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Accueil du site > Actualités > International > Les révolutions tunisienne et egyptienne : de la triple distinction

Les révolutions tunisienne et egyptienne : de la triple distinction

Nombreux sont les observateurs, dans le monde occidental, à considérer les actuelles révolutions tunisienne et égyptienne de même empreinte sociologique. C’est là une grave erreur de jugement politique tout autant que de perspective historique. Certes les peuples tunisiens et égyptiens ont-ils au moins, en ce formidable et noble combat, deux importants, et même essentiels, points en commun, dont on ne pourra bien évidemment que se réjouir : leur inextinguible soif de démocratie et, parallèlement, leur tout aussi invincible volonté de renverser ces dictatures qui les ont si longtemps, et souvent de la manière la plus cruelle qui soit, opprimés. Il est même fort probable que l’ampleur de ces mouvements de masse s’étendra très bientôt, tant ses revendications s’avèrent aussi économiquement justifiées qu’idéologiquement légitimes, à tout le monde arabo-musulman, ainsi qu’on le voit déjà poindre au Yémen, en Jordanie, en Algérie et même, quoique dans une moindre mesure, au Maroc, monarchie de droit divin encore réputée (à tort) réfractaire à ce genre de protestation.
 
Mais voilà : tout ceci étant dit et admis, reste que les situations tunisienne et égyptienne ne sont pas identiques, loin s’en faut, et que leurs différences se révèlent même plus fondamentales, par-delà les apparences, que leurs similitudes.
 
- La première de ces différences est à chercher dans la nature de ces régimes. Car, pour totalitaires que soient ces deux Etats (y compris dans leur tentaculaire contrôle des médias), celui du dictateur tunisien (Ben Ali) reposait sur l’appareil policier, certes redoutable mais néanmoins relativement fragile tant il était honnis par le peuple, tandis que celui du despote égyptien (Moubarak) s’appuie sur la force militaire, pouvoir structurellement beaucoup plus difficile à vaincre et jouissant encore, nonobstant ses multiples exactions, d’un réel prestige auprès des masses populaires. Preuve en est que la révolution tunisienne semble effectivement accomplie, avec le départ précipité et fort peu glorieux de Ben Ali, alors que la révolution égyptienne piétine et se cherche désespérément, confinée qu’elle est sur la pace centrale du Caire, avec un Moubarak encore accroché, malgré un règne certes chancelant et quelques accommodements de circonstance (un pseudo-dialogue avec une opposition au sein de laquelle le prix Nobel de la paix El Baradei n’a même pas été invité à participer), à son inamovible poste de commandement en chef.
 
- La deuxième, mais aussi la plus cruciale, de ces distinctions - celle qui fait toute la différence, précisément - se trouve, au sein de ces deux pays, dans la composition même de leurs couches sociales. Car s’il est vrai que la société tunisienne, depuis Bourguiba jusqu’à Ben Ali, s’est toujours démarquée, au sein du monde arabe, par d’évidentes valeurs de laïcité, caractéristiques pouvant se prévaloir d’une tout aussi indéniable forme de modernité (notamment dans la place dévolue aux femmes), il n’en va pas du tout de même pour la société égyptienne, laquelle, malgré la sécularisation entreprise par Nasser et prolongée par Sadate, n’a jamais pu se départir, sur le plan philosophico-religieux, de son importante part d’islamisme. Et ce nonobstant l’inacceptable et trop souvent impitoyable répression dont elle a été le constant objet, pendant près de trente ans, sous la férule Moubarak.
 
Or cet intégrisme religieux, depuis le premier quart du vingtième siècle, a un nom tout autant qu’un parti, bien qu’il ait été interdit jusqu’à maintenant, en Egypte : celui des « Frères Musulmans », frange radicale proche des extrémistes du Hamas (chez les Palestiniens de la Bande de Gaza) aussi bien que du Hezbollah (au Liban), sinon d’Al Qaïda lui-même, et dont il est à craindre, par delà son actuelle et relative discrétion sur la scène politique arabe, que ce soit elle, en vérité, à piloter la révolution égyptienne en en manipulant, certes à leur insu, les principaux acteurs, au premier rang desquels émerge, aussi naïve qu’admirable, une jeunesse éprise - et on ne pourra certes que l’approuver là sans la moindre réserve - de liberté. Preuve en est qu’il n’est pas une seule de ces manifestations ayant eu lieu dernièrement sur la place Tarhir qui ne se soit déroulée, contrairement à ce qui se passa en Tunisie, sans les mots d’ordre, proférés par de puissants mégaphones et ponctués par de sonores « Allah Akbar » lors de gigantesques prières publiques, de ces fanatiques s’avançant masqués, la barbe soigneusement rasée et le costume impeccablement taillé, afin de se rendre plus présentables, et donc moins suspects, aux yeux de l’Occident.
 
Pis, et plus significatif encore : n’est-ce pas l’ayatollah Khamenei en personne, guide suprême de la République islamique d’Iran, l’une des pires tyrannies du monde, où une obscurantiste charia fait office de code pénal (Sakineh en est l’un des symboles les plus douloureux), qui vient de déclarer, devant un parterre où trônait le très antisémite président Ahmadinejad, que la révolution égyptienne était l’indubitable signe du « réveil islamiste », pour lequel, ne s’est-il pas privé de renchérir de manière encore plus éhontée, l’ « ennemi sioniste » - Israël, s’entend - représentait la « première cible à abattre » ?
 
- D’où, à partir d’un aussi regrettable constat, la troisième de ces différences existant entre les révolutions tunisienne et égyptienne. C’est que, l’Egypte occupant une place géostratégique de tout premier plan au sein de l’échiquier du Proche et Moyen Orient, l’enjeu politique y est d’une importance bien plus considérable, capitale pour l’équilibre international même, qu’en Tunisie. Il est du reste évident que si Moubarak est encore aujourd’hui président de son pays, malgré la violence de la contestation le secouant depuis deux semaines, ce n’est que parce que les gouvernements occidentaux, et celui des Etats-Unis d’Amérique en particulier, continuent de le soutenir en coulisses, par-delà des gesticulations diplomatiques de façade, dès lors que, garant des accords de Camp David (signés le 17 septembre 1978), il préserve, en cette turbulente région du monde, paix et stabilité avec Israël : pays se révélant ainsi en fin de compte, fût-ce indirectement, l’une des clés, dans l’éventualité de son succès comme de son échec, de l’actuelle révolution égyptienne.
 
Entendons-nous, cependant. Certes l’Egypte de 2011, sous Moubarak, n’est-elle pas l’Iran de 1979, sous le Shah. Et, comme le stipule l’adage populaire, comparaison n’est pas raison. Mais enfin : la vigilance étant de mise, il n’en reste pas moins, tout amalgame par trop simplificateur se trouvant donc a priori écarté, que le soupçon, pour ne pas dire la crainte, de voir le spectre islamiste s’emparer de bon nombre de nations arabo-musulmanes, à l’occasion de ces diverses révoltes (démocratiques ou non qu’elles soient), s’avère, sinon fondé, du moins permis, et même compréhensible, au regard des principes prônés, depuis la Révolution Française de 1789, par notre civilisation.
 
Car, en ce qui concerne ces historiques événements du Caire, le problème majeur est, par-delà sa complexité, celui-ci : renverser une dictature politique ne constitue pas nécessairement un gage de démocratie, surtout lorsque, pour la remplacer, on instaure un autre type, peut-être pire encore, de totalitarisme… l’intégrisme religieux, précisément, dès lors qu’il équivaut, quant à lui, à une dictature spirituelle, philosophique et idéologique à la fois.
 
Conclusion ? Aux révolutionnaires égyptiens, à leur bonne foi comme à leur sens tactique, de nous prouver donc - nous ne demandons pas mieux - le contraire… à supposer, bien évidemment, que leur destin soit en leurs seules et uniques mains : ce qui, à considérer cet opportunisme souvent cynique de nos prétendues démocraties modernes justement, n’est guère, paradoxalement, acquis ! A nous donc aussi, démocrates d’Occident, d’aider la jeunesse d’Egypte afin que sa révolution, qui est un peu comparable à celle du Mouvement Vert en Iran, ne soit ni confisquée ni récupérée par quiconque.
 
DANIEL SALVATORE SCHIFFER*
 
* Philosophe, écrivain, auteur de l’essai « Critique de la déraison pure - La faillite intellectuelle des ‘nouveaux philosophes’ et de leurs épigones » (Bourin Editeur).

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3 réactions à cet article    


  • dawei dawei 8 février 2011 12:55

    Toujours cette arrogance, incroyable :
    les egyptiens n’ont rien à nous prouver, ils ont d’abord des choses à se prouver à eux même et c’est déjà beaucoup.

    Quand arreterons nous, français, avec ce sentiment de superiorité qui n’a plus aucune legitimité ( liberte de la presse en chute libre, indépendance de la justice au point zero, abrutisation de masse, deterioration de la sante et de l’education, fort taux de depressif, de chomage, ploutocratie, gerontocratie, rayonnement economique culturel et politique quasi insignifiant, fuite des cerveaux, elite corrompue ,clanisme, prime à la casserole, populisme, fourvoiement ideologique et geopolitique avec des allies plus que douteux , ascenseur social condamné....)
    BALLAYONS DEVANT NOTRE PORTE ET ARRETONS DE DONNER DES LECONS !!

    Voyez vous cher auteur dandiste à chemise blanche pour l’instant ce sont les autres qui nous donnent des leçons
    - L’Islande a viré sa tête, elu une constituante et voté le non remboursmeent des dette,
    - La Tunisie a viré son dicatateur et ses sbires en quelques jours, Egypte tente de faire pareil etc...
    - La Belgique prouve qu’un pays fonctionne tres bien sans gouvernement
    etc ...


    • AniKoreh AniKoreh 8 février 2011 16:30


      « De la triple distinction... »  ??? Hhhhhhhhhh, c’est pas vrai, hein !!??

      Mais il va s’arrêter de caqueter quand, l’agrégé ???


      • Papybom Papybom 13 février 2011 10:57

        Bonjour la modération.

        Bon, il est vrai que je suis nul. Mais cet article en Best Of de la semaine…

        Bien cordialement.

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