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USA : la puissance sans projet

Face à la parade militaire organisée pour les 79 ans de Donald Trump, des millions d’Américains ont défilé à travers le pays pour dénoncer ce qu’ils perçoivent comme une dérive monarchique du pouvoir exécutif. Sur fond de violences politiques et d’institutions affaiblies, cette protestation massive révèle moins une vision politique alternative qu’un refus instinctif d’un basculement autoritaire.

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Ce samedi de juin 2025, l’Amérique s’est dévoilée dans toute sa fracture. Tandis que Donald Trump paradait au cœur de Washington sous un ciel de drones et d’hélicoptères, entouré de 7 000 soldats et de colonnes de véhicules militaires alignés au cordeau, des centaines de milliers de citoyens manifestaient dans les rues du pays pour crier leur rejet d’un pouvoir qu’ils jugent désormais autoritaire. Le contraste était saisissant. D’un côté, une parade militaire d’un autre temps, orchestrée le jour même de l’anniversaire présidentiel, dans une ambiance où le nationalisme s’habille de spectacle. De l’autre, une foule immense, parfois silencieuse, souvent vibrante, rassemblée sous le mot d’ordre “No Kings”, dans l’espoir de défendre ce qu’ils ressentent comme une démocratie malmenée.

Ce même jour, la démocratie américaine était frappée en plein cœur par un acte de terreur politique. Melissa Hortman, ancienne présidente démocrate de la Chambre du Minnesota, militante engagée pour les droits des femmes et le contrôle des armes, était assassinée à son domicile, avec son mari. Quelques heures plus tôt, un autre élu démocrate et sa conjointe avaient été grièvement blessés par le même tireur. Le suspect, un homme radicalisé, déguisé en policier, avait préparé une liste de cibles politiques et un manifeste. Ces faits ne sont plus isolés. Ils s’inscrivent dans une série d’agressions ciblées, de menaces constantes, et d’un climat où la violence politique devient un outil au service de l’intimidation. Cette escalade s’insinue jusque dans le quotidien des citoyens ordinaires, désormais nombreux à refuser de donner leur nom aux journalistes, à se faire photographier de dos, à craindre pour leur sécurité simplement pour avoir exprimé une opinion.

La parade militaire à Washington n’était pas seulement une démonstration de puissance, elle était un message. Celui d’un président qui s’identifie à l’État, qui salue les troupes comme s’il en était le généralissime incontesté, qui transforme une fête officielle – celle des 250 ans de l’Armée de Terre – en célébration personnelle. Officiellement patriotique, la mise en scène résonnait avec des accents monarchiques. La date, le budget (45 millions de dollars), le défilé d’armes lourdes, les discours sur la grandeur future de la nation : tout semblait orchestré pour affirmer une volonté de domination, sinon de conquête.

Pendant ce temps, sur les ponts, dans les parcs, devant les mairies, des citoyens de tous âges et de toutes origines clamaient un patriotisme d’un autre genre. Des slogans évoquaient la Résistance, 1789, le flower power et Woody Guthrie. Une mère brandissait la Constitution, un vétéran dénonçait un fascisme rampant. Le pouvoir exécutif n’est plus perçu comme une protection mais comme une menace. La peur n’est pas seulement symbolique, elle est concrète : des manifestations sont dispersées par la police, des grenades lacrymogènes sont tirées à Los Angeles, un manifestant est blessé par balle à Salt Lake City, un couvre-feu est imposé, non pour éviter des violences, mais pour étouffer la voix civique.

Le glissement est brutal. L’Amérique vit un moment où la force de la loi cède le pas à la loi de la force. L’ère de la technocratie triomphante, un temps incarnée par Elon Musk au sein du programme DOGE, s’est refermée dans la confusion. Musk, qui avait été propulsé au cœur de l’appareil étatique pour moderniser l’administration, a finalement quitté son poste en dénonçant publiquement la « passivité » et le « manque d’audace » du président Trump face aux résistances internes et à la lenteur du Congrès. Quelques jours plus tard, il a présenté des excuses publiques, admettant avoir « sans doute été trop loin ». Cet épisode, au lieu d’apaiser, a illustré l’instabilité d’un pouvoir sans ligne claire, livré aux impulsions personnelles et aux revirements spectaculaires, où même ses anciens piliers se détournent temporairement avant de revenir dans le rang. La dissolution arbitraire d’agences publiques, les décrets présidentiels remplaçant la délibération parlementaire, les discours érigés en dogme et les institutions rendues muettes – tout concourt à installer un régime où le président gouverne par le fait accompli, sans contre-pouvoirs véritables.

Pourtant, ce jour-là, des millions de voix se sont élevées contre cette dérive. Non dans la haine, mais dans une forme de lucidité inquiète, presque désespérée. Le cri – « No Kings » – n’est pas celui d’un programme, mais d’un refus. Ce n’est pas un appel à un nouveau contrat social, mais un sursaut instinctif contre une concentration de pouvoir perçue comme monarchique. Les manifestants n’exigent pas tant une autre Amérique qu’ils ne réclament qu’on n’en détruise pas davantage l’héritage. Ce mouvement n’est pas structuré autour d’une proposition politique cohérente, mais autour d’un rejet commun : celui d’un homme qui s’installe au-dessus des lois, d’un exécutif devenu spectacle, d’un pouvoir qui ne consulte plus. C’est une protestation de sauvegarde, presque de résistance passive, marquée par le besoin d’empêcher une bascule irréversible plutôt que de dessiner un nouvel avenir.


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13 réactions à cet article    


  • sylvain sylvain 20 juin 19:25

    eh ben moi qui croyais qu’on avait enfin le president de la paix et de la liberte d’expression. On m’aurait menti ?? Encore ??


    • Fanny 20 juin 19:34

      le président gouverne par le fait accompli, sans contre-pouvoirs véritables.

       

      On comprend que l’auteur est de tendance Démocrate, et qu’il exprime sa déception devant la politique menée par Trump.

      Ce n’est pas une raison pour avancer que les USA ne sont plus une démocratie, mais auraient sombré dans le despotisme, parce que c’est faux.

      C’est la tentation totalitaire de la gauche américaine, qui avait tenté de destituer Trump lors de son premier mandat.

      Ce sont les élections de mi-mandat qui vont décider de la suite, pas les manifestations de rue, utiles mais pas décisionnelles.


      • Olivier Olivier 22 juin 11:16

        @Fanny
        Vous comprenez mal : je ne suis pas citoyen américain. Je serais assez curieux de vois où j’affirmerai que les EU sont une dictature. Je constate juste un empêchement de fonctionner des contre-pouvoirs habituels.

        Les élections de mi-mandat seront intéressantes mais je doute en l’état que les démocrates puissent les « gagner ».

        Ils n’ont aucun projet politique cohérent à proposer.

        Même s’ils avaient une majorité, je ne vois pas sur quoi ils se mettraient d’accords.


      • xana 21 juin 10:34

        Les USA n’ont jamais été une démocratie, mais une ploutocratie.

        Seuls les illettrés font encore la confusion.

        .

        De toutes façons, cet Etat fondé sur le profit et le vol a déja bien entamé sa chute vers le sous-développement et ne pourra plius jamais rattraper ni la Chine ni la Russie. Il peut encore faire illusion auprès de certains Européens bercés par l’illusion de richesse américaine à l’époque du dieu Dollar, mais cela ne durera guère.

        Les USA sont une puissance « has been ». Définitivement.


        • Fanny 21 juin 12:22

          @xana
           Il peut encore faire illusion auprès de certains Européens 

          D’autant qu’une partie de la richesse US vient de l’intelligence européenne. C’est 1/3 de la valeur ajoutée technico-scientifique aux USA qui vient des immigrés Européens et Asiatique.
          Les universités font tout ce qu’elles peuvent pour barrer l’accès des universités aux Asiatiques (comme la Russie vis à vis des Juifs au temps des Tsars). Mais ça n’avait pas marché en Russie : les Juifs ont pris le pouvoir en 1917 (citation de Poutine soulignant le rôle éminent des Juifs en URSS, membres du Politburo en 17 et après).

