Que faire face à (ou avec) la Russie ?
Haro sur Poutine... qui « sort son revolver quand il entend le mot journaliste », comme je le lis sur AgoraVox ! Je comprends, et je me range parmi les critiques de cet ancien as du KGB devenu super-PDG d’une « entreprise Russie » qui cumule les méthodes les plus capitalistes, les plus étatistes et les plus mafieuses, tsar d’un Empire déchu qui n’a pas renoncé à toutes ses vocations impériales et champion d’un ordre difficile à concilier en bien des domaines avec les valeurs, les principes et les règles de conduite du Conseil de l’Europe, de ce Conseil de l’Europe dont Moscou préside actuellement le Comité des ministres...
Face à Poutine, je préfère la franchise, la réserve et la vigilance de Mme Merckel à la chaleur de M. Chirac si généreux en compliments et en marques d’honneur...
Mais suffit-il de dénoncer Poutine et ses méthodes si l’on veut mener un combat efficace pour les Droits de l’homme en Russie ? Une question essentielle.
Ne faut-il pas aussi s’interroger davantage sur l’ampleur et la gravité des défis intérieurs que Poutine doit relever ? Je ne parle pas seulement de cette guerre en Tchétchénie, qui est justement dénoncée par Glucksmann et d’autres, mais qui est plus complexe, dans ses origines et son déroulement, qu’on veut bien le dire généralement. Je parle surtout des défis que constituent les forces souterraines de la Russie, ces réseaux d’extrême droite qui mêlent criminalité organisée, idéologie nationaliste de type « anarcho-fascisme brun-rouge », pratiques mafieuses et violences terroristes et nihilistes...
Poutine sait, par exemple, que la corruption est un fléau qui nuit à la modernisation de son pays, et sa crédibilité. Comme le remarquait Hélène Carrère d’Encausse dans une interview à RAI Novosty, cette lutte contre la corruption (et ce qu’elle implique) est l’un de échecs de Poutine. Certes, on peut dire que la politique officielle du Kremlin favorise la xénophobie (contre les Ukrainiens, hier, contre les Georgiens aujourd’hui, contre les Baltes en permanence), et stimule la propagation des sentiments de haine.
Mais cela veut-il dire que le « poutinisme » par son « populisme » est à l’origine de tous les maux ? D’ailleurs, il arrive que des proches de Poutine, comme Valentina Matvienko, gouverneur de Saint-Pétersbourg, soient menacés par ces « réseaux ». L’insécurité règne aussi au Kremlin, et dans les cercles très proches de Poutine.
Comme le souligne volontiers le sécrétaire général du Conseil de l’Europe, il faut tenir compte des difficultés de gouverner un pays tel que la Russie qui n’a jamais connu la démocratie pluraliste... Le soutien aux « démocrates » russes ne doit pas se limiter à des critiques du pouvoir en place. Ce serait contreproductif.
Certes, on peut imaginer des complicités entre ces « organisations » et des autorités en place. Encore faut-il en apporter des preuves. Certes, on peut dénoncer ou regretter l’impuissance policièro-judiciaire face à la multiplication d’attentats, de crimes commandités, de méfaits en tout genre. Encore faut-il prouver que cette « impuissance » (sélective, il est vrai) est délibérée... On ne doit pas confondre analyses et caricatures, recherche de la vérité et réquisitoires délibérés, constats de réalités et procès d’intentions. Qui peut affirmer que Poutine n’est pas sincèrement et réellement « préoccupé » par l’ampleur de ces « forces de l’ombre » ?
Le meurtre de la journaliste d’opposition Anna Politkovskaïa, célèbre pour sa couverture très critique de la guerre en Tchétchénie, s’inscrit dans un contexte que l’on ne peut négliger.
Depuis plusieurs années, la Russie connaît une multiplication de groupes extrémistes et xénophobes, et des actes de racisme violents sont régulièrement perpétrés, que ce soit contre des étudiants africains ou asiatiques, ou contre des ressortissants de pays du Caucase et d’Asie centrale. Les assassinats commandités deviennent des « faits divers » quotidiens.
Ce mardi, c’est le directeur d’une succursale de la deuxième banque de Russie, Vnechtorgbank, qui a été tué d’une balle dans la tête dans l’ascenseur de son immeuble à Moscou. Et on se souvient que le 13 septembre dernier, le vice-président de la Banque centrale de Russie, Andreï Kozlov, avait été mortellement blessé par balles par des inconnus à la sortie d’un club de sport de Moscou. Il avait fait de la lutte contre la corruption, les circuits de l’argent sale et l’économie souterraine l’une de ses priorités.
Internet semble être bien utilisé par ces réseaux de la haine et du crime. Ils apparaissent et disparaissent en fonction des enquêtes policières. Le Monde reprend dans un excellent article de Madeleine Vatel des informations qui méritent approfondissement et réflexions.
Je cite : « L’une des pistes évoquées pour le meurtre d’Anna Politkovskaïa est celle d’extrémistes nationalistes qui la considéraient comme une ennemie de la patrie. Svetlana Gannouchkina, une militante russe des droits de l’homme, a expliqué qu’elle figurait sur une liste de 89 personnes menacées de mort par une organisation appelée La Volonté russe. Cette liste appelle les patriotes à prendre les armes et à l’exécuter ainsi que d’autres amis des étrangers. Svetlana Gannouchkina a pris connaissance de ces menaces en août, lors que les informations ont paru sur le site Internet russianwill.org. D’autres personnalités, comme la journaliste Evguenia Albats et l’ancien dissident Serguei Kovalev, ont été mentionnés sur ce site, qui a cessé d’être accessible mercredi. »
Je cite encore : « Les listes qui incitent au meurtre sont en principe interdites par la loi. Elles apparaissent et disparaissent. La première liste est apparue il y a dix ans. Aujourd’hui on trouve dans ces listes des journalistes, des libéraux, et désormais des politiques, explique Vladimir Pribilovski, du centre d’analyse Panorama. »
Autre extrait : « En mars 2006, le Parti libéral-démocrate russe (LDPR), dirigé par l’ultranationaliste Vladimir Jirinovski, avait lui aussi publié une liste comportant les noms d’ennemis du peuple russe. Anna Politkovskaïa figurait sur cette liste » [...] Les ennemis de la Russie sont définis par les différents sites ultranationalistes comme étant ceux dont les activités sont financées par des fondations étrangères. Quatre sites de ce type ont été identifiés par les militants des droits de l’homme. »
Conclusions ? Aucune ne peut être définitive. Au-delà des sentiments de sympathie ou d’antipathie que Poutine peut susciter, il importe de « prendre au mot » les déclarations du « patron du Kremlin » sur l’assassinat d’Anna Politkovskaïa, qualifié, par lui, de « crime ignoble » qui, dit-il « cause un préjudice immense aux autorités russes ». En Allemagne, il a estimé que « les criminels qui ont tué la journaliste seront retrouvés, démasqués et punis. ». Les promesses se jugent aux actes qui les concrétisent.
Il importe aussi d’afficher une vigilance qui ne soit pas une arrogance sur le degré de liberté (notamment d’expression) et de démocratie en Russie. La démocratie est une dynamique qui ne vaut que sa perfectibilité permanente. On le voit partout, y compris en France. Il importe enfin, et peut-être surtout, de lier droits de l’homme et relations interétatiques. Pas d’ingérences intempestives, mais de complaisance complice. Aujourd’hui, le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov a espéré que lors des négociations sur un nouvel accord de partenariat et de coopération (APC) entre la Russie et l’Union européenne (UE), « les droits du business russe soient respectés au maximum ».
Ces « droits du business », donc des milieux d’affaires, constituent un concept nouveau dans la formulation. Il doit être indissociable d’autres droits, et d’autres devoirs (transparence, lutte contre les corruptions, les économies souterraines, les réseaux mafieux, et l’économie criminelle, respect des règles du conseil de l’Europe, etc.). Une belle aventure collective...
Sur le même thème
La démocratie impériale de RussieNovitchok, Coupe du monde de football et élections présidentielles en Russie
La Grande Russie à travers l’histoire : Le centenaire de la Révolution de 1917
Le Kremlin publie l'entrevue complète entre Poutine et Megan Kelly - Analyse de ce que NBC a coupé
Sarajevo, Munich, Salisbury : Bienvenue à la troisième guerre mondiale
19 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON