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RD Congo : Après Obama, le déluge ?

Barack Obama aura été le Président américain de qui les Africains attendaient beaucoup, les Congolais en particulier. Mais à deux ans de la fin de son second mandat, il est parti pour quitter la Maison Blanche sans laisser la moindre « empreinte politique » sur le Continent africain. Rien à voir avec un de ses prédécesseurs, Bill Clinton, dont il sera question dans la suite de cette analyse. Les Congolais seront probablement le peuple le plus malheureux de l’après-Obama tellement le Président américain apparaissait, et apparait toujours, comme étant la seule personne disposant d’assez de pouvoir pour changer le destin tragique d’un peuple livré à lui-même. Interminables guerres de pillage, massacres des civils, viols de masse, déplacements forcés des populations, assassinats… Une extermination qui ne dit pas son nom, en marge de la ruée internationale sur les ressources minières du Continent noir. 

Une seule mesure aurait pourtant tout changé, et seul le Président américain est assez puissant pour l’imposer à l’agenda international : la création d’un Tribunal pénal international pour le Congo afin de juger et de condamner les responsables des crimes de guerres, crimes contre l’humanité et crimes de génocide qui se commettent sur le sol congolais depuis deux décennies. Dans le silence d’une communauté internationale qui, devant le profit tiré du pillage, a littéralement vendu son âme[1].

Une pétition[2] réclamant la création de ce tribunal a récemment recueilli plus de 38 mille signatures[3] avec des noms comme Gisèle Halimi, Françoise Héritier, Ingrid Betancourt, Rama Yade, Roselyne Bachelot,… Mais tout porte à croire que Barack Obama ne s’engagera pas sur ce dossier.

« C’est compliqué »

Cette phrase de Susan Rice résume à peu près les difficultés du Président américain. Pour la petite histoire, dans le cadre du débat sur la « responsabilité de protéger », une doctrine au nom de laquelle les Etats-Unis envisageaient de bombarder la Syrie le cas des populations de l’Est du Congo a été soulevé. L’ancienne Ambassadrice américaine à l’ONU, maintenant Conseillère à la sécurité nationale, Susan Rice, a simplement répondu : « c’est compliquée ». Elle a même préconisé que, sur le cas du Congo, Washington devrait « détourner le regard »[4]. Trop d’intérêts sont en jeux.

Barack Obama ne risque donc pas de s’employer à faire condamner les responsables des guerres à répétition qui causent des millions de morts au Congo. Demander au Conseil de Sécurité de l’ONU de faire arrêter les Présidents Paul Kagamé du Rwanda et Yoweri Museveni d’Ouganda mettrait Barack Obama en conflit direct avec un de ses prédécesseurs, Bill Clinton. Un tel conflit se traduirait par une profonde remise en question de l’engagement des Etats-Unis dans la région des Grands-Lacs. Il pourrait attirer sur Washington un opprobre international comparable à celui que Paris subit depuis l’affaire du génocide rwandais.

Les conquêtes sanglantes du « pionnier » Clinton

En remontant l’histoire des bouleversements géopolitiques dans la région des Grands-Lacs, on retrouve l’administration Clinton, à la fin de la Guerre froide. L’Amérique tenait à s’octroyer une présence en Afrique à tout prix. L’engagement américain se traduira par l’émergence de nouveaux leaders (Kagamé, Museveni) au détriment des hommes-clés de la francophonie (Mobutu, Habyarimana). Bien entendu, ce bouleversement orchestré par Bill Clinton sera lourd de conséquences, et va même, semble-t-il, échapper au contrôle de ses instigateurs[5], en termes de pertes en vies humaines.

En effet, plus d’un million de Rwandais seront tués au Rwanda et 100 à 400 mille achevés[6] dans les forêts du Congo, au cours d’une campagne assimilable au crime de génocide, selon un rapport de l’ONU[7]. Plus de six millions de Congolais[8] périront des guerres à répétition menées avec le soutien militaire, médiatique et diplomatique de Washington. Quatre Présidents seront assassinés (le Rwandais Juvénal Habyarimana, les Burundais Cyprien Ntaryamira et Melchior Ndadaye, et le Congolais Laurent-Désiré Kabila). Quatre évêques de la région seront également assassinés par les forces de Kagamé (trois au Rwanda[9] et un au Congo[10]). Mobutu[11] et la France[12], qui comprendront trop tard que c’était eux les cibles dès le départ, vont être balayés de la région. De gros moyens seront utilisés pour camoufler les faits, consacrer des mensonges d'Etat en vérité absolue et ruiner la vie de ceux qui s'efforçaient de dire la vérité.

