Les dominos, les échecs et le jeu de go
Aujourd’hui, principalement trois pays dans le monde se disputent le droit d’avoir des zones d’influence, autrement dit, d’avoir des ambitions impériales.
Il s’agit d’abord des Etats-Unis. C’est le seul pays à avoir des ambitions planétaires. Avec l’OTAN et d’autres pays alliés comme Israël, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, etc. et avec 737 bases militaires (lien) dans le monde (en 2007), leur influence couvre toute la planète. On parlera de stratégie des dominos en ce qui les concerne.
Le deuxième pays abordé sera la Russie qui défend son environnement proche et qui a quelques pays amis en Amérique latine et en Asie. Sa stratégie sera associée au jeu d’échecs.
La Chine sera le troisième pays abordé. C’est un nouveau-venu qui commence seulement à placer ses pions. Ses pions de jeu de go évidement.
Cet article n’a pas l’ambition d’être une analyse exhaustive de la géopolitique mondiale. Vu à travers leur jeu respectif, il permet seulement de mieux cerner le comportement de ces trois pays.
Les dominos et Etats-Unis.
C’est un jeu relativement primitif, avec une règle simple : faire tomber un maximum de dominos en lançant de puissants coups sur des dominos faibles qui entraineront des dominos voisins dans leurs chutes. Tous les dominos couchés sont censés être gagnés. Le but est d’arriver à gagner tous les dominos et d’ainsi être le maître absolu du jeu.
Il y a quand-même quelques écueils à éviter.
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Il y a un domino qu’on ne peut pas toucher directement. Si cela arrivait, tout le plateau se s’effondrerait et tout le monde aurait perdu.
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Si on calcule mal un coup, le domino ne tombe pas dans le sens prévu et on aura perdu beaucoup d’énergie pour peu de résultat.
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Il faut éviter que des dominos couchés se relèvent. Cela peut arriver quand on a l’attention trop absorbée par une autre partie du plateau.
Cela veut dire que les Etats-Unis se sont donné pour objectif, grâce à la mondialisation et avec la justification de l’instauration de la « démocratie occidentale », de forcer le reste du monde à suivre leurs modèles économique et politique.
Leurs atouts : le dollar, une armée avec un équipement ultra moderne, un réseau diplomatique omniscient et tentaculaire, le soutient des plus importants média et le contrôle de l’espace cybernétique.
Leurs points faibles. Leur endettement excessif, leur manque de perspective de croissance économique, leurs échecs stratégiques en Irak et au Proche-Orient et la montée en puissance des BRICS.
Depuis l’effondrement de l’URSS, on a vu de nombreux pays basculer dans le camp états-unien. L’Europe centrale d’abord, ensuite des ex républiques de l’URSS comme les pays baltes et la Géorgie ainsi que la Côte d’Ivoire et la Libye récemment. Beaucoup de pays sont encore visés. Ce sont surtout des pays dont le sol est riche en matières premières. On peut penser à l’Iran, à l’Asie centrale, à l’Algérie, à l’Angola, au Venezuela et à l’Afrique.
Leur stratégie est, semble-t-il, d’avoir le contrôle de la production des matières premières ainsi que des routes de transport et d’ainsi avoir un moyen de pression sur la Chine et la Russie.
Les Etats-Unis ont chaque fois utilisé une partie ou la totalité de leurs atouts pour obtenir ces résultats.
Les écueils qu’ils doivent éviter ou qu’ils n’ont pas pu éviter.
- Un affrontement direct avec la Russie est à éviter à tout prix. Vu la faiblesse militaire actuelle de ce pays, la Russie n’aurait d’autre alternative que de très vite utiliser son arsenal nucléaire avec comme conséquence, une destruction mutuelle où le vainqueur serait lui-même mortellement atteint. Voilà pourquoi les Etats-Unis essayent d’atteindre leur objectif par d’autres moyens comme une politique de confinement de la Russie, la neutralisation de leur potentiel balistique grâce à un bouclier anti-missile, mais aussi en essayant de rallier la Russie dans leur camp. On pense au bouton rouge du nouveau départ (lien).
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Certaines initiatives ont été mal préparées et n’ont pas donné les résultats attendus. L’Irak et l’Afghanistan ne sont pas tombés dans le sens espéré. En Irak, le vote démocratique a mis au pouvoir une majorité chiite plutôt proche de l’ennemi iranien et, en Afghanistan, les troupes de l’OTAN se trouvent dans une région géographiquement isolée et plutôt entourées d’états hostiles. Elles ne peuvent combattre que si elles reçoivent un long et couteux approvisionnement. Un peu comme les Français dans la cuvette de Diên Biên Phu. Les Etats-Unis n’avaient pas prévu de guerres aussi longues qui ont finalement sérieusement grever leur budget. Ils n’avaient non plus pas prévu l’adaptabilité de leurs ennemis. Guerre asymétrique, attentats suicides, IED (lien), …
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Leur trop grande fixation sur des objectifs difficile comme l’Iran ou l’Irak et les manques de moyens financiers mis pour consolider certains acquis ont provoqué des retournements de situation. On pense à une grande partie de l’Amérique latine, à l’Ukraine, au Liban, … qui semblent plutôt s’éloigner de l’emprise états-unienne.
