Le Nouveau Chaos mondial
« Il y a chaos mondial, non pas parce qu’il y aurait quantitativement plus d’insurrections, d’escarmouches, d’attentats terroristes, de micro-conflits, de rébellions qu’auparavant (durant la guerre froide, par exemple), ni même parce qu’il y aurait beaucoup plus de brigands, de rebelles, de dissidents que jadis sur la planète. Il y a chaos mondial par absence de distinction claire entre guerre et paix - et de consensus sur ce qu’est la guerre elle-même. »
J’ai eu l’occasion d’échanger récemment avec Alain Bauer que fera au Club IES une conférence le 6 mars 2008. En guide d’introduction à son intervention qui portera sur les « nouveaux risques », voici quelques notes personnelles prises à la lecture de son dernier ouvrage Le Nouveau Chaos mondial.
Il y a chaos mondial, dit Alain bauer, "par absence de distinction claire entre guerre et paix - et de consensus sur ce qu’est la guerre elle-même".
C’est en ces termes que, sur la quatrième de couverture, le problème est posé. Et les questions que cela entraîne sont clairement énoncées : "Comment penser aujourd’hui les menaces nouvelles, ou subitement plus graves ? Comment analyser ? Comment prévoir ? À quoi faut-il que l’Europe se prépare aujourd’hui pour pouvoir affronter ces dangers qui émergent ?" Réponses en trois chapitres :
Réalités et origines du chaos mondial
Les menaces viennent d’entités hybrides, se situant dans des zones hors contrôle de la planète. Ces entités sont difficilement « appréhendables », et le danger serait que nous calquions sur ces dernières des schémas stéréotypés, tirés d’une époque révolue. Ainsi les auteurs démontrent que l’on représente souvent l’organisation Al-Qaida à l’image de ce qu’était l’IRA (armée républicaine irlandaise) avec un état-major, une organisation... Cette « recherche de modèle » freine ou empêche la compréhension de ce qu’est réellement cette nébuleuse.
Ces entités multiformes, que ce soit des milices armées, bandes criminelles, ou groupes de terroristes, occupent des territoires « incontrôlables » que les auteurs appellent « zones grises ». Quand ces zones grises recoupent des zones densément peuplées, par exemple les grandes mégalopoles du Sud, le potentiel de dangerosité s’accroît d’autant. Ces mégalopoles concentrent en elles un cocktail explosif : une population tribalisée, ajouté à une démographie explosive, le fanatisme religieux et des économies parallèles.
Dans ces conditions, il est impossible de penser ces danger dans les termes avec lesquels on pensait les « guerres classiques » (Etats en guerre officiellement, armées face à face...). La guerre est devenue elle même chaotique, dans des rapports de force asymétriques, en terrains non balisés (le théâtre d’opération est mondial), avec des protagonistes non identifiables (la nationalité n’est plus discriminante) et des batailles multiformes (tous les coups sont permis).
Voilà pour la réalité du chaos mondial. Mais que faire ?
Une conception nouvelle
Face à ces nouvelles menaces, il faut une nouvelle approche. Dans ce domaine, la « pensée française » a une expertise que malheureusement notre histoire récente (attentats) nous a permis de développer.
Cette « pensée » diffère notamment des pratiques américaines de la « compilation », qui consiste à essayer de tout capter et de tout enregistrer (voir le réseau Echelon). Les auteurs expliquent facilement les failles de cette logique, à commencer par l’impossibilité d’enregistrer le nom d’un individu issu d’une société traditionnelle, à l’orthographe incertaine, au lieu de naissance incertain, au lieu de résidence changeant, et à la filiation "flottante".
