Ils s'appellent Mamadou, Ousmane, Aliou, Fatou... Tous sont Sénégalais et sont arrivés au Maroc par voie terrestre, via la Mauritanie, où ils espèrent trouver du travail. Après un voyage de deux jours, ils arrivent à la frontière marocaine, la fameuse porte d'entrée du sud du Royaume – Bir Guendouz – devenue célèbre auprès de la communauté subsaharienne du Maroc pour les actes de racket et de dépouillement des ressortissants africains par des éléments véreux de la police des frontières marocaine.
- Poste frontière de Bir Guendouz
« Si j'ai pris la route au lieu de passer par la voie des airs, raconte Fatou, une jeune femme de 24 ans, c'était pour économiser un peu d'argent ; malheureusement, je me suis trompée car j'ai dû payer la somme de 100 euros pour passer la frontière. Le flic au guichet ne voulait rien entendre et n'avait apparemment rien à faire de la validité de mon passeport ni de l'argent de poche qu'il m'avait demandé et que j'avais aussi. Il m'a dit de faire le tour pour le rejoindre dans le bureau, et une fois, il m'a clairement signifié, sans nulle gêne ni honte, que je devais payer, sinon, je devais retourner d'où j'étais venue « pour prendre l'avion », me lança-t-il méchamment. Acculée, je n'avais pas d'autre choix ; j'ai donc dû payer pour passer car deux de mes compagnes d'infortune, qui avaient refusé ou qui n'avaient pas de quoi payer, avaient été renvoyées par le même flic sous mes yeux ! ».
Mamadou, un jeune homme de 22 ans, qui voyage pour la première fois, a connu le même sort que Fatou et y a laissé tout ce qu'il lui restait d'argent, les seuls 50 euros qu'il avait au fond de la poche... « droite », indique-t-il dans un sourire amer, du jean noir tout poussiéreux qu'il portait. « Je ne voulais pas, mais je n'y pouvais rien ! », marmonna-t-il d'un air dégoûté.
Ousmane, lui, refusera d'abord de payer mais le regrettera amèrement, car il sera abandonné sur place par le chauffeur de taxi mauritanien, parti au bout de deux heures d'attente. Il n'avait que 30 euros comme tout argent et voulait les garder jusqu'à son arrivée à Dakhla où il souhaitait travailler, comme son cousin Aliou, qui l'y avait précédé, dans les usines de poissons, nombreux dans la presqu'île ; des usines qui font trimer, pour un salaire de misère et pendant 12 heures d'horloge, les Subsahariens désorientés que la recherche d'un emploi ou d'une vie meilleure a conduits ici, dans cette ville étrangement calme, où pas un autochtone ne sort de son lit avant 10 ou 11 heures.
Ousmane finira pourtant par supplier le brigadier véreux d'accepter ses 30 euros avant d'embarquer à bord de la voiture d'un compatriote immigré qui regagnait son lieu de travail en Espagne, qu'il a réussi à convaincre de l'emmener jusqu’à Dakhla.
Malgré toutes les tracasseries que subissent leurs ressortissants au Maroc, rares sont les pays africains qui protestent ou exigent un meilleur traitement de leurs citoyens ; bien au contraire, ils parlent toujours des « relations excellentes » que connaissent leurs états avec le Royaume dont l'Autorité suprême, en l'occurrence Sa Majesté Mohamed VI – dont on ne peut pas dire qu'il cautionne les agissements de ses sujets – est, partout et toujours, reçue avec les honneurs qui lui sont dus en Afrique subsaharienne.
Pourtant, il ne fait aucun doute que nombre de Subsahariens, amis du Maroc et fervents admirateurs respectueux de Sa Majesté, attendent aujourd'hui un geste de Sa part pour que cesse définitivement ce traitement indigne dont ils sont l'objet à chaque fois qu'ils se présentent aux portes du Royaume chérifien dont ils reconnaissent la dignité et la sagesse bienveillante du Souverain.
Abdoulaye Jamil Diallo