Conclusion.
Les Etats-Unis et surtout sa composante militaire ne sont pas disposés à céder ou à partager leur leadership mondial. La nouvelle approche, plus en concertation avec les alliés, que le président Obama avait présentée lors de son élection, semble se mettre en œuvre.
La France agissant en Côte d’Ivoire, la France et la Grande-Bretagne en Libye, la Turquie sans doute bientôt en Syrie et, ensuite, tous ensemble contre l’Iran.
Il faudra s’attendre à une très forte pression sur les pays européens pour qu’ils augmentent substantiellement leurs budgets militaires dans les prochaines années pour pouvoir répondre aux attentes de leur allié états-unien. Les Européens devront bientôt choisir entre « butter oder kanonen », du beurre ou des canons
Les échecs et la Russie.
Ici, il s’agit d’un jeu beaucoup plus complexe. Le but de ce jeu est de faire tomber le roi adverse avant que l’adversaire ne mette le vôtre échec et mat.
Quelques règles à connaitre.
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On peut jouer dans des parties simultanées. Le joueur le plus fort affronte alors plusieurs adversaires sur des échiquiers différents et on a alors plus de chances d’obtenir un résultat.
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Il n’y a pas nécessairement un vainqueur. On peut obtenir une partie nulle, même si on est en mauvaise posture, par pat ou par position 3 fois répétées par exemple.
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Quand on est acculé en défense, la moindre erreur de déplacement peut provoquer la perte de la partie.
Suite à des erreurs stratégiques dans les années 90, la Russie se trouve dans une position défensive avec pratiquement aucune chance de vaincre son principal adversaire, les Etats-Unis, sauf si celui-ci commet lui-même une grave erreur.
La Russie se contente d’essayer d’intervenir dans son étranger proche pour former un glacis autour de son pré carré. Il s’agit surtout des pays de l’ex-URSS et de l’Arctique. La Syrie semble être une timide avancée offensive qui permettrait à la Russie d’avoir une base navale en Méditerranée. Il faut savoir que le passage de navires de guerre en mer Noire par les détroits turcs est régi par la convention de Montreux (lien) qui n’autorise pas le passage de certains types de navires comme des porte-avions par exemple.
Les alliances militaires avec des pays éloignés ne sont pas à l’ordre du jour. Vendre des armes à un pays en fait un client, pas un allié.
Il s’agit pour la Russie de gagner du temps pour reconstituer ses forces économiques et militaires. Elle fait actuellement partie des 10 premières puissances économiques mondiales mais a l’ambition de devenir la cinquième d’ici 2017 (lien). La modernisation de son armée est en cours. De nouvelles armes vont bientôt l’équiper comme par exemple les BPC (lien), les avions Sukhoï T 50 (lien), les missiles anti-aériens S 400 et S 500 (lien), les sous-marins de la classe Boreï (lien) et les missiles stratégiques Topol (lien) et Boulava (lien). Il ne faut aussi pas oublier que le système de positionnement par satellite GLONASS (lien) est avant tout à vocation militaire. On sait aussi que des recherches sur de nouvelles pistes sont en cours comme par exemple l’étonnant blindage liquide (lien) dont on se demande quelle va-t-être son application pratique.
La Russie ne prévoit pas de créer de forces de projection au-delà de son étranger proche. Il n’y a pas de projet de construction de nouveau porte-avions avant 2020 (lien) ou d’ouverture de bases militaires éloignées par exemple.
La Russie peut compter sur quelques pays amis en Asie et en Amérique latine. La Syrie, le Vietnam, le Venezuela, le Nicaragua, …
Les règles que la Russie semble suivre.
- Face aux Etats-Unis qui ont une stratégie offensive contre plusieurs adversaires en même temps, la Russie parie sur un épuisement des forces états-uniennes.
- la Russie espère tirer son épingle du jeu en misant sur une consolidation de sa zone d’influence et sur l’avènement d’un monde multipolaire dans lequel les Etats-Unis auront moins de présence.
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En attendant la longue reconstitution de ses forces, la Russie est dans une position défensive faible et doit accepter les nouvelles conquêtes du bloc OTAN qui ne sont pas dans sa zone stratégique.
Les atouts de la Russie : un redoutable arsenal nucléaire, des réserves de matières premières de première importance, un faible endettement, des réserves de change de plus de 500 milliards de dollars (lien), son complexe militaro-industriel, des potentiels de développement économique et industriel appréciables.
Les points faibles de la Russie : sa dépendance du cours des matières premières, les réflexes des Russes hérités de la période communiste comme le peu de productivité, la corruption (lien) ou les marchés parallèles par exemple et l’évasion des capitaux organisée par son oligarchie,.
Conclusions.