Cette nouvelle méthode, qui mêle géopolitique et criminologie, que les auteurs appellent de leur vœux, doit se départir des préjugés, même les plus tenaces et les mieux ancrés dans nos esprits. Ainsi le matraquage médiatique place certains mouvements sous la bannière de l’islam. Les auteurs posent à ce propos la question de savoir si le courant salafi-jihadi est « religieux, stable et rationnel » (comme nous pourrions penser qu’il l’est). Ils démontrent au contraire que la dimension religieuse (islam) ne joue en réalité qu’un rôle de façade. Ils qualifient ce mouvement de « politique, protoplasmique et magique ». Laissons-leur la parole : « Al-Qaida n’est en fait qu’une entité politico-militaire, recouverte d’un vernis religieux : certes enveloppée d’un emballage islamique, l’essence de cette entité est politique ». Mais pourquoi cette vision erronée est si largement colportée, pourrions-nous demander. La réponse intervient quelques lignes plus loin : « Trop souvent, en effet, ce courant est vu comme notre reflet inversé, on le considère comme on voudrait qu’il soit ». Des exemples notamment tirés de l’histoire récente de l’Afghanistan explicitent parfaitement cette thèse.
Autre domaine où « l’acharnement médiatique » fausse la perception de la réalité : la mafia ! Prompte à communiquer régulièrement sur la mort du dernier parrain, les médias aveuglent le public face aux trafics générés par des activités mafieuses en réalité en pleine santé : trafics d’armes légères, contrefaçons, stupéfiants, trafics d’êtres humains. Sur ce dernier point, les chiffres sont alarmants. Concernant le seul trafic d’être humains « Interpol parle d’un CA de 17 milliards de dollars et de 25 millions de victimes dont un million de femmes et d’enfants livrés chaque année à l’exploitation sexuelle ».
La nécessité d’une refonte de la pensée criminalistique est plus qu’urgente, pour s’adapter à un domaine qui se joue des lourdeurs administratives, des résiliences, des erreurs de perceptions !
Décèlement précoce : principes et concepts utiles
Heureusement dans ce tableau plutôt noir, des points positifs émergent, à commencer par la réussite d’avoir su créer une vision commune au sein de grandes coalition internationales (OTAN, UE...).
Les auteurs présentent les principes du décèlement précoce, qui passe d’abord comme nous l’avons vu au chapitre précédent par un travail de reconstruction de la réalité, pour sortir d’une vision étriquée, statique et rétrospective. En écartant les apparences, on accède au réel. Première étape essentielle, qui permet de poser rapidement et efficacement des diagnostics. Et qui permet d’agir avec précision et efficacité.
Faut-il en conclure que le chaos est inéluctable ? « Perdez toute espérance, nous sommes en enfer ! », a dit un chef du mouvement Primer Comando du Capital (PCC), emprisonné à Rio de Janeiro, et dont l’interview est publié en fin d’ouvrage. Certes pas.
Il ne tient qu’à nous de le faire mentir. On ne peut que recommander la lecture de cet ouvrage. La connaissance que chacun en retire est une victoire qui éloigne d’autant le spectre d’un « nouveau chaos mondial ».
Jérôme Bondu
Président du Club IES
http://jerome-bondu.over-blog.com
--------------------------------
Le Nouveau Chaos mondial. Penser la sécurité dans un monde chaotique : principes et perspectives.
Par Alain Bauer et Xavier Raufer
Les éditions des Riaux 2007. 74 pages.
Alain Bauer, expert reconnu en criminologie, a régulièrement un rôle de conseil et de consultation au niveau de l’État comme au niveau international. Il enseigne également dans plusieurs écoles et universités.
Criminologue, essayiste, Xavier Raufer est un spécialiste international de la criminalité organisée ainsi que du terrorisme. Il est chargé de recherche et d’enseignement dans plusieurs prestigieuses universités et écoles d’officiers.
Alain Bauer interviendra le 6 mars au Club IES. Pour une présentation de la conférence :
http://jerome-bondu.over-blog.com/pages/Prochains_rendezvous-51816.html
Sur le même thème
L'Otan a préparé un plan secret en cas de guerre avec la RussieLa créativité de l'artiste
Le monde qatarisé
Mes 10 films préférés de l’année 2022, et vous ?
JE SUIS CHARLIE (ou pas)
20 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON