Vers une coopération économique et scientifique Russie-Myanmar
Un officier birman de haut rang, le général Maung Aye, numéro deux de la junte militaire du Myanmar, (ex-Birmanie), était attendu le 2 avril 2006 à Moscou, a annoncé l’agence russe Novosti, en soulignant l’importance de premier plan qu’il est appelé à occuper dans les relations russo-birmanes.
Cette rencontre se produit au moment même où la Birmanie est
mise au banc des pays occidentaux, soumise à un embargo quasi total de la part
des Etats-Unis et vivement critiquée par le Japon et les nations de l’Asean,
dans le Sud-Est asiatique. La Birmanie tout entière vit sous le joug d’une
junte militaire depuis mars 1962, il y a exactement quarante-trois ans depuis
le jour où le général Ne-Win, à la tête d’une armée forte alors de 250 000
hommes, a renversé le président U Nu ancien secrétaire général des Nations unies
qui avait été élu à la tête d’une république parlementaire, pour la première
fois de toute son histoire.
Les généraux au pouvoir ont étatisé tout le secteur
tertiaire en s’emparant des banques locales et étrangères, micro et
macro-commerce, celui du riz, des rizeries et du produit fini, négoce des bois
rares comme le teck, propriété et directions exploitation de la flotte civile
marchande. Je les ai vus, alors que j’étais le seul correspondant occidental à Rangoon,
s’emparer en quelques mois, par décrets, de tous les moyens de production
agricoles, industriels et miniers d’un pays connu pour être un des plus
importants producteurs de riz du Sud-Est asiatique et le plus riche en pierres
précieuses, comme les rubis, les saphirs et jade de la région de Mogok. Dans
le même temps, ils ont fait table rase de toute vie politique et réduit à l’impuissance
le mouvement politico-religieux suscité par le monde bouddhiste encadré par
plusieurs centaines de milliers de moines en toge ocre jaune du « petit véhicule
». Dès les débuts de leur dictature, ils n’ont pas hésité à imposer leur volonté
par la force. C’est ainsi qu’ils ont réprimé dans le sang, à l’Université de
Rangoon, une manifestation d’étudiants qui déjà protestaient contre le régime de
Ne Win, qui vécut tellement âgé que les Birmans, profondément superstitieux,
avaient fini par croire qu’il était devenu immortel. À la suite de ce premier
massacre, une délégation de moines venus de la pagode d’or Shwe Dagon, la plus
importante de Rangoon et du monde bouddhiste, s’était rendue sur les lieux
pendant une neuvaine, avec des offrandes de fruits et de riz, à l’intention des
disparus, empilés tête-bêche et emportés dans plusieurs dizaines de camions
tellement ils avaient été nombreux à être tués. À aucun prix il ne fallait que
toutes ces âmes condamnées à l’errance, après avoir été dissociées de leur corps
par une mort violente, se mettent à nuire à la population, faute d’avoir été apaisées
selon les rites prescrits. En quatre décennies, les militaires ont maintenu leur
pouvoir par tous les moyens de leurs forces armées. Ils n’ont pas cessé de
combattre, en vain, les rebellions des peuples composant l’Union birmane, les
Shan, les Karen et entre autres, les Kachin. Le trouvant trop vieux, ils ont
contraint général Ne Win à démissionner en 1988. Ils ont neutralisé la
naissante Ligue pour la démocratie et la paix, inspirée par U Nu, l’ancien Premier ministre qui ne parvint pas à demeurer plus de neuf jours ( du 9 au 18
septembre 1988) à la tête d’un gouvernement provisoire ; il fut renversé au prix d’émeutes
sanglantes, 342 morts, et plus d’un millier d’arrestations par le général Sauw
Laung qui forma, avec dix-huit officiers fidèles au général Ne Win, une nouvelle
junte militaire sous le nom de Conseil d’Etat pour la restauration de l’ordre
et de la loi ( en anglais : State Law and Order Restauration Council - SLORG
, devenu en en novembre 1997 State Peace and Development Council - SPDC ( Conseil
pour la paix et le développement). La même année, deux mois à peine après s’être
de nouveau emparée du pouvoir, la junte, désirant adopter un nouveau profil,
annonce "un code des investissements étrangers". Et comme l’argent n’a pas d’odeur,
si ce n’est celle des hydrocarbures et du gaz qui imprègne l’atmosphère des
relations diplomatiques, on assiste à un nouvel afflux d’entreprises qui
viennent s’investir en Birmanie, où l’on compte actuellement plus de 470 sociétés
et compagnies étrangères de tous les pays de la planète. J’ai pu constater, au
cours du séjour de deux années que j’ai effectué à Rangoon, la souplesse, la
compréhension, l’indulgence que manifestaient à l’égard de militaires les représentants
des missions diplomatiques des pays venus des quatre points
cardinaux. Pour autant, la répression politique ne cède pas un pouce de terrain.
Selon les Nations unies, on estime à au moins trente mille les prisonniers
politiques. Parmi eux se trouve en résidence surveillée, Aung San Suu Kyi,
fille d’un des pères de l’indépendance birmane, prix Nobel de la paix et présidente
de la Ligue nationale pour la démocratie fondée en 1988. Depuis l’apparition
de ce mouvement, elle a été placée en résidence forcée dix ans sur seize de 1989
à 2006. Selon les Nations unies, au moins huit cent mille personnes sont soumises
au travail forcé dont profitent - obligatoirement par contingents - un certain
nombre de sociétés pétrolières. Il est un fait que les généraux - avec la
complicité des pays industriels du monde extérieur des affaires - a fait passer
le PNB du pays de 162 $ par habitant à 1845 $ en 2003. Le taux de croissance a été
estimé à 5,2 pour cent en 2004 avec une légère baisse en 2004. Pourtant, la
situation dans ce pays devient ubuesque, si l’on en croit les nombreux témoignages
en provenance du Sud-Est asiatique. Parmi une des décisions originales prises
par la junte, la plus spectaculaire, et aussi la plus inattendue, est le choix
de la nouvelle capitale de l’Union birmane, à mi-chemin entre Mandalay et
Rangoon, sur les contreforts des monts Pegu, dans le massif de Pynmana, sous prétexte
que l’administration centrale du pays se trouvera ainsi à égale distance de
toutes les provinces. Les généraux l’ont installée, comme dans un nid d’aigle
asiatique, protégés par de solides unités d’une armée forte aujourd’hui de 400
000 hommes. Ils en ont fait, selon des sources citées par la presse sud-asiatique, une sorte de camp retranché entouré, ce qui est peine croyable, de
champs de mines. Pendant ce temps, depuis plus d’un mois, la chasse aux Karen,
qualifiés de rebelles, est ouverte. On en compte quelque 8 millions, dont plus
de cinq cent mille ont trouvé refuge en Thaïlande. Des milliers de personnes
appartenant à ce peuple refluent vers la frontière thaïlandaise. Il y a des
morts, des blessés, dont on ne peut préciser le nombre.
Ce n’est pas la première fois que de telles opérations ont
lieu. Elles viennent d’être confirmées, à Paris par l’organisation Médecins
sans frontière, qui a pris la décision de retirer ses équipes, faute de pouvoir
les mener à bien en raison des interdictions et des entraves créées par le
gouvernement militaire. « Depuis 2001, nous avons mis en place des activités médicales
dans les Etats Mon et Karen, avec une attention particulière pour la prise en
charge du paludisme », a expliqué le Dr Hervé Isambert, médecin et responsable
de ce programme. « Nous voulions travailler dans ces régions en proie à un
conflit entre l’armée birmane et des groupes rebelles, (Karen) parce que, de
notre point de vue d’organisation humanitaire, c’est là que vivent des
populations particulièrement exposées à des violences et privées d’accès aux
soins. Dans ces régions, le paludisme est l’une des principales causes de
mortalité ». « Nous nous sommes rendus à l’évidence : les autorités birmanes ne
veulent pas d’organisations étrangères et indépendantes auprès de populations
qu’elles veulent contrôler. Elles ne veulent pas de témoins gênants, notamment
lorsqu’elles organisent des déplacements forcés de populations, des incendies
de villages, des opérations de recrutement forcé, etc. » « Le constat que nous
faisons est que l’aide en faveur des populations vivant dans ces zones de
conflit n’est pas possible aux conditions qu’exige une action humanitaire indépendante
: nos équipes n’étaient pas libres de leurs mouvements, les contacts avec les
personnes qu’elles voulaient secourir étaient de plus en plus rares, les
activités de terrain ne pouvaient plus être suivies correctement, etc. » « Entre
novembre 2004 et février 2005, pratiquement toutes nos activités dans l’Etat
Karen ont été empêchées. À la fin, il devenait même impossible d’échanger des
données médicales sur certaines situations épidémiques avec les autorités
sanitaires locales, tant celles-ci subissent la pression des militaires qui
interdisent la diffusion de toute information ». Les critiques dont fait l’objet
le gouvernement birman et sa politique totalitaire, de la part des nations d’Amérique
du Nord et d’Occident, ou celles de l’ASEAN, ne paraissent pas émouvoir les généraux
birmans. Ce sont certainement des hommes brutaux , impitoyables, dont les
principes n’ont rien de commun avec ceux des autres gouvernements occidentaux,
mais qui sont intuitifs et d’une vive intelligence comme, très souvent , nombre
de leurs compatriotes. La découverte le 11 janvier 2005 d’immenses réserves de gaz
exploitables en off shore sur la côte nord-occidentale du pays va leur ouvrir, l’ont-ils bien compris, des perspectives inouïes de richesse et de développement.
Cette découverte a constitué une date historique pour la junte : le groupe coréen
Daewo avait annoncé ce jour-là qu’il avait repéré un substantiel gisement de
gaz, en ajoutant qu’il faudrait encore un an, au moins, pour en faire une
description plus précise. Les médias ont parlé d’une découverte massive. Les
Coréens, plus discrets, ont cité le rapport d’un consultant en matière d’hydrocarbures,
Ryder Scott Co. Cet organisme a estimé que ce gisement repéré pourrait produire
de 2,9 and 3,5 quintillions, (10 18) de pieds cubes de gaz, soit l’équivalent d’environ
600 milliards de barils de pétrole brut. La Birmanie / Myanmar est devenue
ainsi un important fournisseur potentiel de gaz naturel pour les pays d’Asie
les plus riches. Cette découverte va faire de ce pays un fournisseur
incontournable pour les pays les plus riches d’Asie. "L’exploitation de ces nouvelles
ressources va être de nature à prolonger la durée de l’emprise militaire", a écrit
Ian Bremmer dans le Daily Star, un quotidien de Dakha, au Bangladesh. Avec ces
nouvelles ressources, les militaires birmans vont détenir une arme semblable à celle
des Iraniens : les hydrocarbures. Ils disposeront désormais de capitaux
suffisants pour lancer des recherches à long terme, dont ils avaient rêvé en
signant en 1992 avec la Russie un accord de coopération et d’assistance dans le
domaine de la recherche nucléaire. Faute de revenus du côté birman, cet accord
n’avait pas pu être mis en application. Le projet désormais peut être désormais
réalisable. Sans risque d’erreur, il est possible de prévoir que ce sujet fera
partie des échanges de vue que vont avoir, à Moscou, le président Poutine , le général
Maung Aye, numéro deux de la junte militaire et sa délégation de haut rang. Car
dans un proche avenir, avec les gains produits par l’exploitation de son
gisement et la vente de sa production gazière et pétrolière à la Chine et également
aux autres pays les plus riches d’Asie, la Birmanie sera capable de se payer la
technologie nucléaire dont elle estime avoir besoin. Par ailleurs la Russie est
prête à coopérer avec la Birmanie, comme cela se faisait du temps de l’URSS. La
fédération de Russie a confirmé cette intention dans le cadre des accords signés
entre les deux pays en l’an 2000.
Les espoirs birmans de recherche et développement nucléaires sont fondés sur l’aide déjà promise par la Russie et sur celles qu’elle est en train de négocier discrètement avec la Corée du Nord, avec la bénédiction de la Chine, sa vieille amie. Encadrée par la Fédération de Russie qui éprouve le besoin de planter ses pions au sud des quinze cents kilomètres de frontière commune de la Birmanie avec la Chine, « protégée » par la Chine elle-même qui, ayant un besoin croissant d’hydrocarbures et de gaz, deviendra à court terme son principal client, la dictature des militaires aura encore de beaux jours devant elle. Il est probable qu’elle pourra compter sur l’appui diplomatique de ses puissants amis ; le Conseil de sécurité évoquera les prétentions nucléaires du Myanmar, comme il le fait des prétentions nucléaires de l’Iran.
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