Libye : pourquoi les pays arabes n’interviennent-ils pas ?
Dans l’est du pays, les libérateurs se préparent à marcher sur Tripoli. A Benghazi ils ont récupéré des armes et des véhicules blindés. Ils affirment être prêts à s’en servir pour liquider Mouammar Kadhafi et son clan.
Kadhafi : un homme gravement malade
La libération de la Libye avance, par la volonté des citoyens qui rejettent la dictature fantasque et sanglante d’un homme qui a visiblement perdu la raison. Non seulement ses derniers discours sont incohérents, mais son visage, ses yeux, tout montre de lui un homme profondément, gravement malade.
Peut-on même être certain que c’est encore lui qui dirige ? Il est probablement malade depuis plusieurs années. L’insurrection contre son régime est un choc psychologique supplémentaire, insupportable. Comment avoir été un prétendu libérateur, réformateur, agissant au nom du peuple, et finir comme un tyran sanglant qui n’a que mépris pour les libyens ? La seule cohérence qui reste est le suicide ou le bain de sang.
Il ne vivra peut-être plus longtemps et n’en est que plus dangereux car il n’a plus rien à perdre. On peut imaginer un scénario où il prend la charge négative de la répression. S’il perd, il en sera responsable. Sa vie ne sera qu’un peu raccourcie. S’il gagne contre les insurgés, ses flambeurs de fils se partageront ensuite le pays sans être intimement associés à la répression.
Dans le reportage mentionné ci-dessous, un libyen s’étonne devant la caméra de la passivité des gouvernements occidentaux, qu’il qualifie d’hypocrites. Ils aurait souhaité qu’ils interviennent directement, soit militairement. Cette déclaration fait écho aux questions que je me pose depuis deux jours : les Etats occidentaux devraient-ils intervenir militairement pour faire cesser le bain de sang ?
Faut-il aider les libyens ?
Une telle décision est, je l’imagine, difficile à prendre. D’abord parce que nombreux sont ceux qui ne se priveraient pas pour y voir un intérêt pétrolier, ou une volonté d’être le gendarme du monde et de se croire encore au temps des colonies. L’idéologie anti-occidentale fait feu de tout bois. On dirait que les militaires étrangers se croient chez eux en Libye.
Ensuite parce qu’il faut un minimum de légitimité pour intervenir.
Quelle serait la légitimité ? D’abord, le fait que des ressortissants étrangers en Libye soient directement menacés, pris en otages, ou massacrés. Il y aurait alors une justification morale à tenter de les sauver. On remarque que ce n’est pas le cas : les Kadhafi n’ont pas pris le risque de s’attaquer physiquement aux européens, américains ou chinois. Ensuite, il faudrait un appel au secours d’une quelconque autorité représentant les libérateurs : un comité des maires des villes libérées, un comité des insurgés. Former une telle structure qui puisse être qualifiée de représentante des libyens peut prendre du temps. Mais il faut d’abord qu’elle existe.
Une troisième raison est qu’une révolution se fait par la population qui veut la liberté. Il est extrêmement important que cette liberté soit gagnée par la population elle-même. Cela scelle un peuple et un moment historique. Le libérateur étranger ne peut pas intervenir trop vite au risque de voler cette libération à ceux qui l’ont initiée. Cela peut paraître cruel, mais quand un peuple n’a plus peur de la mort il gagne sa liberté.
Qui devrait intervenir ?
Par contre le libérateur étranger doit intervenir quand la population se fait écraser. A combien de mort est placé le seuil d’intervention ? Il faudrait que ce soit zéro morts, mais ce n’est pas possible. Il faut définir les indicateurs. Il aurait fallu par exemple que la France interviennent contre Franco lors de la guerre d’Espagne, alors que les républicains en avaient fait la demande.
Mais, et surtout, si intervention il y avait, qui doit la mener ? Des pays occidentaux ? Et pour quoi pas des pays arabes ?
Oui, les pays arabes ? Pourquoi n’interviennent-ils pas ? Ne sont-ils pas les plus légitimés à intervenir ? N’y a-t-il pas une solidarité arabe ? L’Egypte et la Tunisie sont hors-jeu pour plusieurs mois. La Syrie, le Maroc, l’Arabie Saoudite, semblent avoir trop peur de la contagion démocratique. Ces pays ne veulent pas tenir le mauvais rôle. C’est plus simple quand ce sont les Etats-Unis qui prennent les coups et les critiques. Ces pays regardent leur frères mourir sans cligner d’un oeil.
A moins que ce ne soient pas leurs frères. Peut-être que tout cela n’était qu’un façade, une parade opportuniste. Peut-être que le printemps d’Arabie révèle quelque chose de beaucoup plus profond : il n’y a pas d’unité arabe. Il n’y a pas d’oumma, de nation musulmane. Ces pays pourraient pourtant intervenir, et accueillir des réfugiés politiques et économiques. Ils pourraient investir l’argent du pétrole et des phosphates dans l’économie des pays frères pour donner à la jeunesse l’envie d’un avenir chez eux plutôt que la désespérance de l’errance clandestine dans une Europe incertaine. Mais ils ont été spoliés par les clans, ces clans qu’ils mettent aujourd’hui à bas.
Et si les crises libératrices du Maghreb montraient que l’Arabie, le Moyen-Orient, considérés comme une force potentiellement dangereuse pour l’occident puisque l’on a parlé de choc des civilisations, n’avaient ni les moyens ni la volonté de jouer un vrai rôle ?
Il faudrait alors repenser en grande partie notre vision du monde. L’occident a devant lui probablement encore des décennies de leadership, simplement parce que les pays qui réclament plus de pouvoir refusent d’aller se salir les mains quand il le faut. Le seul concurrent réel au niveau mondial serait alors la Chine, dont le colonialisme économique s’étend, mais qui n’a jamais eu de visées expansionnistes militaires. Ce n’est pas sa tradition. Elle n’interviendra donc pas.
Moralité : les pays arabes n’iront pas au charbon. Ils ne seront pas solidaires. La Chine ne bougera pas. Il ne reste que les occidentaux, encore une fois libérateurs potentiels, encore une fois critiquables à cause même de cela.
Je pense qu’il va devenir de plus en plus difficile de maudire l’occident. Parce que ceux qui logiquement devraient intervenir ne font que regarder le fleuve de sang couler et disparaître dans le sable.
C’est peut-être cela la sagesse d’Orient : laisser mourir ses frères sans bouger...
Frère arabe, frère humain, les occidentaux ont beaucoup de défauts. De plus ils rejettent ta religion et sont heurtés par certaines de tes coutumes. Mais ce ne sont peut-être pas tes pires ennemis.
Puisse-tu, frère humain, te construire librement dans ton pays, afin qu’un jour nous nous rencontrions librement, en égaux.
61 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON