Le dispositif médiatique comme dévoilement des jeux de cour et de réseaux
Je ne parlerai pas de la commémoration des événements du 11 septembre, jugeant cela inutile, vain, pathétique pour ce qui concerne les médias et leur suivisme forcené, les journaux racolant les lecteurs à l’instar de vendeurs plagistes proposant tous un seul et unique produit. Pitoyables, ces représentations de pleurs et de souvenirs, dont l’effet est de participer au contrôle social tout en diluant ou en masquant les vraies questions. D’ailleurs, j’avoue ne plus avoir une haute opinion de la presse. Elle s’est « gestionnarisée » en suivant les tendances d’autres professions, édition, politique, université, santé, monde associatif, etc. Le mot « gestionnariser » mérite quelque précision. Il traduit une propension à mettre en priorité deux éléments, le profit pour la structure et le meilleur bénéfice pour l’équipe centrale. A une autre époque, le dispositif s’avérait non seulement équitable mais finalisé vers un résultat qui avait une valeur autre qu’uniquement marchande. Maintenant, les choses ont changé. La pression économique, le contrôle des gestionnaires, les comportements népotiques, autocrates et oligarques des cadres de la profession, la précarisation des stagiaires et pigistes, l’insécurité économique, tous ces facteurs contribuent à faire de la presse un instrument docile au service d’une minorité qui en tire force prébendes, par ailleurs occupant à temps plein un nombre conséquent de salariés, puis sous-payant la cohorte de ceux qui tentent de se faire un petit nom et une plume tout en épousant une carrière qui leur file entre les mains d’année en année. Ces gens-là ont été appelés intellectuels précaires. Dans ces conditions, comment peuvent-il écrire librement ? Bref, tout ceci est désolant, rendant l’époque bien fade et peu glorieuse.
A part ça, le Net s’avère un instrument de choix pour diffuser les pensées dites affranchies des contraintes du système. Encore faut-il qu’il y en ait pour penser encore. Sur ce point, on n’en doute pas mais la pensée est une denrée précieuse et parmi nos amateurs écrivains, les blogueurs de tous les jours, les journalistes d’un jour, on trouve pas mal de conformisme et de suivisme. Reste le public. On connaît la fidélité des uns et la versatilité des autres, surtout les experts de la télécommande. Une certaine désaffection de la presse écrite traduit une lassitude des lecteurs face à des produits qu’ils jugent de moins en moins intéressants. J’avoue en faire partie. Mais maintenant, la blogosphère m’a lassée aussi, si bien que je n’ai un œil attentif que sur quelques sites de qualité, parmi lesquels AgoraVox, où les thèmes et les points de vue sont autant diversifiés que traités souvent avec un regard différent. Le filtrage par un comité de lecture y contribue.
La question que l’on se pose concerne la durée prévisible du dispositif médiatique actuel, étant donné que, d’une part, il semble maintenant accompli, stabilisé car abouti avec ses normes, ses mécanisme, ses règles, ses usages que rien ne pourrait troubler, excepté des événements drastiques comme un dépôt de bilan ; et que, d’autre part, de nouvelles pratiques ont émergé, notamment avec le Net. Cela dit, rien ne permet de prévoir une rupture et d’une certaine façon, même si l’internaute renoue avec une position active, quittant le public passif, cette activité peut très bien être un jeu, une posture, une mécanique, où il est plutôt question de faire que d’être, de réagir aux événements et communications que d’être attentif au sens du monde et de penser. Pour résumer la situation actuelle de la presse et du monde intello-culturel en général, cette citation datée de 1973 et signé du visionnaire Michel de Certeau évoquant les pratiques dans le champ culturel :
« Le rapport aux pouvoirs change donc. Ils se servent de la culture, sans s’y compromettre. Ils sont ailleurs. Ils ne sont plus engagés par les discours qu’ils fabriquent [...] Ils placent leur produit selon les exigences qui ne sont plus celles du large public devenu simultanément capable de les acheter et incapable d’en tirer parti. En somme les produits culturels servent à la classe de ceux qui les créent et sont payés par la masse de ceux qui n’en profitent guère. Les pouvoirs s’organisent indépendamment des corps où ils tirent leur force et auxquels ils ne profitent pas (pp. 258-259, La culture au pluriel, recueil de textes parus en 1974 chez 10/18 puis réédité en Point Seuil)
