Pétrole : une piqûre de rappel
En 1973 et en 1979, la flambée des prix pétroliers avait atteint un niveau au-delà duquel la demande et la consommation énergétiques s’étaient tassées, provoquant ainsi recul des prix et amélioration graduelle de la conjoncture économique. Aurait-on atteint autour des 130 dollars le baril ce palier ayant un impact direct sur la demande de pétrole ? De fait, certains signaux plaident en faveur de cette hypothèse car le comportement des conducteurs, par exemple, évolue dans le sens d’une moindre consommation - en tout cas d’une rationalisation de cette consommation - même aux Etats-Unis, pays où la culture du gaspillage énergétique règne pourtant en maître !
Toujours est-il que cette diminution de la consommation devra également se manifester auprès des économies asiatiques qui, par rapport à leur P.I.B. respectif, sont nettement plus friandes de pétrole qu’une économie américaine qui se concentre de plus en plus sur le secteur des services.
C’est au demeurant l’Asie, où consommation d’énergie et croissance économique sont étroitement corrélées, qui souffrira le plus car, pendant que les consommateurs américains devront apprendre de nouveaux modes de comportement, les industries asiatiques, elles, seront face à des décisions existentielles...Du reste, les politiques monétaires de certains de ces pays d’Asie ont d’ores été modifiées dans le sens d’un raffermissement de leur devise nationale dans le but de rendre moins coûteuses les importations pétrolières libellées en dollars, au risque de pénaliser leurs propres exportations. Pays dont l’industrie représente plus de 40% de l’activité économique nationale - soit un ratio parmi les plus élevés au monde - , la Chine sera le pays le plus touché de cette ascension des prix pétroliers même s’il est vrai que les "habitudes " économiques des intervenants permettent, au moins dans un premier temps, de limiter les dégâts. En effet, du fait des autorités chinoises qui mettent très clairement l’accent sur l’ emploi au détriment de la compétitivité, un certain nombre d’entreprises chinoises proche du pouvoir pourront se permettre de suspendre le remboursement de leurs crédits afin de pallier au renchérissement du pétrole et autres matières premières ! De fait, certaines entreprises du pays vivent déjà au-dessus de leurs moyens au vu de la conjoncture internationale très tendue. Il serait certes idéal de ne pas trop se préoccuper de l’état de la dette d’une économie si ce n’est que, à terme, c’est tout le système bancaire et financier chinois qui serait atteint par une secousse dont l’ampleur serait autrement plus dramatique que le choc pétrolier actuel ! Autrement dit, si la puissance chinoise devait un jour sérieusement vaciller, ce serait moins du fait de la flambée des prix pétroliers que de l’implosion de son système financier...
L’un après l’autre, pays d’Asie et du Moyen-Orient en sont réduits à abandonner le contrôle qu’ils exercent usuellement sur les prix à la pompe et sur le fuel, laissant ainsi leurs centaines de millions de consommateurs appréhender et affronter la réalité crue des marchés énergétiques...En fait, la suppression de l’interventionnisme gouvernemental de ces pays dont l’objectif était de "lisser" les prix à la consommation y provoque déjà une réduction de la demande qui pourrait, à terme, infléchir les prix pétroliers. Ainsi, en dépit de multiples manifestations, l’Egypte - pays arabe le plus peuplé - a-t-elle autorisé une augmentation de 40% des prix à la pompe alors que ces prix progressent de plus de 25% dans un pays comme le Sri Lanka par exemple...L’Inde sera le tout prochain pays à libérer ces prix si elle ne souhaite pas aggraver irrémédiablement ses déficits budgétaires et commerciaux considérés déjà alarmants à ce stade. Mue par une même préoccupation d’assainissement de ses finances publiques, l’Indonésie quant à elle a laissé ces prix monter de l’ordre de 33%, Taiwan de 20% et la Malaisie s’apprête également à entamer ce processus...Enfin, la Chine qui a résisté jusqu’à présent à répercuter sur ses consommateurs la flambée des prix énergétiques devrait changer cette orientation à l’issue des Jeux Olympiques, soit fin Août 2008, car la situation budgétaire pourrait fort bien échapper à son contrôle !
Dans un tel contexte, bien des nations, cherchant un coupable, pointent du doigt l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole qui serait d’autant plus responsable de cette envolée des prix du pétrole qu’elle en contrôle, selon l’expression du chancelier britannique Gordon Brown, de "manière scandaleuse 40% de la production"...Néanmoins, cette attitude assez pitoyable consistant à détourner l’attention de ses propres consommateurs mécontents atteint des proportions potentiellement lourdes de conséquences aux Etats-Unis où le Congrès tente de légiférer afin de traîner l’OPEP en justice pour "manipulation des prix par un cartel" sans que l’on sache trop bien devant quelle juridiction l’OPEP serait attaquée si une telle loi devait passer !
