Sociétés clivées, monde divisé, danger !
Cet été 2016 sera sans doute ressenti de manière pesante par nombre de concitoyens qui ne retrouvent plus l’insouciance des mois d’été d’antan. Il y a des années, les médias diffusaient des images affreuses d’incendies, de catastrophes, et autres faits émotionnels mais ces événements ne nous troublaient guère car nous nous sentions en position de spectateur. Cette année 2016, le carnage de Nice nous place à l’intérieur d’un monde gagné par la terreur et l’instabilité. Un putsch avorté en Turquie. Des JO à Rio marqués par la sécurité, comme l’Euro de foot. D’autres faits vont suivre. Un jeune Afghan a fait quatre blessés. Quel est ce monde qui se dessine ? Un œil attentif saura apprécier le processus de division présent dans nombre de pays. Des divisions plurielles au niveau des rouages de l’Etat autant que parmi les populations. C’est l’occasion d’effectuer une rapide recension de ces phénomènes.
(a) Turquie. Le putsch avorté se place sous la double signature d’une nation mal stabilisée par un Erdogan majoritaire en voix mais dont la politique est ambiguë, autant dans son pays qu’au niveau diplomatique. A l’intérieur du pays de puissantes dissensions sont présentes, entre des citoyens épris d’occidentalisation et des populations conservatrices, sans oublier la question kurde. Ces dissensions sont présentes à l’échelle des institutions et dans les rouages de l’Etat. On le voit apparaître avec la purge qui ne laisse pas de doute sur l’existence d’un fichage des dissidences par le pouvoir. A ces divisions sociales s’ajoute l’influence ambiguë de Fethullah Gulen dont on ne sait pas s’il revendique un Islam politique très différent de celui de Erdogan même s’il paraît plus ouvert. Cette rivalité ressemble à celle de Staline et Trotski avec deux « sensibilités » au sein d’un même fond idéologique. Le putsch de 2016 était attendu par le pouvoir en place qui avec sa politique autoritaire et son fichage a peut-être créé le terrain pour que cet événement se réalise. Il est difficile d’interpréter la situation politique de la Turquie. Mais une chose est certaine, c’est que le pays est divisé et que les élites sont les acteurs de ces divisions avec deux personnalités fortes, Gulen et Erdogan. Et un terrain social favorable à cette division qui maintenant façonne un Etat turque miné de l’intérieur malgré l’apparente reprise en main par Erdogan.
(b) Etats-Unis. L’affrontement entre Donald Trump et Hillary Clinton se prépare avec une violence prévisible dans les débats. Contrairement aux élections précédentes, les deux candidats font l’objet d’une défiance jamais vue de la part d’une population américaine minée par des divisions. De plus en plus d’Américains se méfient de l’Etat alors que Trump est un homme qui divise. Ce qui n’arrange pas les affaires d’un pays aux prises avec une guerre civile à bas bruit comme en atteste le différent entre la police et la population noire, sans oublier les mouvements extrémistes les contrées reculées où les activistes organisent une résistance armée contre l’Etat.
(c) France. Notre pays est lui aussi marqué par les fractures avec un parti qui divise, le FN. Alors que les récents événements de Nice ont montré que des personnalités influentes n’hésitent pas à jouer la dissension en appuyant sur les propos polémiques. Nicolas Sarkozy se présente comme un candidat revanchard qui n’a rien de consensuel, ni dans le pays ni dans son propre parti ; et qui n’hésite pas à jeter de l’huile sur le feu en montant les uns contre les autres. François Hollande plaide pour l’unité mais ses actes se traduisent par une division du pays car le président n’inspire plus confiance. La France fracturée, on l’a constaté lors des manifs pour tous. Néanmoins, une division du pays inquiète ; elle oppose le monde musulman aux franges extrémistes de droite. Le directeur de la DGSI a alerté récemment les pouvoirs publics sur un affrontement des deux camps. Il suffirait de quelques attentats djihadistes de plus, avec des horreurs inédites.
(d) L’Europe. Comme en France ou aux Etats-Unis, les pays européens sont traversés par trois types de divisions. Premièrement entre des élites qui cherchent le pouvoir ; deuxièmement entre les élites et les populations ; troisièmement au sein même des populations. Le Royaume-Uni a montré récemment l’étendue de ces fractures à de multiples niveaux. La plupart des pays européens ont leurs divisions spécifiques liées à la classe politique, à la société, à la culture et à l’histoire.
(e) Le monde. Les divisions se constatent avec des fonds nationalistes, idéologiques ou religieux dans de nombreux pays. Venezuela, Inde, Irak, Syrie, Libye, pays du Golfe, Afrique. Quand les divisions ne sont pas aussi affirmées, c’est souvent le signe d’un Etat fort et efficace. Ou alors d’un consensus populaire, ce qui est rare mais avéré dans quelques pays. Le niveau de l’économie joue aussi dans le consensus.
(f) L’Histoire. Un coup d’œil sur l’Histoire montre que les sociétés, les civilisations, l’ensemble des nations ont toujours été divisées avec des périodes de calme, des intervalles conflictuels et en permanence, des antagonismes et autres dissensions. Finalement, est-ce que les choses ont vraiment changé ? La parenthèse enchantée des années 60 à 80 fait figure de référence. Cette période n’a pas plus été calme qu’actuellement. Néanmoins, quelque chose nous dit que les présidences Kennedy, Carte, Reagan, Giscard, Mitterrand et j’en passe ont été moins clivantes que les présidences du 21ème siècle avec des figures comme Bush, Obama, Sarkozy, Hollande. Je ne mentionne que deux pays que nous connaissons bien, l’un avec les livres, films et reportages, l’autre parce que nous y vivons. Si les années 1970 étaient celles des aspirations et dissensions, alors les années 2010 se présentent sous le ressort des clivages, des replis et de la guerre civile à bas bruit mondialisée.
(g) L’Etat le religieux et la technique. Les clivages contemporains s’articulent autour de trois axes génériques que sont l’Etat, le religieux et le technique. Bien évidemment, le religieux ne se réduit pas aux religions instituée mais traduit l’efficace des ressorts spirituels invisibles mais hautement symboliques qui unissent les membres d’une nation, d’un empire ou d’une communauté. Le sentiment patriotique américain relève du religieux. En France, le religieux peut prendre une forme laïque, sécularisée disent les intellectuels, avec le nationalisme, le républicanisme, l’idéologie post-révolutionnaire axée autour des trois valeurs, égalité, fraternité, liberté. En Russie, le religieux est un mélange d’orthodoxie et de fierté nationaliste adossée à une culture slave. La Turquie a des problèmes parce que le kémalisme qui fut un principe religieux moderne et post-ottoman n’a pas pris racine autant que nécessaire pour réaliser l’unité sociale si bien que l’AKP a façonné un principe religieux qu’on peut qualifier improprement de néo-ottoman. En ce sens, Gulen puis Erdogan (qui rime avec Reagan) n’ont fait que façonner un liant religieux pour répondre aux déficiences spirituelles des idéologies modernistes. Cela dit, Erdogan (comme Reagan) n’a pas fait que proposer du liant religieux, il a géré habilement, avec ses cadres, l’économie du pays d’où sa popularité auprès des franges populaires. Dans un monde devenu complexe et traversé par le numérique, l’Etat est un élément essentiel pour stabiliser les sociétés. Les historiens sauront apprécier l’action des dirigeants occidentaux qui ont déstabilisé trois Etats, l’Irak, la Libye, la Syrie, entre 2003 et 2014.
(h) Métaphysique de la différence. L’identité est du côté de l’être, la différence est du côté du temps. Ainsi pensait Sadrâ Shîrâzî, brillant mais obscur philosophe du 17ème siècle en Islam perse. L’instabilité du monde a comme ressort les désirs, les images, le narcissisme, la propagation des images et paroles. La flèche du temps joue contre nous et alimente le chaos. Mais ce chaos est une crise, avec son Janus composé de danger et d’opportunités. Nous voyons les dangers mais nous ne savons pas déceler les opportunités. De nouvelles résonances et un nouvel âge du religieux à inventer, pour le 21ème siècle.
L’après soviétisme a ouvert le champ pour un nouveau monde dont l’émergence date de la fin des années 1990 et dont les ressorts et traits essentiels n’ont pas encore été pensés. L’impact du numérique s’avère déterminant car les messages et images diffusées atteignent le psychisme et que la multiplication des différences dans la matière est de nature à produire un chaos dont les effets sont plus ou moins maîtrisés. Ce chaos ne peut que renforcer les traits autoritaires, sécuritaires et policiers des Etats. Avec des citoyens en attente de mesures protectrices contre des dangers physiques avérés ou imaginaires. Aux menaces physiques (virus, météo, terrorisme, machines) s’ajoute l’insécurité économique. Ainsi que l’insécurité psychique qui constitue le terreau de prédilection pour les instances religieuses autoritaires qui se greffent habilement sur les âmes en perdition, fragiles, désemparées, névrosées ou même psychotiques. Dans certains pays, le religieux se déplace dans la sphère étatique, dans l’autres pays, l’Etat secrète une forme de religiosité qui prend des formes locales. Chez nous, républicanisme, laïcité et nombres de discours d’élites épousant le style du prêche.
Vous avez de quoi réfléchir. Je ne développe pas plus, ayant largement dépassé la longueur d’un texte adapté à la capacité de concentration moyenne sur le Net. Il y a un essai à rédiger. J’hésite entre la physique quantique et le techno-fascisme. Et j’apprécierais l’avis des éditeurs
Sur le même thème
Appel en faveur du journaliste turc Hrant KasparyanL’Europe choisit Erdogan contre les Kurdes
La frappe dite «humanitaire» en Syrie : LA FARCE !
La preuve militaire du nettoyage ethnique turc à Afrine, Syrie du nord
Raqi, ouzo, café turc et bouzouki
15 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON