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Accueil du site > Actualités > International > Pour faire la lumière sur les journalistes et les journalistes citoyens (...)

Pour faire la lumière sur les journalistes et les journalistes citoyens emprisonnés au Maroc

Pour maintenir un précaire statu quo et imposer l'immobilisme au détriment de la souffrance humaine, le régime marocain est prêt d'aller jusqu'au bout, face à un mouvement de protestation éclaté dans le Rif suite à l'homicide fin octobre 2016 de Mohcin Fikri, un poissonnier de 31 ans broyé dans une benne à ordures en tentant de récupérer sa marchandise saisie par des policiers. Un mouvement qui revendique l'amélioration de qualité de la vie, la fin de corruption et les abus du pouvoir et la démilitarisation de la région du Rif. Ce mouvement persistait tout au long de plus de 8 mois jusqu'à ce que le pouvoir central y dépêchait ses hordes pour fouler aux pieds toutes les revendications, mais aussi les dirigeants du mouvement et... les journalistes et les journalistes citoyens qui se sont engagés à couvrir les manifestations. 

En misant sur leurs maigres matériaux du journalisme, caméras ou voire téléphones intelligents, et de même leurs volontés et leurs ardeurs de couvrir et de diffuser sur les réseaux sociaux les manifestations populaires sans transformer et métamorphoser la réalité, n'en parlons plus, pour le régime marocain, c'est une chose décidée : ces journalistes et journalistes citoyens misaient sur le mauvais cheval, ils devraient être sanctionnés lourdement de leur mise et de leur engagement, les accuser sur la base du Code pénal, certains journalistes-citoyens encourent des condamnations qui peuvent aller jusqu’à la peine de mort(1).

À cet égard, il faut souligner tout d'abord que l'ensemble de 31 mineurs et plus 500 de manifestants et activistes rifains croupissent dans les geôles du régime marocain, soumis aux mauvais traitement et voire à la torture, selon Amnesty International, au moins 66 personnes arrêtées en marge des manifestations massives qui secouaient la région du Rif, ont signalé avoir subi des actes de torture et des mauvais traitements en détention. «  Elles auraient notamment été rouées de coups, étouffées, dévêtues, menacées de viol et insultées par la police, parfois pour les contraindre à passer aux aveux(2) », précise le rapport. 

De surcroît, même un rapport confidentiel fuité à certains médias d'un très officiel conseil national des droits de l’homme (CNDH), fait état de torture et de maltraitance envers les détenus rifains maintenus à l’isolement, et rapporte conclusions accablantes de deux médecins marocains, le Dr Hicham Benyaich et le Dr Abdallah Dami, chargés d’établir une expertise médicale sur 19 détenus, le rapport qualifie les témoignages reçus des personnes arrêtées à propos du recours à la torture et autres mauvais traitements lors de leur arrestation et de leur détention de «  crédibles par leur concordance et leur cohérence », le rapport a suscité beaucoup de malaise et de colère dans les milieux sécuritaires puisque rédigé par une assemblée du régime(3). Sans omettre de surcroît l'assassinat de 2 activistes par les grenades lacrymogènes tirées à leurs têtes par la police anti-émeute(4). 

C’est dans cette situation extrêmement tendue politiquement et socialement marquée par la répression que l'arrestation de ces journalistes et journalistes citoyens s'est déroulée, pourtant, il faut signaler que cela n'a pas empêché Emmanuel Macron de faire l'éloge du roi du Maroc Mohamed Six de sa gestion de cette crise(5).

On parle de 9 journalistes et journalistes citoyens sont sous le poids de graves accusations totalement forgées et fabriquées par une « justice » instrumentalisée à des fins politiques et personnelles, et utilisée pour faire taire souvent les opposants et les journalistes qui s'évertuent à réfuter les propagandes et les mystifications distillées par les médias audiovisuels publics et la presse proche du pouvoir. Le 20 juillet 2017, le journaliste Hamid El Mahdaoui, directeur du site d’information Badil.info a été arrêté alors qu’il filmait le déroulement des rassemblements dans la ville d’Al-Hoceïma, il a été condamné d'abord par le tribunal de première instance d’Al-Hoceima le 25 juillet 2017 à 3 moins de prison ferme et une amende de 20 000 dirhams (1800 euros) pour « avoir incité à une manifestation interdite », puis le 11 septembre 2017, la Cour d'appel d’Al-Hoceima a condamné Hamid Mahdaoui à un an de prison, alourdissant ainsi sa peine de trois mois. « Un tel verdict est incompréhensible », dénonce pour sa part Reporters sans frontières(6). Néanmoins, cet usage pernicieux de la « justice » parrainé par le régime marocain à l'encontre ce journaliste se prolongeait, le 28 juillet 2017, les autorités ont transféré Mahdaoui de la prison d’Al Hoceima à celle d’Oukacha à Casablanca, à la demande d’un juge d’instruction local afin d'être poursuivi également pour « non-dénonciation d’un crime portant atteinte à la sûreté de l’État », pour ce chef d’accusation, il encourt une peine allant de deux à cinq ans de prison ferme(7). 

