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Victoire du processus électoral malgache

Calme et transparence ont été reconnus pour le premier tour de l’élection présidentielle malgache. Les deux candidats finalistes pour le second tour seront très certainement Jean-Louis Robinson et Hery Rajaonarimampianina.

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Le peuple malgache est en train de clore la profonde crise qui paralyse le pays depuis janvier 2009. Le premier tour de l’élection présidentielle du 25 octobre 2013 s’est déroulé dans les meilleures conditions possibles, même si tout n’était pas parfait.



Crédibilité et reconnaissance internationale

Aucun incident grave n’a été signalé durant les opérations de vote. Si la violence constatée dans le sud du pays a fait cinq morts dans un bilan provisoire, tout porte à croire que la cause n’est pas politique ni en rapport avec le processus électoral mais pour des raisons de grand banditisme (l’insécurité dans la zone étant assez élevée à cause des voleurs de zébus), selon la chef de la mission des observateurs européens Maria Muniz de Urquiza : « Il n’y a pas eu de violences électorales en général, et le scrutin s’est déroulé dans une ambiance calme, pacifique et transparente. ». Par ailleurs, un bureau de vote a brûlé dans le nord en raison d’un incendie de brousse qui a détruit également le village.

Le 28 octobre 2013, le Premier Ministre malgache Jean Omer Beriziky a d’ailleurs félicité les forces de l’ordre pour leur professionnalisme durant toutes ces opérations : « Ils ont été discrets tout en étant présents, et ont bien assuré leur mission pendant le jour du scrutin. ».

Dès le soir du scrutin, l’ambassadeur de France à Madagascar, François Goldblatt, le reconnaissait : « Le premier tour du scrutin présidentiel s’avère en première analyse un vrai succès en terme de participation et d’organisation. ». La Représentante résidente de l’ONU Fatma Samoura, en charge de coordonner la participation de la communauté internationale à cette élection, s’est, elle aussi, félicitée : « Une fois de plus, la sagesse malgache a prévalu sur toute autre forme de considération. ».

Certes, il y a quelques ratés, notamment en ce qui concernait les listes électorales. Le retard d’impression des cartes d’électeurs a fait que de nombreux électeurs ne les ont pas reçues mais pouvaient les récupérer à l’entrée de leur bureau de vote. Certains ont observé des doublons sur les listes électorales et d’autres ne s’y sont pas retrouvés. Mais selon les observateurs internationaux, ces erreurs sont plus techniques qu’à objectif de fraude électorale.

D’ailleurs, il aurait été bien délicat de frauder (même si tout est possible) avec trente-trois candidats au premier tour. La Commission électorale nationale indépendante pour la transition (CENIT) est en train de rassembler tous les résultats des 20 001 bureaux de vote. Elle le fait de manière particulièrement lente mais néanmoins rigoureuse. À l’aide de cinq hélicoptères, tout le matériel électoral (en particulier les urnes) est en effet acheminé physiquement au siège de la CENIT pour vérification avant publication des résultats de chaque bureau de vote, ce qui rend l’opération à la fois fastidieuse et minutieuse.

Pour l’anecdote, le site Internet de la CENIT a été piraté le 27 octobre 2013, affichant des résultats partiels incohérents, si bien que la CENIT a renoncé à mettre en ligne sa progression arithmétique et la communique avec les médias traditionnels.

Cette réussite du processus électoral est même sans précédent puisque c’est la première fois depuis l’indépendance en juin 1960 que Madagascar vit une élection présidentielle aussi libre et transparente, et aussi incertaine (l’incertitude confortant d’ailleurs son caractère démocratique : tout n’est pas écrit par avance).

Le mérite en revient en particulier à Béatrice Atallah, l’énergique présidente de la CENIT, et au Premier Ministre Jean Omer Beriziky (de la mouvance de l’ancien Président Albert Zafy) chargé depuis le 29 octobre 2011 (cela fait déjà deux ans !) d’organiser cette (laborieuse) transition démocratique. La communauté internationale est aussi à féliciter puisque c’est elle qui a entièrement financé le processus (60 millions d’euros).


Principal point d’inégalité entre les candidats

Le principal défaut de cette élection est sans doute l’absence totale de réglementation sur le financement des campagnes. Ainsi, Hery Rajaonarimampianina a pu bénéficier (entre autres) de sommes considérables pour sa campagne alors qu’aucun plafond n’est imposé jusqu’à maintenant (ce qui était le cas en France jusqu’en 1988).

C’est d’ailleurs le regret de Jean Omer Beriziky qui reconnaissait sur RFI le 16 octobre 2013 : « Le problème de ces élections à Madagascar, c’est qu’il n’existe pas de texte sur le contrôle de financement de la campagne électorale. Donc, s’il y a des candidats qui cherchent des financements en Chine, on ne peut pas les en empêcher. Certains candidats, pas tous, ont des moyens inestimables. » et ce dernier laissait entendre que le trafic du (très précieux) bois de rose pourrait avoir en finalité le financement de certaines campagnes : « Il est très difficile pour moi de dire d’où viennent ces sommes qui sont déversées dans la campagne, mais, vis-à-vis de la pauvreté de la population, c’est un scandale ! ».


Des résultats partiels relativement significatifs

Ainsi, depuis le soir du vendredi 25 octobre 2013, les résultats arrivent au compte-gouttes à fur et à mesure que les procès verbaux de chaque bureau de vote sont vérifiés et validés.

À l’heure où j’écris, les résultats d’un peu moins d’un quart des bureaux de vote ont été validés et publiés (exactement 4 915 bureaux de vote). À ce rythme, sauf problème de validation de certains résultats, on peut imaginer que la CENIT en aura fini d’ici le 11 novembre 2013, pour un second tour prévu le 20 décembre 2013.

Les résultats définitifs ne seront donc pas connus avant une dizaine de jours mais les tendances semblent désormais suffisamment fines pour être sûr de l’issue et du besoin de second tour.

Et c’est l’essentiel pour l’instant : les trois candidats en tête sont très "espacés", ce qui veut dire qu’il y aura peu de possibilité de contester la conclusion de ce premier tour.

On peut se souvenir que le premier tour de l’élection présidentielle du 16 décembre 2001 fut catastrophique pour le pays : le Président sortant Didier Ratsiraka avait admis être arrivé en deuxième place mais demandait la tenue d’un second tour alors que son concurrent Marc Ravalomanana avait revendiqué la victoire dès le premier tour. Il s’en est suivi sept mois de crise désastreuse pour le pays qui ont entraîné de nombreuses victimes et une paralysie économique du pays affligeante.

Aujourd’hui, heureusement, ce scénario ne pourra pas se reproduire. D’une part, grâce aux observateurs internationaux, d’autre part, parce que les Malgaches en ont marre de cette crise politique et veulent en finir au plus vite. Enfin, les résultats seront pour le moins difficilement contestables dans leur ensemble même si certains bureaux de vote s’avéraient douteux car ils ne sont pas "serrés".

Dans ces résultats partiels, donc, le taux de participation est de l’ordre de 57%, ce qui, compte tenu des difficultés matérielles de l’élection, est un beau résultat. Pour comparaison, le référendum du 7 novembre 2010 pour faire adopter la nouvelle Constitution était de 52,6%.

La répartition des suffrages sur les différents candidats est particulièrement simple. Aucun candidat n’est proche des 50%, ce qui évite toute polémique sur la nécessité d’un second tour. Et près de 5% séparent (actuellement) les candidats arrivés en deuxième et troisième position, ce qui évite donc aussi des contestations sur l’identité des deux candidats pour le second tour.



Ces deux candidats placés en tête sont finalement peu surprenants : Jean-Louis Robinson obtiendrait autour de 26,5% (ce score devrait sans doute s’effriter au fur et à mesure du dépouillement dans les zones rurales) et Hery Rajaonarimampianina arriverait vers 15% (score qui devrait croître légèrement pour la même raison). Suivraient ensuite Hajo Andrianairarivelo autour de 9,5%, Camille Vital autour de 7%, Roland Ratsiraka autour de 6,5% et Edgard Razafindravahy autour de 5%.


Premiers commentaires sur les résultats partiels

L’ancien Ministre des Finances Hery Rajaonarimampianina, arrivé en deuxième position, a de quoi être très déçu par ce scrutin, lui qui pensait gagner l’élection dès ce premier tour (par un grand matraquage de communication). Soutenu officieusement par le Président sortant Andry Rajoelina, il a cependant beaucoup de réserves de voix s’il sait bien nouer des alliances entre les deux tours. En effet, les candidats Camille Vital, Roland Ratsiraka, Edgard Razafindravahy devraient en principe le soutenir même si leur soutien va coûter cher au candidat dont les partisans avaient tout fait, pendant la campagne, pour réduire leur influence. De plus, le soutien du candidat arrivé en troisième position, Hajo Andrianainarivelo, ne semble faire aucun doute.

Le grand victorieux du premier tour est évidemment l’ancien Ministre de la Santé Jean-Louis Robinson, soutenu officiellement par l’ancien Président Marc Ravalomanana (en exil en Afrique du Sud). D’un tempérament beaucoup moins charismatique que son concurrent, Jean-Louis Robinson a bénéficié de la grande infrastructure militante des partisans de Marc Ravalomanana qui a ainsi démontré qu’il avait encore beaucoup d’influence dans le pays.

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Comme on le voit, l’incertitude demeure sur l’issue du second tour : d’une part, Hery Rajaonarimampianina pourrait bénéficier d’une logique arithmétique (et financière, car il semble avoir le plus gros budget de campagne) ; d’autre part, Jean-Louis Robinson pourrait surprendre comme il a surpris au premier tour en distançant son rival d’au moins 10% avec cette dynamique de campagne.

L’ancien Premier Ministre Camille Vital et Edgard Razafindravahy (candidat officiellement investi par le parti d’Andry Rajoelina) ont donc échoué pour représenter les partisans d’Andry Rajoelina. De même, Pierrot Rajaonarivelo, en exil sous le mandat de Marc Ravalomanana et considéré comme son principal adversaire à l’élection présidentielle du 3 décembre 2006 (il était considéré comme le favori de l’élection mais n’avait pas eu le droit d’être candidat en raison de son exil), a échoué lamentablement (mais sans surprise) en ne recueillant qu’autour de 2% des suffrages.


Qui sera le prochain Premier Ministre ?

Avant le premier tour, les deux finalistes de l’élection présidentielle avaient plus ou moins laissé entendre leur choix. Pour Jean-Louis Robinson, ce serait Lalao Ravalomanana, la femme de l’ancien Président qui avait été interdite de candidature, et pour Hery Rajaonarimampianina, un scénario à la Poutine pour rester vingt-quatre ans au pouvoir aurait permis le retour d’Andry Rajoelina comme chef du gouvernement. Ces hypothèses avaient d’ailleurs suscité bien des inquiétudes, car il est de tradition de ne pas mobiliser les deux postes les plus importants de l’État dans la même ethnie (ici merina) et de partager avec un peuple côtier (dont font partie Camille Vital et Roland Ratsiraka, en particulier).

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Après le premier tour, la situation est complètement différente d’un point de vue politique. Pour que l’un puisse réunir la majorité des suffrages au second tour, il lui faudra faire des alliances avec les autres candidats. Ces négociations vont être sans doute mises à rude épreuve et le soutien des candidats perdants pourra entraîner une surenchère auprès des deux finalistes.

Camille Vital pourrait donc revendiquer le poste de Premier Ministre ou de Vice-Premier Ministre auprès de Hery Rajaonarimampianina. Roland Ratsiraka pourrait aussi prétendre au poste de Vice-Premier Ministre. D’autres noms circulent comme Ndriana Razanamasy, Richard Fienena (ancien Ministre de l’Industrie) et aussi Jules Étienne Roland, qui fut l’un des candidats exclus par la Cour électorale spéciale le 17 août 2013 et qui avait demandé à Hery Rajaonarimampianina de le remplacer.

Cependant, même si tous les candidats en ont parlé, le poste de Premier Ministre ne dépend pas constitutionnellement du Président de la République mais d’une majorité au Parlement. Ce seront donc les élections législatives qui auront lieu le même jour que le second tour (le 20 décembre 2013) qui seront décisives dans la formation du futur gouvernement.

Andry Rajoelina avait souhaité s’assurer une majorité parlementaire avec le découpage électoral qui avantageait Tananarive sur les circonscriptions côtières, mais les premiers résultats semblent indiquer que ce stratagème a peu de chance de succès car les forces de Marc Ravalomanana ont réussi à dominer beaucoup des régions qu’Andry Rajoelina croyait acquises à sa cause.


Le duel Ravalomanana vs Rajoelina se poursuit donc

Ce second tour Robinson vs Rajaonarimampianina est donc la poursuite logique du face-à-face Ravalomanana vs Rajoelina depuis janvier 2009 qui avait tourné à l’avantage de ce dernier grâce à l’appui de l’armée.

L’enjeu personnel est important. En cas d’élection de Jean-Louis Robinson, Marc Ravalomanana pourrait rentrer d’exil ; en revanche, Andry Rajoelina pourrait aussi être conduit à fuir à l’étranger car il pourrait être sous la menace d’une arrestation pour putsch. Dans le cas contraire, en cas d’élection de Hery Rajaonarimampianina, ce serait la victoire définitive (et démocratique) du putschiste Rajoelina, ce qui aurait justifié a posteriori sa prise de pouvoir illégale d’il y a quatre ans et demi.

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Mais peut-être que ces considérations sont déjà anachroniques. Comme aucun candidat ne représente la moitié des électeurs, celui qui sera élu aura dû faire preuve de réconciliation et de rassemblement.

La personnalité du futur élu sera donc essentielle, d’une part, pour vraiment tourner la page et commencer un nouveau chapitre vierge dans l’histoire politique de Madagascar, et d’autre part, pour mettre en œuvre, très vite, le redémarrage économique du pays. Il est en effet urgent de penser avant tout à l’économie et de laisser de côté les combinaisons politiciennes.

1 700 candidats se disputeront le 20 décembre 2013 les 150 sièges de députés. Et le nouveau Président de la République sera investi le 17 février 2014.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 octobre 2013)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jour J de la démocratie malgache.

L’élection présidentielle du 24 juillet 2013 aura-t-elle lieu ?
La feuille de route adoptée.
Un putsch en bonne et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s’était passé en France ?
La nouvelle Constitution malgache.
Le gouvernement malgache pour appliquer la feuille de route.
Liste de mai 2013 des candidats à l’élection présidentielle.


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