Ces propos, bien qu’exagérés, à la limite de la caricature, expriment des tendances déjà bien en place dans les lieux de pouvoir et, il faut le dire, d’asservissement, puisque c’est le sens exact de la conjoncture traduite par Certeau, à savoir une instrumentalisation des masses par des castes gérant leur propre intérêt sans aucun souci de ces masses, ou plutôt du public, les masses étant déjà du domaine de l’histoire, celle des années 1930. Il faut dire, et Certeau en parle dans ses analyses, que le pouvoir sait bien se dissimuler, si bien que le public n’a pas pris conscience de ces lames de fond sociologiques alors qu’elles étaient déjà intelligibles aux penseurs. C’est seulement récemment qu’on a évoqué un divorce entre les citoyens et les élites. C’est aussi le moment où une parole plus libre se diffuse par le Net, sans qu’on puisse parler d’un réel contre-pouvoir, tant le système dénoncé par Certeau s’est enraciné dans le corps social, public et élites. Le processus décrit par Certeau concerne les pratiques culturelles mais on le transposera aisément au monde médiatique, journaux, radios, télés et éditeurs.
Le Net, bien qu’espace libre et sans contrainte, laisse transparaître la présence de ces pouvoirs qui, se présentant sous un jour bienveillant, obéissent à la logique dénoncée par Certeau. On pourra évoquer nombre de blogs politiques mais aussi ceux de journalistes et éditeurs publiant des blogs pour prolonger leur emprise colonisatrice sur le public. Si on place quelques commentaires bien ciblés et qu’on examine le résultat, qu’on le combine avec l’ensemble des réactions des internautes, pour une synthèse, on s’aperçoit que ces blogs ne sont pas fait pour le public mais pour renforcer l’image de leur auteur, satisfaire leur besoin narcissique que l’on pressent dès lors qu’on place quelque critique bien ajustée ou quelque pique ayant le don d’agacer l’ego surdimensionné de l’intéressé, si bien qu’on s’aperçoit que nos narcisses du monde médiatique sont à l’image des oligarques de la culture dénoncés par Certeau, se servant du blog et des commentaires pour leur intérêt personnel et se dispensant de se fondre dans ce qui, pourtant, pourrait devenir une dynamique sociale virtuelle. En plus, certains se présentent sous une figure hautement morale, pétris de louables intentions, combattant les réseaux alors qu’ils disposent du leur, ne jouant que leur image, sans aucun souci des anonymes. C’est un peu le côté magique du Net, on peut piéger, dans des proportions limitées, ces jeux de pouvoir et de cour, ces lieux où on veut se faire admirer, bref, une société de réseaux, avatar métamorphosé des cours de l’Ancien Régime. La blogosphère accueille les gens de cour déjà connus et produit sa propre cour, avec des figures bien en vue, courtisées par le nombre, désignée par le terme amusant de blogoisie, contraction de blog et bourgeoisie. Le dissident, le mécréant, le libertaire apposera des commentaires mal placés, mais le courtisan fera des commentaires bien placés, pour recevoir la bénédiction des maîtres de ces lieux virtuels.
Des noms, des noms, réclame la foule des internautes, ah ça ira, ça ira, les blogocrates, on les pendra ! Non, ne comptez pas sur moi, parce que donner des noms ne reflèterait pas la réalité, dévoilant les seuls protagonistes ayant eu à subir mon testing, et de plus, on ne connaît pas vraiment les gens à partir d’une expérience littéraire sur le Net, si bien que des personnes sincères peuvent être dénoncées à tort ; car il en reste, et ne les affaiblissons pas, elles ont un rôle à jouer dans notre société qui perd ses valeurs.
Sur le même thème
Le Miroir pour professeurDe plus en plus de jeunes croient aux "vérités alternatives"
Réforme des retraites : le vrai débat n'aura pas lieu
RETRAITES : de l'homéopathie pour ignorer les CAUSES des DESEQUILIBRES et ne pas y remédier !
Singapour, l'aspirateur-lessiveuse des capitaux chinois
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON