Ne pas confondre mort annoncée et naissance exceptionnelle
En Belgique, les faits divers font davantage sourire que la grande actualité...
A 51 ans, Marianne Dedessulesmoustier vient juste d’accoucher de triplés, après trente-cinq semaines de grossesse. C‘est dans une clinique de Tournai qu‘Enzo, Diego et Joris ont vu le jour. La quinquagénaire s‘est auparavant rendue à Barcelone pour s’affranchir de la loi belge qui interdit les inséminations artificielles au-delà de de l’âge de 45 ans. Ce n’est pas une femme découvrant sur le tard un soudain manque d’enfants ou une homosexuelle sans père. Nord-Eclair dresse même le portrait d’une mère de famille très nombreuse. Elle va passer en effet de neuf à douze enfants. Les nouveaux nés se portent apparemment bien. La mère reconnaît avoir pris de gros risques, en toute connaissance de cause. On ignore ce que pensent les membres de la fratrie au sujet de l‘agrandissement de leur cercle familial. « Médiatique, cette triple naissance l’est assurément. Marianne en espère bien des retombées : elle rêve de faire de Michel Daerden, le ministre wallon des Pensions, le parrain d’un de ses bébés. » [source]. Cette dernière déclaration, si elle s’avère exacte, ressemble à un pied-de-nez. Marianne Dedessulesmoustier figurerait en bonne place dans le bestiaire des préjugés flamands, au milieu de tous ces Wallons réputés vivre aux crochets de l’Etat belge.
Samedi, Jean Quatremer a opportunément glissé un billet sur son blog Coulisses de Bruxelles pour donner les dernières nouvelles du front belge. Le principal responsable du premier parti politique francophone - Elio Di Rupo - a publiquement fait part de son découragement. Chargé par le Roi de constituer une coalition gouvernementale, il a jeté l’éponge. « J’espère que nous pourrons continuer à vivre ensemble, Flamands, Wallons, Bruxellois et Germanophones, en paix et dans la prospérité ». L’orgue accompagne l’arrivée du cercueil, précédant de peu la cérémonie finale et les adieux aux défunts. Sorti à la tête du premier parti sorti des urnes le 13 juin dernier, le préformateur a échoué. Il donne d’une certaine façon raison à ceux qui ont voté pour les indépendantistes flamands, à moins qu‘ils gardent pour plus tard quelque atout caché.
Elio Di Rupo a repris en vain une politique de conciliation menée depuis des décennies en Belgique. Celle-ci se caractérise d’un côté par un discours de façade sur l’unité de la Belgique, de l’autre par l’acceptation sans gloire d’un démantèlement de l’Etat. Dans le dernier lot de concessions, on retrouve la scission partielle de la sécurité sociale, et surtout l’abandon des francophones vivant en Flandres. Dans le cas de l’arrondissement du BHV (voir Chou blanc de Bruxelles), le préformateur a toutefois soigneusement évité de franchir le Rubicon. D’après le journaliste de Libération, Bart De Wever aurait interrompu les discussions à cause du BHV. Mon objectif n’est pas de prendre la défense de l’indépendantiste flamand, pour contrebalancer Jean Quatremer, visiblement remonté. Je souhaite à l‘indépendantiste de ne pas sous-estimer les rodomontades des membres du TAK (Taal Aktie Komitee) qui ont hier appelé à la scission du BHV et à la suppression des facilités octroyées aux francophones vivant en Flandres [source].
Cependant Bart De Wever ne menait pas les débats. En un mot, Elio Di Rupo bat en retraite, mais ne donne pas l’impression d’avoir une stratégie, hormis une posture, nous derniers défenseurs contre l’anarchie et la barbarie. « L’éditorial du Soir de ce matin, le principal journal francophone, signé par ma consœur Béatrice Delvaux, en dit long sur le désarroi francophone : ‘que veut la Flandre ?’ s’interroge-t-elle alors que la question réelle est plutôt de savoir ce que veulent les Francophones. Depuis 50 ans, ils se contentent d’essayer, en vain, de freiner les demandes flamandes d’une plus grande autonomie, sans aucun projet de rechange, si ce n’est une envie confuse d’un retour à la Belgique heureuse de papa » [source]. La mère de Marianne Dedessulesmoustier s’apprêtait à donner naissance à une future prodige. Que d’eau a coulé sous les ponts en un demi-siècle. L’éditeur Anthémis a récemment publié et miis en ligne des chroniques de Bruno Colman aux revues l’Echo et Trends tendances.
Cet universitaire fiscaliste membre de l’Académie Royale de Belgique donne à la crise belge la perspective économique qui lui manque. On y retrouve l’évocation des Trente Glorieuses et le double déclin industriel de la Belgique, sans la nostalgie pour l’époque de papa. Car Bruno Colman décrit successivement la fin de la sidérurgie [Admirer la Sambre filer vers Namur et Maastricht] et les difficultés présentes des Flandres anversoises. Je ne retiendrai ici que les chroniques purement économiques. Dans la face cachée de la comptabilité publique, l’auteur décrit les raisons pour lesquelles un Etat n’est pas menacé de faillite. Dans l’angle mort des déficits publics, il montre que la crise belge se prolonge faute de franc belge : faute d’euro, la monnaie nationale aurait connu une forte dévaluation.
Dans le parie faustien de la dette publique, Bruno Colman évoque un approfondissement de l’endettement belge, au moment même où les coûts du vieillissement augmentent fortement. Les triplés de Tournai n’y changeront rien… Une fois sautées les chroniques d’analyse macroéconomique, j’en arrive pour finir à celle intitulée La Belgique, au nord de la Grèce. Après l’exposé de ce qui diffère entre les deux pays, Bruno Colman développe ce qui les réunit : la dette pesant sur les actifs de demain, la faiblesse du secteur bancaire belge et enfin les tensions politiques.
« En 2007-2008, nous nous sommes inventé des frayeurs d’éclatement du pays alors que le système bancaire mondial s’effondrait. […] Avec le recul du temps, ces difficultés institutionnelles – d’ailleurs inabouties – furent un acte hasardeux. Elles ont distrait l’attention des cataclysmes financiers. Le monde était à quelques centimètres du gouffre systémique et, en même temps, notre pays devenait introverti. Il entretenait une vulnérabilité narcissique. […] Si des scénarios d’éclatement de la dette devenaient d’actualité, cela poserait de sérieux problèmes monétaires que la Belgique importerait par contamination au sein des pays d’Europe du Nord. Au-delà des scénarios de séparation territoriale, il faut un engagement irrévocable fédéral de stabilité financière. Il ne peut pas y avoir deux ou trois dettes publiques régionales, mais une seule dette fédérale. […] Contrairement aux années nonante, l’essentiel de la dette belge est désormais détenue par des prêteurs étrangers. Les bienveillants prêteurs d’hier peuvent devenir des créanciers exigeants. Il ne faudrait pas que des expressions politiques s’assimilent au pari faustien de Goethe, où la créature humaine reçoit puissance pendant un court instant, en échange de son âme abandonnée à l’éternité. »
Elio Di Rupo, Bart De Wever et quelques autres infirment les conclusions de Bruno Colman. Les priorités du moment sont aux palabres en vue d’un énième rééquilibrage institutionnel, censé éviter une mort annoncée. Et aussi à une naissance exceptionnelle dans une famille de neuf enfants. Je souhaite pour ma part longue vie à la Belgique et aux triplés de Tournai ! En France, on discute de sujets autrement plus déterminants pour l’avenir du pays : l’expulsion de gens qui voyagent, ou la déchéance de nationalité pour les polygames…
PS./ Geographedumonde sur la Belgique : Chou blanc de Bruxelles, Catastrophe routière, sécurité ferroviaire, En Belgique, ne pas confondre ‘arène politique’ et ‘panier de crabes’, Les ‘divorces de raison’ plus rares que les mariages d’amour, Admirer la Sambre filer vers Namur et Maastricht, Belges, belgitude et belligérance.
Incrustation : Les Triplés de Nicole Lambert, à l’occasion d’une exposition à Bruxelles…
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