécutivement à des accidents du travail - 8500 personnes chaque année en moyenne.

Mais ceux qui ont fait des enquêtes encore plus approfondies, en considérant par exemple les décès causés à long terme par le milieu du travail - par le cancer, l’amiante, etc. - trouvent qu’il y aurait peut-être deux fois plus de morts causées par le milieu du travail que par homicide.

La comparaison avec le Germinal de Zola va au-delà des accidents de mines. C’est bien une question de pauvreté, de manque de protection sociale, et liée à la complicité de l’État qui se range du côté des patrons et non pas des travailleurs. Les syndicats aux États-Unis sont en recul ; la majorité des travailleurs syndiqués sont des fonctionnaires ! Le secteur privé, là où il y a le plus de besoins, est délaissé et abandonné à son sort. Et même les défendeurs des syndicats commencent à se soucier de la corruption des chefs syndicaux.

Aussi tragique que soit la mort de ces pauvres mineurs, aussi tragique que soit la rumeur de leur survie, il y a une plus grande tragédie qui menace les travailleurs tous les jours.


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