A Washington, on se dit sûrement que c’était le prix à payer pour permettre aux Américains, et à leurs alliés Britanniques, de prendre pied dans ce pré-carré français et d’accéder, sans intermédiaires, aux immenses réserves minières du Congo. Le prix à payer pour booster l’économie des pays anglo-saxons dont les multinationales, de l’électronique notamment, vont, depuis deux décennies, se procurer des matières stratégiques (le tantale/coltan, l’étain, l’or, le tungstène…) à vil prix en se contentant de piller un Congo préalablement mis à terre.

Le procédé utilisé consistera à la « production » des générations des seigneurs de guerre et des rebellions sans autre idéologie que le pillage pour assurer l’approvisionnement des multinationales plusieurs fois dénoncées dans les rapports des experts de l’ONU[13], mais jamais sanctionnées. L’Amérique veille et tient à garantir l’impunité à ses « petites mains  » de la région, y compris en recourant à la menace de veto au Conseil de sécurité de l’ONU[14]. Les criminels peuvent dormir tranquilles.

Obama, sa conscience et le rêve de Lincoln, Roosevelt… ?

Se pose alors une question de conscience à un homme qui, comme tout Président américain, va rentrer dans l’histoire et sera jugé sur la façon dont il aura géré un certain nombre de dossiers. L’« holocauste du Congo » en sera indiscutablement un. Franklin Roosevelt est rentré dans l’histoire en mettant fin à la Shoah par l’entrée de l’Amérique en guerre contre Adolf Hitler. Abraham Lincoln rentra, lui aussi, dans l’histoire en assumant la guerre, qu’il remporta, contre les Etats esclavagistes du Sud. Barack Obama a sur ses bras le dossier du plus grand massacre des populations « noires » depuis la Traite des esclaves et les pires années de l’époque coloniale. Il connait le « dossier Congo » pour y avoir personnellement travaillé en tant que sénateur[15]. Mais pour mettre définitivement un terme au « massacre », Obama doit être disposé à affronter les intérêts colossaux qui sous-tendent ce carnage depuis deux décennies.

Il pourrait se heurter à ce qu’on appelle le « clan Clinton » sur le sort des Présidents Kagamé et Museveni. La déchéance des deux dictateurs et leur poursuite en justice pourrait prendre les allures d’un Nuremberg, tellement du sang coule sans discontinuer depuis des années. Parallèlement, trop d’intérêts seraient sacrifiés alors même que la crise économique, qui frappe les pays occidentaux, plaiderait plutôt pour la consolidation des « acquis américains » dans la région.

A ce titre, le Sommet Etats-Unis–Afrique[16] convoqué à Washington le 6 et 7 août prochain, par Barack Obama, donne à penser que le Président américain, tout comme son homologue français au dernier sommet de l’Elysée du 6 décembre dernier et chinois en novembre 2006 ne compte pas être distancé sur le marché africain. Donc, les affaires d’abord, les droits de l’homme plus tard. Reste que, pendant ce temps, les Congolais voient se profiler le pire des scénarios. Seule la création rapide d’un Tribunal Pénal international pourrait constituer un rempart pour ces populations qui observent, avec résignation, les « prédateurs » de tous poils fourbissant, à nouveau, leurs armes.

Chronique d’une catastrophe annoncée

Fin 2016, Obama prépare son départ de la Maison Blanche. Son successeur sera un démocrate ou un républicain, peu importe. On sait juste qu’Hilary Clinton se prépare et que dans l’hypothèse de son élection, on ne donne pas cher de la peau des populations de l’Est du Congo. A Kinshasa, Joseph Kabila prépare lui aussi sa succession, à lui-même ou au profit d’un fidèle de la « kabilie ». Dans l’Est du pays, les « bataillons rwandais »[17],[18] qu’on appelle parfois « les bataillons mono ethniques » consolident leur emprise sur la Province Orientale, le Kivu et le Nord du Katanga. L’assassinat du colonel Mamadou Ndala fait déjà réfléchir de nombreux soldats réputés pour leur patriotisme.

Ces bataillons pro-Kampala et pro-Kigali seront rejoints par les combattants du M23 qui vont obtenir l’amnistie et intégrer les institutions avec le soutien de la majorité présidentielle (PPRD). Le sénat congolais a déjà voté la loi d’amnistie[19], garantissant, comme depuis deux décennies, l’impunité[20].

Une élection démocratique dans un environnement comme celui-là n’est absolument pas envisageable. On voit plutôt planté le décor des élections chaotiques de 2011, couplées avec l’insurrection du M23. Une catastrophe dont le Congo, cette fois-là, ne risque pas de se relever.