          cet Etat fondé sur le profit et le vol a déja bien entamé sa chute

          Cet Etat bénéficie de conditions tellement favorables d’abord au plan géographique (deux océans), climatique (tempéré chaud, Washington niveau Madrid), géopolitique (pas de guerres épuisantes avec les voisins, comme nous, mais des petites guerres de rapine), démographique (pression des hispanos) sans compter l’apport des Britanniques dans le rôle de fées auprès du berceau étasunien que leur sous-développement et chute, c’est pas pour demain.
          Je craindrais davantage une guerre civile larvée entre Nord et Sud, parlant bientôt deux langues distinctes (punition pour avoir piqué des territoires au Mexique  accessoirement à Napoléon mais ça c’est oublié, marginal).
          Et puis là où l’Europe a la tentation de s’autodétruire, de s’étrangler avec une idéologie normative mortifère (sorte de nouvelle religion laïque, débile), les Etats-Unis ont une vitalité qui les fait remonter vite fait quand ils sont au fond du trou (crise de 2008) alors que nos règles nous ont protégé en 2008 mais on a poursuivi notre déclin (ratio PIB US/UE). Et quand on est au fond du trou, comme maintenant ou très bientôt, il y a lieu d’être très inquiet pour la suite.


        • xana 21 juin 13:29

          @Fanny
          Vous oubliez un peu vite que la situation des USA a changé depuis son apogée (le temps de la eme guerre mondiale) :
           — Les USA ne peuvent plus compter sur la traite des pays d’Amérique du sud ou centrale où ils se servaient comme chez eux. Leur « pré carré » a disparu.
            Le pays est en proie à la désindustrialisation. Faute d’investissements, la plupart des infrastructures sont en ruines et tout le pays subit un chômage profond. Si vous ne me croyez pas, allez donc faire un peu de tourisme sur place... 
            Tarissement de l’afflux de jeunes diplômés étrangers, désormais plus attirés par de vraies carrières en Chine, en Inde ou ailleurs. 

          Et tout cela est DEFINITIF. Cela s’ajoute à la haine que les USA ont récoltée en exploitant le monde entier et en massacrant les peuples à droite et à gauche.
          Croyez-le ou non, les USA ne s’en relèveront jamais !


        • xana 21 juin 13:34

          @xana
          Sans compter l’épuisement de bon nombre de leurs richesses naturelles, gaspillées pour un plus grand profit. Où sont le pétrole texan, les terres rares, l’eau pour l’irrifation ?


        • Fanny 21 juin 14:42

          @xana

          Croyez-le ou non, les USA ne s’en relèveront jamais !

          Vous prenez des risques, là, comme aiment à le faire les Américains (pas les Européens, englués dans l’UE malheureusement).

          Vous prenez le risque de vous planter, comme les Américains d’ailleurs (mais ils savent se relever et sont assez souvent gagnants).

          Il serait prétentieux d’être sûr de quoi que ce soit : prévoir c’est risqué, surtout concernant l’avenir.

          Il y avait une mode récemment dans notre mainstream : non, finalement, la Chine ne dépassera jamais les USA (vieillissement …). Ah bon ?

          Mais ce dont je suis presque sûr, à mon grand désespoir, c’est que l’Europe va continuer à cafouiller et descendre. Les causes sont limpides : l’Europe ne parvient pas à se détacher des USA depuis 45, à qui elle confie sa sécurité.

          Sachant que les USA visent le maintien du contrôle de l’Europe, il leur faut casser tout semblant de rapprochement d’avec la Russie (souvenez vous de leurs hurlements et insultes lors du rapprochement de Chirac avec Allemands et Russes). Avec l’Ukraine, les US ont décroché le pompom, et l’Europe accélère sa chute.

          Seule chance pour l’Europe : donner la Crimée à la Russie, imposer à l’Ukraine (et à la Russie) une Ukraine fédérale intégrant ses régions de l’Est, refaire la paix avec la Russie et renouer avec elle des liens énergétiques en envoyant chier ceux qui ont détruit NS2, calmer les Polonais et les Baltes (5ème colonne US dans l’UE).

          Vaste programme qui suppose des dirigeants équipés de cojones. Malheureusement, on n’en trouve plus en Europe, on est en pleine campagne féministe et LGBTQ+. C’est foutu.


        • Durand Durand 21 juin 10:50

          Il y a pour moi quelque chose qui ne passe pas avec Trump, c’est sa propension constante à passer sous silence les responsabilités historiques américaines dans le chaos du monde, une propension qui n’est rien d’autre que le résultat, non-pas d’une « puissance sans projet » mais de la puissance comme unique projet et donc, sans aucune justification avouable.

          Par ailleurs, cette préservation à tous crins du roman national américain n’émane-t-elle pas d’une alliance complice, convenue et tacite avec l’Occident, exceptionnaliste, colonial et esclavagiste dans son ensemble ?…

          En d’autres termes, les gesticulations américaines ne sont elles pas craintes par le viel Occident européen – qui les critique prudemment, sans trop en faire transparaître, ni les causes, ni les dangers – comme l’éléphant qui se débat au beau milieu des sables mouvants de nos communes turpitudes historiques, le pire n’étant pas d’y être tous engloutis, pourvu que la vérité historique l’y soit aussi ?…

          Sans laisser de lettre de motivation, le suicide collectif de l’Occident deviendrait-t’il, pour lui, la moins pire des solutions envisageables ?

          ..


          • Fanny 21 juin 15:54

            @Durand

             la puissance comme unique projet et donc, sans aucune justification avouable.

             

            Bush le Jeune n’était pas de votre avis. Il pensait que les USA étant ce qu’il y a de mieux au monde, il fallait que le monde copie les USA, de gré ou de force. Il l’a réaffirmé lors de sa victoire dans la guerre du golfe.

            Clinton avait dit un peu la même chose lors de la guerre de Yougoslavie.

            Et il y a Dieu, dont l’importance ne doit jamais être sous-estimée (on a ce défaut en Europe, depuis qu’on ne va plus à la messe).

            Se faire aimer de Dieu est une mission de première importance. Pour les juifs, c’est carrément le plus important, crucial (et peut-être à l’origine de leur malheur séculaire). Pour les Américains aussi, avec l’argent. Ils ont d’ailleurs un peu aménagé l’Evangile, donnant plus d’importance à la Bible, leur permettant de dire que les riches sont bénis de Dieu (ce qui contredit la parabole du chameau et du trou d’aiguille, mais leur côté pragmatique leur autorise cette acrobatie théologique).

            Donc votre absence de projet, c’est ignorer Dieu ! Encore un athée inculte !

            Le problème, c’est que répandre Dieu à travers le monde avec succès suppose un mélange de missionnaires convaincants dévoués et de militaire. Ce qui fut brillamment réussi dans le passé. Les musulmans ont réussi tout aussi bien.

            Mais aujourd’hui, Dieu est un peu passé au second plan et les missionnaires made in USA, c’est Hollywood. Reste le militaire et l’argent et ça ne le fait pas. L’homme n’est pas devenu une merde soumise aux canons et au fric. Plutôt une bonne nouvelle, mais un souci pour les Américains.


          • Olivier Olivier 22 juin 11:20

            @Durand
            Il faut écouter les déclaration du président Trump : ne s’est il pas déclaré comme premier président impérialiste depuis McKinley ?


          • ZenZoe ZenZoe 21 juin 11:19

            La puissance sans projet ? Ah pardon, les USA en ont un de projet, et depuis le début : aller manger dans la gamelle des autres, tous les autres. Quelquefois c’est enrobé, comme avec Obama, d’autres fois c’est plus cash, comme avec Trump, mais c’est le même schéma.


            • Fanny 21 juin 22:09

              Quelquefois c’est enrobé, comme avec Obama, d’autres fois c’est plus cash, comme avec Trump

              C’est marrant, je pense exactement le contraire.

              La réindustrialisation, par exemple, c’est enlever du boulot aux Chinois et au tiers monde. La bascule vers l’Asie d’Obama, c’est un peu nous lâcher les baskets en Europe. Les taxes « mur de Berlin », c’est chacun chez soi et pour soi, pas sortir de sa niche pour aller bouffer dans la gamelle du clébard d’à côté.

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