On va sans doute retrouver le très expérimenté Monsieur Poutine à la présidence du pays en lieu et place du très accommodant (avec les occidentaux) Monsieur Medvedev qui a cédé sur trop de dossiers. Libye, sanctions contre l’Iran avec refus de vendre les S 300 commandés, bouclier antimissiles de l’OTAN, etc.
Cela laisse présager des tensions avec les pays de l’OTAN à un moment où les Européens ont plus que jamais besoin du gaz russe.
Le jeu de go et la Chine.
Le but du jeu est de placer ses pierres sur des lignes d’intersections du goban, un plateau de 19 lignes sur 19 et d’encercler le maximum de pierres adverses sans se laisser entourer les siennes par celles de l’adversaire. Certains placements sont donc défensifs, d’autres offensifs.
C’est un jeu avec des règles simplissimes mais d’une complexité infinie.
- Un non initié ou un joueur débutant n’arrive pas à comprendre le pourquoi du positionnement des pierres. C’est au fur et à mesures que la partie avance qu’on s’en rend compte mais il est alors trop tard pour éviter d’être encerclé.
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Le vainqueur est celui qui a encerclé le plus de pierre adverses. Le vaincu a, de son côté, aussi fait des prisonniers, mais moins.
On pourrait se retrancher derrière notre manque de connaissance profonde de la Chine et son arrivée récente comme puissance économique majeure pour éluder une analyse de sa stratégie. Il y a quand-même pas mal d’éléments dont on peut se servir pour y arriver.
Les Chinois sont un peuple de commerçants, pas de conquérants. Depuis l’avènement de la République populaire de Chine, ses guerres ont eu lieu à ses frontières, l’Aksai Chin en 1962 et du Xinjiang en 1968 à cause de désaccords sur des frontières héritées de l’époque coloniale ou ont été l’expédition punitive contre le Vietnam en 1979.
Ce qu’on sait du programme militaire chinois indique plutôt que la Chine n’a pas l’ambition de sillonner tous les océans de la terre. Ne se doter que de trois porte-avions ne le permettrait pas.
En revanche, les études concernant la mise au point de missiles balistiques antinavires (lien) indiquent que la Chine veut menacer les porte-avions états-uniens qui naviguent près de ses côtes.
Comme la Russie, la Chine rattrape rapidement son retard qualitatif dans l’armement. L’avion de cinquième génération Chengdu J 20 (lien), la construction de porte-avions, la production de sous-marins de tous types et le système de positionnement par satellites Beidou (lien) en sont les principaux signes.
- La Chine place ses pions dans l’ensemble du monde. Il est sûr que sa stratégie ne réussira pas partout. On ne voit pas encore clairement les pays qui vont tomber dans son camp. Cela dépendra aussi des pions que les Etats-Unis vont placer. On peut citer quelques noms au hasard. L’Iran, le Pakistan, l’Asie centrale, certains pays arabes où la Chine investit beaucoup et qui seraient seraient heureux de remplacer leur protecteur actuel par une Chine moins liée à Israël. Il y a aussi certains pays d’Afrique où les trocs matières premières contre constructions d’infrastructures (lien) semblent avoir du succès.
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Faire reculer les Etats-Unis en Asie du sud constituerait déjà un succès. Gagner des alliés en Asie centrale, parmi les pays arabes et en Afrique serait un triomphe.
Les atouts de la Chine. Ses réserves de change de plus de 3000 milliards de dollars (lien), sa croissance extraordinaire et son image d’alternative aux Etats-Unis
Les points faibles de la Chine. Son retard militaire actuel, son besoin crucial de matières premières importées, le fait que les Etats-Unis ont bien compris que la perte de leur leadership viendra de la Chine, les menaces de sécession de provinces éloignées comme le Xinjiang ou le Tibet,
Conclusion.
La Chine va progressivement étendre sa zone d’activité navale dans une grande partie de l’océan indien en concurrence avec les Etats-Unis.
L’expansion chinoise dans le reste du monde sera uniquement commerciale.
Il y aura un face à face entre la Chine et les Etats-Unis dans les pays de la péninsule arabique et en Afrique qui sera sans doute dans un premier temps favorable aux Etats-Unis.
Si l’Iran parvient à éviter une guerre, il basculera sans doute du côté chinois.
Conclusion générale.
Quel que soit le jeu qu’on choisit, on peut dire que le monde va entrer dans une dangereuse période de turbulences dans les décennies qui arrivent. On pressent que ceux qui possèdent la force militaire vont l’utiliser faute d’autres arguments de persuasion.
A l’avenir, les pays du BRICS (lien) vont probablement avoir de plus en plus souvent des positions communes face à la « communauté internationale du bloc états-unien »
Pour terminer, je reformulerais une célèbre phrase qu’André Malraux n’a jamais prononcée (lien) en disant : je crois que le XXIème siècle sera multipolaire et tolérant ou ne sera pas.
Pour le spirituel, il faudra attendre le XXIIème siècle.
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