Obama aurait pu faire quelque chose en « neutralisant » les régimes de Kagamé et de Museveni qui continuent de planifier[21] de nouvelles attaques contre le Congo. C’est en tout cas ce qu’on lit dans le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU[22]. En 2016, il sera trop tard.

Tout ce qu’il y aura à faire, pour les Congolais, ce sera de ne pas se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment.

Boniface MUSAVULI

 



[1] « L'Union Européenne qui prétend, dans ses principes et ses actions, ‘défendre la démocratie et le respect des droits humains’, s'est montrée particulièrement léthargique affichant un immobilisme exemplaire devant les crimes contre l'Humanité et le pillage des ressources naturelles au Congo. Nous avons pu constater que l'institution la plus prestigieuse et la plus respectée d'Europe finance (…) des élections présidentielles où la fraude et le harcèlement des opposants sont la règle tant au Congo qu'au Rwanda ; qu'elle appuie ouvertement l'arrivée ou le maintien au pouvoir des criminels de guerre au Rwanda et au Congo ; qu'elle les accueille aussi très chaleureusement malgré les multiples manifestations de protestation à Paris, Bonn, Bruxelles, Genève et Londres. » Charles ONANA, Europe, Crimes et Censure au Congo, les documents qui accusent, Ed. Duboiris, 2012, p. 16.

[11] On sait maintenant que le Président Mobutu du Zaïre faisait partie des chefs d’Etat qui devaient être assassinés ce soir du 06 avril 1994. Le sommet de Dar-es-Salam, d’où revint l’avion du Président Habyarimana, était un guet-apens. Cf. Mbeko PatrickLe Canada dans les guerres en Afrique centrale – Génocides & Pillages des ressources minières du Congo par Rwanda interposé, Le Nègre Editeur, 2012, pp. 137-138.

[12] L’avion abattu le 06 avril 1994 au-dessus de Kigali était français (un Falcon 50) de même que ses trois membres d’équipage. L’attentat visait directement la France.

[14] Selon lepoint.fr, citant la revue américaine Foreign Affairs, une réunion s’était tenue, en octobre 2012, au siège de la mission française à l’ONU entre les représentants de la France, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Il était question de condamner le Rwanda pour son soutien au M23 qui commettait des massacres et des viols. Réponse de Susan Rice : « N'y comptez pas ! Ce n'est que le Congo. »

[15] La loi dite « Obama Act  » de 2006 prévoit des sanctions contre les pays qui déstabilisent le Congo.

[17] Selon le général rwandais en exil, Faustin Kayumba, l’armée rwandaise est toujours lourdement engagée au Congo. Cfr. http://observer.ug/index.php?option=com_content&view=article&id=28866:kagame-government-days-are-numbered-gen-nyamwasa&catid=53:interview&Itemid=67

[18] Une présence qui a connu un coup d’accélérateur avec les accords du 23 mars 2009. Cfr. http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/2012/07/10/cartes-sur-table-a-addis-abeba/

 


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9 réactions à cet article    


  • Hervé Hum Hervé Hum 23 janvier 2014 14:21

    Bonjour Musavuli,

    Je ne crois plus à une solution particulière pour le Congo, en raison du pot de miel que constitue ses réserves naturelles. La solution aujourd’hui ne peut être que globale. C’est à dire, passant par une remise en cause du système économique planétaire et de l’harmonisation de la politique sociale et économique qui doit en découler où les peuples citoyens doivent en prendre le contrôle.

    Mais hors de cela, point de salut.


    • MUSAVULI MUSAVULI 23 janvier 2014 16:34

      « La solution aujourd’hui ne peut être que globale. C’est à dire, passant par une remise en cause du système économique planétaire et de l’harmonisation de la politique sociale et économique qui doit en découler où les peuples citoyens doivent en prendre le contrôle.« 

      Hervé Hum,

      J’ai bien peur que la seule solution soit bien celle-là. En attendant, on reste là en observant une population dont on sait qu’elle va se faire massacrer... Qu’à Kigali, à Kampala, à Kinshasa, on ne prépare que ce grand carnage. Qu’à Washington, Londres, New York, Bruxelles, Paris, Genève, on prépare des scenarios pour assurer l’impunité aux individus qui vont massacrer... Qu’on leur fournit des armes et que des instructeurs militaires américains défilent dans la région pour assurer leur formation. Que leurs victimes (les populations congolaises) sont là et attendent d’être massacrées. Comme du gibier... atroce !

