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Promenons-nous dans les bois, tant que le pavillon n’y est pas !

Est-il possible de densifier une ville étalée ? Eléments de réponse du côté des Etats-Unis...

Les articles du Monde se succèdent sur la remise en cause d’un modèle périurbain basé sur l’habitat individuel et sur l’utilisation de l’automobile. Mais ils abordent ce sujet en le transposant outre-Atlantique. Je suppose que les lecteurs de ce journal supporteraient mal le même genre d’articles portant sur la périphérie d’une agglomération française. Par un biais plus ou moins assumé - l’antiaméricanisme - ou par un autre plus banal - plus c’est loin, moins c’est proche - les journalistes touchent des lecteurs qui, dès lors, ne se sentent pas directement mis en cause. Ceux qui écrivent et ceux qui lisent partent cependant d’un a priori fallacieux.

En effet, l’american way of life ne motive plus depuis des lustres l’étalement urbain. S’il a incontestablement favorisé son éclosion, il s’est ensuite nettement éclipsé. Car le taux de motorisation progressant, l’allongement des temps de transport urbains a finalement réduit à néant les avantages d’une maison installée en périphérie [Ne pas confondre ‘attirer le chaland’ et ‘accueillir un maréchal-ferrant’]. Depuis une bonne trentaine d’années, les catégories sociales les plus favorisées ont donc choisi de revenir vivre dans les parties centrales d’agglomération (mouvement dit de gentryfication / Tartuffe d’Agen). Les aires urbaines ont alors continué à s’étendre non par choix ou par goût des périurbains, mais par force. La hausse des prix les chassait à l’extérieur. Les bourgeois bohèmes ont continué à se moquer de leurs inférieurs, mais en inversant les références géographiques précédentes… Est plouc désormais, celui qui réside en banlieue ; il y a un siècle, le faubourg se pinçait le nez en traversant les quartiers populaires centraux ou péricentraux. Autre temps, autres mœurs.

Les lecteurs habitués de Geographedumonde ne lisent rien de nouveau dans cette entame. Aux Etats-Unis, cependant, la crise économique prend une forme nouvelle, que l’on peut quasiment lire dans les paysages urbains. Ceux-ci se transforment à l’instar d’une pâte à pain trop étalée. Quiconque a tenté de préparer une pizza à la maison connaît ce qu’il résulte. La pâte paraît s’amincir à volonté, sous le rouleau de pâtisserie. Et puis soudain, des petits trous apparaissent, qui s’élargissent immédiatement, impossibles à réduire. Il ne reste plus qu’à remettre la pâte en boule et à recommencer depuis le début. Partons donc aux Etats-Unis.

Fin novembre, on s’interroge à Washington. « [A] quoi ont servi les 75 milliards de dollars (50 milliards d’euros) du programme dit de ” modification de l’accession à la propriété ” alloués à l’aide des familles menacées d’expulsion ? » [Le Monde]. Le secrétaire adjoint au Trésor convient d’un échec peu glorieux. Les banques ont peu renégocié. Une mission du Congrès a même constaté en octobre que moins de 0,5 % des 500.000 dossiers ont bénéficié d’un refinancement de leur dette immobilière. En janvier, le président Obama a fait savoir son mécontentement. Qu’en restera-t-il ? Les saisies de logements continuent, particulièrement impopulaires. A droite, les uns se réjouissent de l’échec de l’Etat fédéral. A gauche, les autres réclament une nationalisation des banques. Le taux de chômage approchant 10 %, ce sont quatre millions d’emprunteurs qui ne peuvent plus payer correctement leurs mensualités. Un emprunteur sur sept se trouve menacé de saisie. « Par endroits (Nevada, Floride, Californie, Arizona, Géorgie, Virginie, Michigan), ce taux navigue entre 40 % et 65 % ». Affirmer que les banques ne jouent pas le jeu n’éclaire pas la situation.

Sylvain Cypel et Isabelle Rey-Lefebvre évaluent à onze millions le nombre de ménages dont le bien a perdu de la valeur depuis qu’ils l’ont acheté (under water). Des milliers d’opportunistes ont tiré les conséquences de leur situation. Ils ont tout simplement déguerpi, sans laisser leurs nouvelles coordonnées. On les appelle des walk away. A charge pour les banques et les assurances de récupérer les miettes, c’est-à-dire des maisons vides. Elles doivent par la suite vendre ces actifs pour récupérer leur mise, ou tenter de le faire. Si le client ne se précipite pas, les vendeurs cassent leurs prix. D’après les journalistes, c’est le cas pour un cinquième des ventes à Los Angeles. En temps normal, la presse dénoncerait probablement le comportement immoral des walk away.

Mais plus personne n’ose plaindre les banques. « Dans le New York Times du 10 janvier, Roger Lowenstein, propriétaire du fonds d’investissement éthique Sequoia, donnait l’exemple de la banque d’affaires Morgan Stanley qui avait acquis cinq immeubles de bureaux de haut standing à San Francisco lorsque le marché était au plus haut, et qui a cessé de les payer depuis l’effondrement immobilier. […] Le promoteur Tishman Speyer et le fonds BlackRock ont annoncé, fin janvier, ne pas pouvoir payer les 16 millions de dollars d’intérêts d’un prêt contracté, en 2006, pour acquérir 11 232 appartements à Manhattan, pour 5,4 milliards de dollars, et qui n’en valent plus, désormais, que 1,8… »

A Detroit (Michigan), Nicolas Bourcier jauge l’étendue des dégâts. Car la situation des prix de l’immobilier bloque désormais nombre d’Américains chez eux. Même ceux qui ont un emploi évitent de vendre, s’ils sont propriétaires. Dans le cas contraire, ils doivent s’y résoudre dans des conditions défavorables ; surtout s’ils ont acheté au plus haut du marché, dans les années 2000. Et puis il y a ceux qui vivent chichement, retraités ou assujettis aux minima sociaux. Au milieu de Detroit, la soupe populaire est distribuée à des centaines de personnes âgées. L’envoyé spécial du Monde évoque une agglomération qui se décompose quotidiennement. « Il suffit de rouler sur ses routes défoncées pour découvrir le paysage urbain chaotique et surréel de Detroit. Un tiers de son territoire est abandonné, 80 000 maisons vidées. Plus de la moitié de ses habitants, soit près d’un million de personnes, sont parties en un demi-siècle, des Blancs exclusivement, préférant s’installer dans les comtés limitrophes - les Macomb, les Oakland, parmi les plus riches du pays. Cité fantôme, ségréguée et violente, la ville conjugue à elle seule les effets de la désindustrialisation commencée voilà plus d’une trentaine d’années, la crise des sub-primes de décembre 2007 et la faillite du secteur automobile. »

Dans certains secteurs de Detroit, le taux de chômage frôle les 50 %. « Le maire a décidé de reverser son salaire aux forces de police. Avec une dette de 300 millions de dollars, il vient de licencier 113 chauffeurs de bus. D’autres coupes budgétaires sont évoquées. […] L’avenue Eight Mile est une longue ligne droite de deux fois quatre voies qui sépare Detroit des banlieues du nord. D’un côté, les quartiers du centre majoritairement noirs, de l’autre les ‘suburbs’ blancs, plus opulents. Une frontière raciale et sociale qui a marqué l’inconscient collectif pendant des décennies mais qui aujourd’hui se fissure sous les effets de la crise. Le chômage a traversé l’avenue. Des blocs d’habitations se sont vidés, là aussi. » Nicolas Bourcier cite ensuite un professeur d’urbanisme, puis un responsable de la mairie. Dans les vides, les uns et les autres espèrent de nouvelles formes de mise en valeur, des sortes de jardins ouvriers à l’américaine. Mais la pâte à pain étalée a maintenant des vides qui s’agrandissent. La reconstitution du tissu urbain ne se décrète pas. Elle se produit, ou non, par un retour de la densification urbaine…

Dans l’Ohio, le même Nicolas Bourcier note justement la dimension sociale de la crise. Face à des individus, il voit bien les limites du discours sur la flexibilité des actifs. A Youngstown, l’automobile ne fait plus vivre. Dans cette agglomération qui a compté dans l’entre-deux-guerres 175.000 habitants, contre 70.000 aujourd’hui, « 17 000 emplois ont été perdus depuis décembre 2007. Près de 30 % de la population, réduite aujourd’hui à 70 000 habitants, vit sous le seuil de pauvreté. Au point que le magazine Forbes a classé récemment la ville parmi les dix cités américaines au déclin le plus rapide. […] Les ponts qui reliaient les quartiers ouvriers aux portes des usines ont disparu. Partout de la rouille, des herbes folles et des hangars oubliés. A peine quelques entreprises sidérurgiques sont encore en activité, rachetées le plus souvent par des Russes (Severstal) ou des Indiens (Arcelor Mittal). » Faute d’une complète remise à plat, la ville tente de se reconstituer, par tâches concomitantes : des prisons dans le centre, des usines devenues simples entrepôts, une zone dédiée aux entreprises high-tech. Partant du principe que l’étalement coûte cher et que son administration ne peut plus suivre, le maire a ordonné la destruction de 2.000 bâtiments. Les familles isolées dans des quartiers vides bénéficieront d’aides pour déménager dans des quartiers plus denses. Mais Youngstown retrouvera-t-elle pour autant une cohérence ?

Début novembre, Grégoire Allix a quant à lui remarqué les travaux d’un groupe d’experts de Washington, la Brookings Institution. Ils réfléchissent à partir des données existantes : 1,2 million de saisies depuis le début de la crise, et près de 19 millions de logements inoccupés (c’est-à-dire un septième du total). Ils préconisent donc pour des milliers de quartiers l’abandon pur et simple. Flint, dans la périphérie de Detroit, a donné le mouvement : mille maisons ont été rasées, et trois mille le seront bientôt. « La ville pourrait ainsi se contracter de 40 % pour concentrer services et activités : sa population est tombée de 200 000 habitants en 1960 à 110 000 aujourd’hui. La municipalité n’a plus les moyens d’entretenir les services publics urbains sur un territoire aussi vaste et dépeuplé. Réduire l’aire urbaine serait le seul moyen d’éviter la faillite. Le père de cette stratégie, Dan Kildee, occupe les fonctions de trésorier du comté de Genesee, dont Flint est le chef-lieu. » Le technocrate, sur l’instance du président Obama, a élargi son verdict à l’ensemble des Etats-Unis. Soixante-cinq zones urbaines mériteraient un traitement semblable sur l’ensemble du territoire américain. Parmi les plus illustres, sont citées Detroit, Philadelphie, Pittsburgh ou Baltimore.

Evidemment, les défenseurs de l’environnement mettent en avant les aspects positifs d’une telle évolution. Le problème est que les principales victimes de la périurbanisation ne peuvent que difficilement profiter de la densification, les prix dans les parties centrales d’agglomération restant hors de leur portée. Une rancœur insondable s’est accumulée vis-à-vis des institutions politiques ou financières. Il conviendrait d’en comprendre la portée en France. Le Monde ne me rassure pas sur ce point.

Catherine Rollot reprend ainsi mot pour mot une affirmation d’un dirigeant du Credoc selon lequel les classes moyennes aspirent toujours à la propriété. Ont-elles le choix ? Le 5 novembre 2009, le Monde titre sur l’explosion de la fiscalité des collectivités territoriales enivrées par les rentrées fiscales tirées de la bulle immobilière : 8,1 % en moyenne l’an passé [Des provinciaux à Paris]. En France, la multiplication des centres commerciaux menace leur rentabilité. Ceux installés à l’extérieur ont souffert plus encore (-2,6 % en 2009) que ceux situés dans les cœurs d’agglomération (-1,5 %). Pendant ce temps, les surfaces artificialisées se multiplient, la surface agricole utilisée se rétrécit [Les villes boulimiques se nourrissent des campagnes anorexiques], et la forêt recule : de 16,95 à 16,97 millions d’hectares entre 2007 et 2008 [La forêt ne progresse plus en France]. Promenons nous dans les bois, tant que le pavillon n’y est pas !

PS./ Geographedumonde sur les Etats-Unis : L’Amérique reste à conquérirSécession de rattrapageLa fin du capitalisme attendra encore un peu‘Le Nouveau Monde’, comme une ode à l’Ancien MondeClint casse la baraquePetits travers des grands travaux, Wild wild Midwest, l’approvisionnement électrique de la Floride, le vieillissement de la population dans le nord-est, le départ des mafieux new-yorkais, le pb des biocarburants ; sur la Californie (un, deux et trois).


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2 réactions à cet article    


  • foufouille foufouille 9 février 2010 12:33

    new american way of life ?


    • Bruno de Larivière Bruno de Larivière 9 février 2010 14:20

      Pas forcément...
      Il y a en réalité un retour à un processus déjà connu. Aux Etats-Unis, nombre de villes ont été abandonnées faute d’activité ; et pas seulement les cités champignons nées de l’exploitation minière. Des villes autrefois brillantes ont considérablement régressé... L’exemple de Cincinnati (via Google Maps) me frappe particulièrement, sur la rivière Ohio, l’affluent de rive gauche du Mississippi dont la vallée a donné l’axe de déplacement des colons vers les Grandes Plaines. L’image satellitale permet de scruter l’histoire d’une ville qui avait tout (axe de communication, appareil industriel, main d’oeuvre) et qui s’éteint peu à peu . Tout cela - non pas au milieu des Rocheuses - mais dans le ’coin’ nord-est des Etats-Unis. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, Cincinnati compte un peu plus de 500.000 habitants, parmi les dix plus peuplées des Etats-Unis. Aujourd’hui, on dénombre 330.000 habitants.

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