De fait, la réputation sinistre de l’OPEP est due à l’embargo de ses exportations qui avait causé en 1973 le premier choc pétrolier, quadruplant au passage les prix du brut et précipitant l’Occident dans la récession économique. Pourtant, et même si ce spectre de l’embargo pétrolier continue de nous hanter depuis trente ans, la situation mondiale n’a aucune similitude avec le contexte des années 70, époque où le marché du pétrole n’était pas "libre"car intégralement aux mains des grandes compagnies pétrolières qui maîtrisaient toute la chaîne, depuis l’exploration au raffinage et à l’écoulement des stocks en passant par l’extraction...Ce pétrole étant vendu par les Etats propriétaires de ces exploitations à un prix fixé à l’avance à des "majors "qui effectivement s’occupaient de le raffiner, de le transporter et de le vendre dans leurs propres stations-services, le système réagissait avec une grande inertie à une évolution de la demande...Ainsi, la matière première la plus consommée et la plus précieuse au monde était aussi la moins soumise aux lois du marché ! Aussi, lors du premier choc pétrolier, le pouvoir de l’OPEP était-il gigantesque car elle contrôlait 70% de la production de pétrole et cette aura de toute puissance s’accrut encore en 1979 lorsque les prix connurent un nouvel accès de fièvre lors de la chute du Shah d’Iran même si cette nouvelle flambée était entièrement imputable à des raisons géopolitiques et nullement à l’OPEP...
Pourtant, un changement imperceptible survint dès 1974, évènement qui devait progressivement rogner le pouvoir de l’OPEP. C’est en effet de nouveaux intervenants - les traders indépendants en pétrole - qui diluèrent la domination des majors pétrolières en contribuant à la création d’un marché libre du pétrole. Ces traders, dont l’apport en liquidités, en instruments dérivés et en efficacité fut indéniable, libéralisèrent du coup ce marché dont la structuration remontait au temps des Rockfeller ! Les conséquences sur l’OPEP ne tardèrent pas à se manifester car la discipline stricte de ses membres ayant permit la réussite du coup de 1973 commençait à s’effriter et certains pays firent cavalier seul, augmentant unilatéralement et en catimini leurs quotas de production afin de s’assurer un surplus de liquidités grâce au marché libre...La lente désagrégation de ce cartel culminera ainsi en 1986 lorsque l’Arabie Séoudite introduisit une nouvelle formulation de ses prix précipitant une débâcle des prix du pétrole et, à partir cette date, il deviendra plus approprié de qualifier l’OPEP non de l’appellation de cartel mais de "club ", chaque membre agissant et produisant exactement comme si l’organisation n’existait pas...En fait, de l’avis de nombre d’analystes, l’OPEP est une "NOpep" depuis vingt ans et c’est exactement la même structure ayant écoulé son pétrole à un prix moyen de 30 dollars le baril qui, aujourd’hui, le vend à ...130 !!
C’est donc cette même organisation qui suscite des condamnations quasi unanimes car elle refuse d’augmenter sa production. Pourtant, le seul pays membre de l’OPEP capable d’augmenter sa production serait l’Arabie Séoudite mais, même dans ce cas précis, la situation est compliquée car, le pétrole n’étant pas un produit uniforme, l’Arabie n’est pas en mesure d’augmenter de manière significative ce pétrole "light" qui est le plus prisé au monde et ces raffineries tournent de toutes façons d’ores et déjà à plein régime...L’OPEP est donc bouc émissaire car la flambée des prix pétroliers est due à une conjonction de facteurs, à savoir les risques géopolitiques, l’effondrement du dollar et surtout la spirale haussière de toutes les matières premières et autres denrées. Effectivement, le pétrole étant une matière première, l’évolution de ses prix ne peut être isolée du contexte global des autres matières premières. Les investisseurs et spéculateurs anticipant des prix encore plus élevés attisent certes la tension sur ces marchés mais le pouvoir des spéculateurs sur le marché est toujours et par définition à court terme car la spéculation n’a jamais modelé une tendance. La spéculation est source d’exagération des prix et de volatilité des marchés mais elle ne crée jamais une tendance ; la spéculation s’empare de la tendance, elle ne la fait pas !
Ces candides - ou ces tartufes - qui, aux Etats-Unis par exemple, tentent d’incriminer l’Arabie Séoudite sont-ils les mêmes qui se réjouissaient de la chute du Shah ? Dans cette hypothèse, le pétrole ne tardera pas à atteindre les 200 dollars. La mise en cause de l’OPEP est une diversion dangereuse et coûteuse car notre monde ne peut plus se payer le luxe de perdre encore du temps à affronter certaines réalités dures à admettre.
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