Quant aux autres journalistes-citoyens, le directeur de site en ligne Rif24 Mohamed Al Asrihi et son acolyte Jawad Al Sabiry, l'animateur de la web TV AraghiTV Abd Al Ali Haddou, le photographe de Rif Press Houssein Al Idrissi, l'animateur de la page Facebook AwarTV Fouad Assaidi et le contributeur du site Badil.info Rabie El Ablaq sont arrêtés le 26 mai 2017 et poursouvis pour « atteinte à la sûreté de l’État », autrement dit, ils risquent la peine de mort(8). À ce propos, il est à noter que plusieurs détenus, y compris ces journalistes citoyens ont entamé une pénible grève de la faim durait jusqu'à 30 jours pour protester contre les mauvaises conditions de leur détention, ce qui a provoqué la détérioration de leur état de santé, principalement, Rabie El Ablaq qui a été transféré à l'hôpital après plusieurs grèves de la faim(9). En ce qui concerne le reste de ces journalistes citoyens, Abdelkebir Al Hor, le fondateur du site d’information indépendant Rassdmaroc, il a été arrêté le 6 août 2017 à Marrakech suite à ses écrits sur le mouvement de protestation, accusé d'« apologie du terrorisme », il risque jusqu'à 10 ans de prison(10), et le journaliste Achour El Amraoui interpellé à Beni Chiker, province de Nador(11), et transféré à la prison de Salé, il a été inculpé d'« apologie du terrorisme » exactement comme Abdelkbir El Hor, une accusation totalement falsifiée et fabriquée pour subjuguer la volonté de ces journalistes citoyens.

Les « lignes rouges », le journalisme indépendant et le journalisme de caniveau 

Le régime ne tolère plus le journalisme indépendant, une fois que les journalistes indépendants abordent les sujets sensibles, connus au Maroc sous l’expression « lignes rouges(12) » et qui sont l’islam, la monarchie, le dossier du Sahara occidental et le « business » royal, des sanctions pénales et pécuniaires viennent peu à peu étouffer les hebdomadaires à l’économie fragile animés par ces journalistes, au Maroc, pas de place pour les journalistes indépendants(13). En outre, les conséquences pourraient être dévastatrices pour tout journaliste ose franchir les « lignes rouges », il risque «  l’intimidation verbale à l’emprisonnement, en passant par les amendes colossales, la saisie de numéros censurés, les redressements fiscaux, les écoutes téléphoniques, les pressions familiales, les convocations de police, les tracasseries administratives, les menaces des agents d’autorité(14) », détaille le chroniqueur Salah Elayoubi dans une interview datant de 2014, mais toujours de l'actualité. Voire le régime peut faire n'importe quoi et recourir à des procédures pathétiques et absurdes pour dénigrer les journalistes indépendants, « même les affaires de divorce peuvent devenir un instrument de pression aux mains du pouvoir », ajoute Salah. 

En revanche, le régime guide et promeut la « presse » jaune et diffamatoire, une pseudo presse vénale utilisée comme un chair à canon du régime pour ne pas dire chair à plaisir, elle prend le lecteur ordinaire comme une cible à abrutir, hypnotiser et endoctriner plutôt qu'une personne à informer et instruire, et elle prend les voix libres qui ne sont pas d'accord avec le pouvoir comme une cible à salir et diaboliser plutôt qu'une volonté à contester et débattre. Voici le genre du « journalisme » que le pouvoir marocain galvanise, et en effet, cette paupérisation et cette dégénérescence journalistique ne peut que refléter la nature du régime marocain atteint d'une mégalomanie morbide et doté d'un esprit d'acharnement maléfique visant à réduire les journalistes indépendants soit au silence, soit à l'exil ou pire soit à l'incarcération.

Qui est donc derrière cette « presse » spécialisée dans la diffamation des journalistes indépendants et les opposants, mais de l'autre côté elle n'a jamais fait des reproches à l'encontre les responsables de l'État quand ils sont impliqués dans les scandales ? «  Chaque service de sécurité, le palais y compris, va désormais créer son propre média, présenté comme une plate-forme indépendante, mais destiné en réalité à faire taire toute voix discordante par la diffusion d’attaques nauséabondes et diffamatoires (15) », fait connaître le cousin du roi du Maroc et le chercheur à l’université Harvard Hicham Alaoui. « Ces opérations gérées par les plus hautes sphères de l’État sont conduites en douceur. Les écoutes et les surveillances des services de sécurité vont de pair avec les instructions données aux rédacteurs en chef et aux « journalistes  », affirme le cousin du roi du Maroc surnommé le prince rouge. 

De l'autre côté, le journaliste indépendant exilé en France Hicham Mansouri présente plusieurs éléments et indices qui peuvent, ensemble, répondre à la question posée dessus(16), je me permets de rapporter sommairement ces éléments tels qu'ils sont, à commencer par « la “ligne éditoriale” de cette « presse » qui s’est quasiment spécialisée dans la vie privée et les « tares » morales ou politiques (souvent inventées) des personnalités qui critiquent ou s’opposent au régime politique », « la grande ambiguïté qui caractérise les équipes de la rédaction  », « l'absence d’un modèle économique transparent de ces entreprises  », « le Timing de la publication des articles diffamatoires se fait souvent après des déclarations de la personne concernée, ou après la publication d’un article critique ou émission/prise d’une position qui agace le régime » et à terminer par «  le “scoop journalistique” pour diffuser des charges judiciaires officielles, ce qui confirme que ces « médias » ont essentiellement, comme source, les services de sécurité  ». 

Enfin, à titre de simple renseignement, presque l'immense majorité des personnes arrêtées arbitrairement suite au mouvement de protestation, y compris les journalistes et les journalistes citoyens qui ont couvert les protestations faisaient l'objet d'une féroce campagne de stigmatisation par cette « presse » proche du pouvoir pour entacher leur réputation ou voire pour déshonorer leurs familles.

Dorénavant, le Rif est une « ligne rouge »

Généralement le Rif était toujours un sujet sensible pour ne pas dire un tabou, son histoire de résistance contre la colonisation espagnole et française, la république éphémère du Rif (1921 - 1926 ) fondée par Abdelkrim El Khattabi, les insurrections réprimées dans le sang les années 1958, 1959 et 1984, tous ces événements souillés de sang faisaient l'objet des campagnes illimitées d'extirpation et d'expurgation. Pourtant, le pouvoir central n'a pas réussi à éclipser la mémoire de tout un peuple. 

Ainsi la récente révolte des Rifains aboutissait à corroborer la censure, ce qui explique l'emprisonnement de ces journalistes et journalistes citoyens, sauf que le Rif n'était pas inclus dans la liste des « lignes rouges » auparavant. Mais depuis l'éclatement de cette crise le sujet du Rif vient de s'ajouter officiellement aux « lignes rouges(17) ».

Par Fouad Bouziani

(1) La couverture de la révolte du Rif entravée par les autorités marocaines

(2) Maroc. Des dizaines de personnes arrêtées dans le cadre de la contestation qui secoue le Rif dénoncent des actes de torture en détention ou lire aussi le rapport de HRW : Maroc : Le chef d’un mouvement de protestation affirme avoir été frappé par des policiers

(3) Rif : les sécuritaires déclarent la guerre à Driss El Yazami

(4) La mort de Imad El Attabi attise le Hirak du Rif et Hirak du Rif : Après Imad Al-Attabi, l’activiste Abdelhafid El Haddad est mort

(5) Quand Macron fait l’éloge du roi du Maroc et de sa gestion de la crise du Rif

(6) La peine du journaliste marocain Hamid El Mahdaoui alourdie en appel

(7) La peine du journaliste marocain Hamid El Mahdaoui alourdie en appel et lire aussi : Maroc : Un journaliste renommé en prison

(8) La couverture de la révolte du Rif entravée par les autorités marocaines

(9) Hirak : Rabii Al Ablaq transporté à l'hôpital de Casablanca après 36 jours de grève de la faim

(10) Arrestation d’un journaliste-citoyen pour ses articles sur la révolte du Rif

(11) Nador : Interpellation du journaliste Achour El Amraoui, républicain et soutient du Hirak

(12) Maroc : Les lignes rouges restent rouges

(13) Au Maroc, pas de place pour les journalistes indépendants

(14) Maroc. Le régime ne tolère que les applaudisseurs

(15) Le Maghreb entre autoritarisme et espérance démocratique

(16) Maroc : Journalisme assassin et assassinat du journalisme

(17) La couverture de la révolte du Rif entravée par les autorités marocaines

 

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Manifestation rifaine devant le siège de l’ONU à Genève

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1 réactions à cet article    


  • AmonBra QAmonBra 6 novembre 2017 15:18

    Merci @ l’auteur pour le partage.


    Le Rif est le cœur battant des hommes libres et épris de justice du Maroc, c’est une vieille histoire, sera t il aussi le détonateur de la révolution qui s’annonce, seule capable de détruire ce vieil ordre féodal n’en finissant pas de pourrir et de mourir. . .

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