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Accueil du site > Actualités > International > Mahmoud Darwich : mort d’une conscience

Mahmoud Darwich : mort d’une conscience

Il était la voix de la Palestine, mais il était surtout la voix d’une conscience universelle. Refusant de se laisser enfermer dans un rôle de résistant politique, le poète, disparu samedi, préférait célébrer les beautés immédiates du monde en résistance aux abominations de la guerre. Tout un parcours, de l’emblématique "Inscris ! je suis Arabe" jusqu’à "Pense aux autres", le montre : poète de l’identité palestinienne, il fut aussi poète de l’altérité et de l’universalité.

"Si j’ai bien renoncé à écrire la poésie politique et limitée quant à ses significations, je n’ai pas pour autant renoncé à la résistance esthétique au sens large", disait-il. A l’image d’un Rilke, dont il fut l’admirateur, il opposa l’esthétique à l’horreur guerrière, même si l’on fit de lui le symbole de la résistance palestinienne. Rien ne l’agaçait tant que d’être réduit et enfermé dans l’appellation de “poète officiel de son peuple” ou de ”poète de la résistance”.

Mahmoud Darwich s’était vu accoler l’étiquette de porte-voix de la cause palestinienne, à cause de - ou grâce à - son texte engagé de 1964 "Inscris ! je suis Arabe". Ce poème est devenu célèbre dans le monde arabe et entonné comme un hymne à la lutte des Palestiniens. Mahmoud Darwich résistait lorsque son public l’exhortait à le déclamer lors de ses récitals. Ce poème, il ne le reniait pas. Comment aurait-il pu oublier ses luttes passées et surtout son enfance marquée par l’exil sur sa terre natale ? (Né en Palestine, son village fut rasé entièrement et sa famille dut fuir au Liban. A son retour, la famille découvre que son village a été remplacé par une colonie juive). Mahmoud Darwich sera emprisonné plusieurs fois pour ses écrits et devra s’exiler en 1971. Cela non plus, le prix de sa lutte, il ne pouvait l’oublier.

Extrait de "Inscris ! je suis Arabe"

"Inscris
Que je suis Arabe
Que tu as raflé les vignes de mes pères
Et la terre que je cultivais
Moi et mes enfants ensemble
Tu nous as tout pris hormis
Pour la survie de mes petits-fils
Les rochers que voici
Mais votre gouvernement va les saisir aussi
... à ce que l’on dit
 !"

Non, décidément, il ne fallait, il ne pouvait, rien oublier de tout cela. Mais très tôt, il sentit la manipulation avec le rôle d’icône politique qu’on voulut lui faire tenir et il prit ses distances. Il voulut faire de son message de lutte politique un message à vocation universelle. Darwich répétait que la dimension politique se veut "discrète, implicite, non proclamée" dans sa poésie. Il réaffirmait que "le poète n’est pas tenu de fournir un programme politique à son lecteur."

C’est la député palestinienne Hanane Achraoui qui, lui rendant hommage, résume le mieux cette posture, déclarant : "Il a débuté comme un poète de la résistance puis est devenu un poète de la conscience. Il incarnait le meilleur des Palestiniens (...) Même lorsqu’il est devenu une icône, il n’a jamais perdu son sens de l’humanité. Nous avons perdu une partie de notre être".

La quête de Darwich fut sa tentative de surmonter la dualité pour accéder à l’unité temporelle et identitaire.

Son identité double (Mahmoud Darwich a grandi Arabe en Israël et appris deux langues), il fallait la dépasser. "J’ai deux noms qui se rencontrent et se séparent, deux langues, mais j’ai oublié laquelle était celle de mes rêves." (..) "Et l’identité ? je dis. Il répond : Autodéfense... L’identité est fille de la naissance. Mais elle est en fin de compte l’œuvre de celui qui la porte, non le legs d’un passé." (extraits de Comme des fleurs d’amandiers ou plus loin, Actes Sud, 2007) Son combat était de redéfinir sa propre identité par l’hommage de son œuvre à une Palestine moderne, future, intemporelle. Par le retour aussi ce creuset de nos civilisations (Sophocle, Imru’ al-Qays…), le terreau d’une culture lyrique humaniste arabe bien antérieure à la naissance de l’islam.

Ce n’était pas un poète de la modernité en rupture avec la tradition, mais bien un passeur, un garant de la continuité par-delà les siècles passés. De la modernité, il ne faisait pas un credo : "Ne fais confiance ni au cheval ni à la modernité" (Comme des fleurs d’amandiers ou plus loin), "Le progrès pourrait être le pont du retour à la barbarie..." (ibidem). Pas davantage pour la forme poétique : "J’ai toujours dit que le poème en prose écrit par des poètes doués était l’une des plus importantes réalisations de la poésie arabe moderne et qu’il avait acquis sa légitimité esthétique de par son ouverture sur le monde et sur tous les genres littéraires. Mais il ne constitue ni l’unique choix poétique, ni ’la solution finale’ à toute la problématique poétique, à laquelle on ne peut d’ailleurs apporter aucune réponse définitive."

C’est, finalement, son travail poétique sur l’altérité, l’étrangeté de l’autre, marqué par son vécu d’exilé et d’opprimé, qui fit grandir sa réflexion, sa perception des autres et lui fit composer son beau poème Pense aux autres, en témoignage de ce souci persistant de l’altérité.

Mahmoud Darwich fit de lui-même un être parmi tant d’autres : "Je ne suis pas de ceux qui se regardent dans le miroir avec satisfaction. En ce qui me concerne, le miroir reflète un moi tombé dans le domaine public. Autrement dit, les autres ont maintenant le droit d’y rechercher le reflet de leur moi" (extrait du texte prononcé à Ramallah lors de la cérémonie de dédicace du recueil Comme les fleurs d’amandiers).

Il était la voix de la Palestine et c’est à ce titre que son pays lui rend hommage en décrétant trois jours de deuil. C’est vrai que Mahmoud Darwich a rédigé la Déclaration d’indépendance de 1988, lue par Arafat le jour de l’autoproclamation de la création d’un Etat palestinien. Mais l’œuvre de Darwich est bien trop profonde, trop ample, pour se résumer à cet engagement.

Mahmoud Darwich était la voix de la Palestine, mais pas seulement. Il était la voix de tous ceux qui luttent pour leur identité et leur survie. Sa voix ne s’est pas éteinte : elle est maintenant universelle.


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7 réactions à cet article    


  • La Taverne des Poètes 11 août 2008 16:23

    Lire interview 15 avril 2004 : Article de l’Humanité.



    - La Palestine comme métaphore universelle chez Darwich. 

    - Pour Darwich, la poésie est liée à la paix. 

    - L’intégrisme (religieux, ou politique comme le marxisme) et son manichéisme empêchent la poésie de s’épanouir. "La lutte actuelle, qu’on nous présente comme une lutte entre civilisations, n’est autre qu’une lutte entre intégrismes. Ce n’est pas une guerre de civilisations mais une guerre entre différentes barbaries."


    • La Taverne des Poètes 11 août 2008 16:33

      Lire interview 15 avril 2004 dans l’Humanité. Résumé :


      - La Palestine comme métaphore universelle chez Darwich. 

      - Pour Darwich, la poésie est liée à la paix. 

      - L’intégrisme (religieux, ou politique comme le marxisme) et son manichéisme empêchent la poésie de s’épanouir.

      "La lutte actuelle, qu’on nous présente comme une lutte entre civilisations, n’est autre qu’une lutte entre intégrismes. Ce n’est pas une guerre de civilisations mais une guerre entre différentes barbaries."


      • zarathoustra zarathoustra 11 août 2008 17:46

        Merci pour cet article qui rend hommage a un grand poete et qui d’écrit ci bien cette volontée de pas ce laisser embrigadé par les rouges ou les verts ,les poetes n’aime pas la guere car ils sentent trop bien son inutile crueautée, ce gachis de vie !


        • La Taverne des Poètes 11 août 2008 18:50

          5 poèmes inédits du poète sont publiés sur Mediapart (site payant).





          • myph 15 août 2008 15:57

            Merci pour cet hommage à Mahmoud Darwich.
            C’est toujours une tristesse, après Edward Said, de voir s’en aller encore une voix du peuple Palestinien et pour le peuple Palestinien.


            • N.E. Tatem N.E. Tatem 17 août 2008 18:40

              Bonjour.

              Je tiens à apporter une modeste contribution au sujet de ce poète dont la renommée dépasse la sphère de la langue arabe par laquelle il s’est exprimé. L’universalité de Mahmoud Darwich est dans la lignée connue, dit-on "la poésie amoureuse des arabes" qui est le titre d’un ouvrage, il me semble des années 70, dont l’auteur m’échappe. Je citerai parmi les poètes s’exprimant avec la même la langue : Antar (renommé comme guerrier aussi) de l’époque pré-islamique. Né esclave d’une force herculienne. Il avait fait son premier combat pour la survie contre un chien, à l’âge de 6 ans pour lui retirer de la bouche un bout de viande (ou un os) jeté par les maîtres. A 12/14 ans, on dit qu’il courait pieds nus derrière les gazelles et à 16 ans, il combattu un lion. On lui doit cette versification (traduction approximatif) :

              Celui qui ne défend pas son cas

              La chamelle aveugle lui asènera un coup de talent.

              Le chameau est connu comme paisible, encore plus la femelle... A laquelle, il rajoute la perte de vue

              Parmi les poètes préislamiques, Ibn El Moukaffaa qui le premier a donné la parole aux animaux par la fable. La fameuse fable "La cigale et la fourmis" plus connue de Jean De Lafontaine et qui existait bien un millénaire avant.

              Parmi les poètes arabes contemporains de la même étoffe que Mahmoud Darwich, je vous citerai le syrien Nazar Kabani et l’autre palestinien Adonis.

              A propos de Mahmoud Darwich, je tiens à apporter une donnée qui, peut-être, a été dajà formulée et que je n’ai rencontrée malgré toute ma consultation de ce sujet.

              Sur le plan politque, Mahmoud Darwich milita pour la première fois au sein du Rakah (le parti communiste israélien) et était un élu local à l’âge de 24ans -Je ne suis ci sûr de cet âge. A cette époque, les années 60, le secrétaire du PC isralélien a été agressé, avec un coup de couteau à la gorge, en plein Knesset parce que parlemenatire, à cause de son opposition à la guerre de 1967 basée sur l’extension des colonies aux autres pays arabes et à l’extermination (par l’exil et les tueries) du peuple palestinien.

              Son opinion politique reste loin de celle entretenue dans les pays arabes. Il n’a jamais cultivé la haine antisémite, contrairement aux préjugés collés à tous arabes. PS. Le mot antisémite concernait par le passé tous les sémitee en général, c’est-à-dire personne ayant cette culture orientale.

              Poétiquement.

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