       


    • Patrick Samba Patrick Samba 24 janvier 2014 11:34

      Bonjour,

      "En attendant, on reste là en observant une population dont on sait qu’elle va se faire massacrer..." : mais il y a certains observateurs qui ne se contentent pas d’observer, et qui écrivent des articles. Et très clairs. Merci.



    • ZenZoe ZenZoe 23 janvier 2014 14:51

      Toute l’Afrique, cette Afrique riche de ressources naturelles immenses, est dépecée par les prédateurs occidentaux et asiatiques depuis un bout de temps et déchirée par des conflits dont on se demande s’ils ne sont pas alimentés de l’extérieur.

      Et que fait l’Afrique ? Elle en attend toujours plus des occidentaux et des Asiatiques. Je ne connais pas la situation spécifique du Congo, je remarque juste qu’un grand nombre de pays africains feraient mieux justement de ne rien attendre des autres continents, de bouter leurs ressortissants affairistes hors d’Afrique même et de tenter de se débrouiller tout seuls. Là est leur salut ! Virer les autres, prendre enfin leur destinée en main et au diable Obama qui se fiche bien d’eux, il fallait être bien naïf pour penser le contraire !


      • Hervé Hum Hervé Hum 23 janvier 2014 15:41

        Zenzoe, votre remarque s’applique autant aux africains qu’aux occidentaux et asiatiques, dès lors qu’elle s’adresse au peuple et non à son élite. Car si vous parlez de l’élite, ni celle d’Afrique ni celle d’occident ou d’Asie n’ont intérêt à ce que cela change... Bien au contraire !


      • le moine du côté obscur 24 janvier 2014 10:17

        Oui malheureusement les élites ont leur propre agenda qui ne concerne que leurs intérêts. Le peuple ? Elles s’en fichent pas mal et l’extermineraient si ça servait leurs intérêts. Mais ces gens ont-ils encore un coeur et une âme ? Personnellement je le ne crois pas mais bon j’avoue que j’ai parfois du mal à cerner les monstres. Et de ce que je perçois de leurs actions, ce sont des monstres. Pour moi les raisons qu’ils pourraient invoquer pour justifier leurs actions ne justifient en rien leurs abominations. Mais bon je crois que le monde est composé de groupes d’intérêt et chaque groupe défend plus ou moins féroce ses intérêts avant tout. Et chaque groupe semble se dire en dehors de mes intérêts le chaos ! Donc si je ne gagne pas il faut que les autres perdent aussi !


      • Alpo47 Alpo47 23 janvier 2014 18:48

        Après le pitoyable et grotesque « Doubleiou », tout le monde attendait beaucoup -trop- de B.Obama. Un président charismatique et qui présentait si bien ...
        Et la déception est énorme, partout .
        B.O a , comme FH et les autres, défendu les intérêts ... de ceux qui l’ont mis là. Hollywood, l’industrie du Net et surtout ... Wall Street.
        C’est un homme faible, indécis et qui ne fait que .. du vent. En tout cas pour ce qui est de changer quoi que ce soit de manière positive pour la majorité des américains.


        • le moine du côté obscur 24 janvier 2014 10:11

          Obama de mon point de vue était le cheval de Troie parfait pour beaucoup de populations. Déjà les africains subsahariens sensibles à ce qu’un de leur frère « de peau » s’installe à la maison blanche. Mes naïfs compatriotes pensaient ainsi qu’ils allaient pouvoir bénéficier de la solidarité tribale de ce mulâtre. Ensuite les arabo-musulmans, sensibles au fait que le fils d’un musulman (donc l’entendement de certains simplets musulman lui-même) soit dans le bureau ovale. Un homme qui a vécu dans un pays musulman (l’Indonésie) et qui est donc à même de mieux les comprendre. Ensuite il y a les jeunes qui croyaient que ce président « jeune et branché », ouvert sur certaines questions (mais pour moi secondaires et futiles) allaient « être de leur côté ». Obama le charismatique et excellent orateur était l’homme idéal pour séduire certains et ils se sont laissés séduire. Malheureusement les gens ne voient que la partie émergée de l’iceberg ignorant royalement « le monstre dans l’ombre » et ils en paient trop souvent le prix. Je disais à l’époque à certains de mes naïfs concitoyens que sous les mandats de cet homme, l’Afrique et le monde arabo-musulman allaient s’embraser. C’est à dire deux des mondes que ce métis est sensé incarné. Les élites on finit par les comprendre un peu à force de les observer. Bref je pense que je ne m’étais pas trompé et je crois qu’Oblabla n’a trompé que les naïfs.

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